L'année scolaire a commencé en bleu, au collège Paï-Kaleone de Hienghène. Bleu, comme les hauts que les 159 élèves doivent désormais porter. Cet établissement public de la côte Est vient d'adopter ce qu'on appelle une tenue scolaire commune. "L'idée est venue de la province Sud", raconte le président de l'APE, Raymond Nigaille, en évoquant les polos généralisés dans les écoles publiques du Sud depuis 2017. "J'ai proposé ça aux parents." La plupart ont appuyé la démarche, motivée par des raisons économiques : un kit de linge tout prêt coûtera moins. Huit mille francs pour cinq t-shirts coton, deux tricots nylon et une veste. T-shirts dont la couleur s'accorde avec… celles du club de foot Hienghène Sport ! Le logo du collège y figure, avec sa devise en langue : "Petaa, we do marip'on", "Je grandis et j'apprends".
Le portefeuille prenait un coup depuis un moment, déjà. La vie est chère, tout est cher. On pense aux parents qui galèrent.
Raymond Nigaille, président de l'APE
Intérêt financier à Hienghène
"C'est un intérêt financier, renchérit le principal du collège, Philippe Busy. Tout le monde n'a pas les moyens." Une partie des parents ou grands-parents qui s'occupent des élèves sont sans emploi, sans revenus fixes ou à la retraite. "On recherche aussi une certaine unité avec les uniformes, un meilleur vivre ensemble." Et de glisser : "A la rentrée, il n'y avait que deux élèves qui n'avaient pas la tenue. Ça faisait beau." La distribution a été pilotée par l'association des parents d'élèves. Quand au financement de ce projet à 1,3 million, il a été assuré par l'organisation de bingos, avec l'aide de la mairie et d'une entreprise métallurgique.
La Calédonie citée en exemple
En Nouvelle-Calédonie, toute une part de la population scolaire - difficile à chiffrer - s'instruit en portant des habits réglementaires, soit de son établissement, soit de sa province. Une démarche citée en exemple il y a quelques mois, quand le débat sur le passage des élèves français à une tenue uniforme est redevenu d'actualité. Des textes ont été déposés à l'Assemblée nationale, sans être adoptés. Dans une interview au quotidien Le Parisien, même la "première dame' Brigitte Macron s'y disait favorable. Tandis que le ministre de l'Education nationale, Pap Ndiaye, est opposé à l'idée. En Outre-mer, l'uniforme à strictement parler ou une tenue commune est appliqué(e) à plusieurs endroits de Guadeloupe, de Guyane ou de Polynésie, et en Martinique, un tiers des établissements l'exigent (en 2018, La 1ère faisait le point ici).
"Volonté locale" à Kouaoua et Canala
Sur le Caillou, en y regardant de près, le tableau s'avère contrasté. Ce principe rencontre des résistances par endroits, ou n'est pas considéré comme une priorité. A d'autres, il continue à se diffuser. Plus bas sur la côte Est, le GOD de Kouaoua vient de mettre en place une tenue commune auprès de ses 62 élèves. Le "groupement d'observation dispersé" est rattaché au collège de Canala, à une quarantaine de kilomètres. Et lui aussi passe cette année au tricot uniforme, pour ses plus de 200 inscrits. "Le but premier des tenues est d'avoir une égalité au niveau de tous les élèves, observe Olivier Boilay, à la tête des deux établissements. La différence est visible, entre celui qui vient avec un t-shirt de marque et celui qui vient avec un t-shirt déchiré." Par ailleurs, "ça réduit les coûts pour la rentrée". En tout cas, le directeur ressent un véritable élan local.
Ici, la tenue commune est vraiment une volonté des parents, et des communes.
Olivier Boilay, directeur du GOD de Kouaoua et du collège de Canala
Bleu, orange, vert
Détail curieux, au GOD de Kouaoua, les t-shirts sont bleus alors qu'au collège de Canala, ils seront oranges ! Explication : le passage à un habit règlementaire est soutenu par chacun des deux groupements de parents d'élèves. Mais à Canala, le mouvement est organisé par la municipalité. Selon la mairie, 676 "uniformes" ont été commandés dans l'idée d'équiper tous les écoliers et collégiens. De façon gratuite pour 2023, et à adapter pour les années suivantes. "Nous avons un conseil municipal junior et dans leur délibération, un des projets de l’année était que les enfants aient une tenue commune", explique Gaston Nedenon, premier adjoint au maire. Il a même été suggéré, ajoute-t-il, de ne pas faire de feu d’artifice pour financer ce projet. "Ce qui est important pour nous, c’est qu’on sent à travers ça le besoin de s’identifier à la commune, et de participer à ce qui s’y fait."
Reste à recevoir les tenues oranges. "Le kit représente trois polos, trois t-shirts, une polaire et une veste", précisait avant la rentrée la secrétaire générale, Marie-Nizié Toussi. L'école de la mission a fait un autre choix. L'établissement catholique aux quelque 200 enfants a effectué sa rentrée en t-shirts verts portant l'image de sa patronne, Sainte-Thérèse.
La diversité comme identité à Téari
Passons côte Ouest. A l'école Téari de Koné, plus de 450 inscrits, la tenue commune fait partie du paysage. Sept ans que les enfants portent le t-shirt avec le nom et le logo façon bambou gravé. Ils ont le choix entre jaune, rose, orange, vert, rouge ou bleu. De quoi symboliser la diversité des personnalités et des horizons. Les commandes et la vente, à raison de 700 F le haut, sont gérées par l'association périscolaire.
Un véritable héritage, car la tenue commune a été ardemment soutenue par feue la précédente directrice, Catherine Brinon. A noter que des éléments qui se perdaient en nombre ou étaient très peu portés ont été supprimés, à savoir la veste et la casquette.
Consigne au Sud, mais pas dans le Nord ni les îles
L'initiative s'avère ponctuelle. "Aucun projet n'est envisagé pour le moment", à l'échelle de toute la province Nord, précise l'institution. Et aux Loyauté, "pas de consigne particulière" émanant de la province, "cela ne fait pas partie de nos priorités". Nicolas Esturgie en parlait dans ce reportage diffusé le 20 février :
C'est la province Sud qui s'est engagée dans la tenue commune. En 2017, elle a généralisé à tout son premier degré public l'obligation qui existait dans cinq établissements de Nouméa. A cette rentrée 2023, plus de dix-huit mille enfants sont concernés, dans 94 écoles. 29 % de tous les effectifs scolaires !
Quatre couleurs
"La raison de la tenue commune est multiple", rappelle Florence Seytres, directrice provinciale de l'Education et de la réussite. "Donner un sentiment d’appartenance de l’école, de la commune et des élèves de la province. Faciliter le travail des parents le matin. Gommer les inégalités entre les élèves."
C’est aussi pour lutter contre la vie chère. Quand vous achetez un pack, il fait l’année et le prix est contrôlé.
Florence Seytres, directrice provinciale de l'Education et de la réussite
Le kit complet revient à 5 800 F pour cinq polos, deux t-shirts, une veste polaire et un chapeau à l'Australienne. En onze tailles. Les écoliers de Païta s'habillent en bleu foncé. Le bleu clair a été retenu pour Nouméa, Bourail, Thio et Moindou. Le Mont-Dore et Yaté sont vêtus de rouge. Enfin, on porte le vert à Dumbéa, La Foa, Boulouparis et Sarraméa.
"Intéressant"
Qu'en disent les premiers concernés ? "C'est intéressant", déclare Kylian, six ans, en CP à l'école Perraud de Magenta Aérodrome. "J'aime bien la couleur bleue. Je me sens bien dans les polos. Au moins eux sont confortables, ils sont élastiques", commente-t-il. Façon d'apprécier le changement opéré dans la conception des vêtements. Quant à voir tout le monde habillé pareil, "j'adore. Comme ça, on n'est pas jaloux." Son père aussi s'est forgé un avis. "Ce n'est pas cher. C'est bien, que tout le monde ait un uniforme, souligne Xavier Bartolini. Au début, je gueulais parce qu'on nous imposait quelque chose. Au final, quand il est entré à l'école, j'ai trouvé ça plutôt cool. On l'habille facilement. On n'a pas à chercher les t-shirts de marque, qu'il va salir, trouer, se faire jalouser."
"Ça limite les différences sociales"
"Je suis archi pour d'un point de vue coût financier", renchérit Nathalie, mère de famille qui travaille dans l'éducation. "Pour passer dans différentes écoles, on voit la différence. C'est vrai que ça limite les différences sociales qui peuvent s'afficher. Ça développe aussi le sentiment d'appartenance", ajoute cette Dumbéenne. Archi-pour, également, le chapeau intégré au kit depuis l'an dernier. "Il y a une sensibilisation qui n'est pas faite, en Calédonie, contre les dangers du soleil. C'est un automatisme à adopter." Elle constate toutefois les difficultés rencontrées, notamment dans les maternelles, quand il faut gérer la quantité de polaires oubliées sans nom, ou trouver à quel endroit poser les couvre-chefs...
"Des avantages et des inconvénients"
"J'aime bien mettre les mêmes t-shirts, on est tous habillés pareil, avec les copains", exprime Lyam, cinq ans, en grande section à la maternelle Les Frangipaniers du Receiving. "Je pense qu'une tenue commune peut éviter plein de choses, surtout dans le secondaire", dit sa mère, Ingrid. "C'est bien que le chapeau soit arrivé, aussi. Je voyais des parents qui n'avaient pas forcément d'argent pour les casquettes." Elle a tout de même une requête : "Si on pouvait avoir que des t-shirts et pas des polos, on s'en porterait mieux, par rapport à la chaleur et au fait que ça se déforme."
A part le t-shirt pour le sport, la grande sœur de Lyam, Maëva, n'a pas de tenue commune, au collège privé de Cluny Anse-Vata. "Il y a des avantages et il y a des inconvénients", soupèse la jeune fille de quatorze ans. Mais elle décrit un règlement assez strict, sans épaule dénudée, sans ventre apparent, sans short ni jupe trop au-dessus du genou "ni tout ce qui est militaire". En ajoutant : "On nous a dit qu'il était question de mettre en place des tenues parce qu'il y en a plein qui ne respectaient pas le code vestimentaire."
"Je préfère mon tricot d'école"
Loan, huit ans et demi, en CE2, aime porter son tee-shirt scolaire bleu marine. Il montre l'appartenance de la fillette à l'enseignement catholique, et à l'école Saint-Jean-Baptiste de Nouméa en particulier. "Ça nous évite d'acheter de nouveau t-shirts et franchement, apprécie Estelle Pijone, elle a mis ce tricot l'année dernière et cette année... Il tient bien." Dans le privé confessionnel, pas de tenue unique mais des initiatives locales, parfois anciennes.
Leyna a onze ans et elle, en a fini avec le primaire et les polos bleus de Paul-Boyer. "On a pris l'habitude." Le principe n'a pas non plus dérangé sa mère Nilda. "Il fallait juste surveiller qu'il y ait des polos chez papa et aussi chez maman !"
Pas au collège Mariotti
Et voilà que Leyna est passée en sixième à Jean-Mariotti. Or, le plus gros collège de Calédonie avec 820 élèves, notamment des quartiers Sud de Nouméa, résiste à la vague uniforme. Une décision pesée, l'an dernier encore, après avoir sondé la communauté éducative.
A Mariotti, on ne souhaite toujours pas de tenue commune en 2023. Le principe est qu'il y a un code : avoir une posture de travail, dans une tenue de travail, sur son lieu de travail.
Francis Modéran, principal du collège Jean-Mariotti de Nouméa
Elèves et familles sont prévenus : à partir du moment où une tenue "choque un adulte de la communauté éducative", le collégien ou la collégienne est appelé(e) dans le bureau du chef d'établissement et les parents sont contactés. Jean-Mariotti véhicule par ailleurs un message : que pouvoir s'habiller comme on veut, dans la limite d'une tenue "discrète et décente", est "une richesse" précieuse.
Beaucoup de collèges ont fait l'autre choix, certains depuis de nombreuses années. Haut blanc à Magenta. Bleu à Baudoux, Rivière-Salée, Normandie ou Katiramona. Violet à Auteuil. Bordeaux à Boulari et Kaméré. Gris aux Portes-de-Fer… En revanche, les lycées calédoniens ne sont pas si nombreux à s'être lancés, comme Marcellin-Champagnat à Païta. Après avoir tenté la tenue réglementaire, Do-Kamo y a même renoncé. Du reste, le règlement intérieur fait loi, de même que la règle constitutionnelle qui écarte les signes d'appartenance identitaire et religieuse.
Un vrai uniforme à James-Cook
Reste un exemple d'uniforme stricto sensu : l'Ecole internationale James-Cook, entre Nouméa et Dumbéa, dont les plus de 400 élèves se reconnaissent au premier coup d'œil. Cet établissement privé bilingue qui existe depuis seize ans a choisi un fonctionnement que les Calédoniens avaient l'habitude d'observer chez nos voisins australiens et néo-zélandais. Les élèves revêtent les habits achetés par les parents à une boutique dédiée, qui arborent le logo et le nom de l'EIJC. Robe, bermuda, chemise à manches courtes ou longues, cravate une partie de l'année… Une différence est marquée entre le primaire, le collège et le lycée, mais aussi selon la saison.
Nous avons été précurseur sur le territoire, nos élèves ont un véritable uniforme à porter tous les jours.
Vanessa Gervolino-Busiau, directrice de l'EIJC
"C’est une question d’unité, de simplicité, énumère-t-elle. Cela assure une tenue correcte et respectueuse, donc une égalité les uns vis-à-vis des autres. Et enfin, une attention recentrée sur l’objectif de venir à l’école et non de s’interroger, de se juger ou se faire juger sur sa tenue vestimentaire."
Contre-arguments
Le paysage scolaire calédonien montre des situations bien différentes, sur ce terrain vestimentaire. Et si la tenue commune s'est enracinée, on entend aussi de nombreux arguments qui la critique. Que les différences sociales s'expriment d'autres manières, par le téléphone, les chaussures ou les sacs. Que la construction d'un ado se fait aussi par les habits. Que la logistique est lourde. Que ça oblige à faire la police avec les élèves. Que l'attirance pour le modèle anglo-saxon se heurte à la culture latine... Un vrai débat de société.