Démographie : la Nouvelle-Calédonie a-t-elle vraiment perdu 27 000 habitants en cinq ans ?

Olivier Fagnot, directeur de l'Isee.
A quelques mois du futur recensement de la population calédonienne, et alors qu'une bataille des chiffres fait rage dans les débats concernant les données démographiques, nous avons interrogé l'Isee pour essayer de démêler le vrai du faux.

Il n'y a pas que pour le Ruamm que la guerre des chiffres fait rage en Nouvelle-Calédonie.

D'autres données officielles, en l'occurrence celles publiées par l'Isee (Institut de la statistique et des études économiques), sont régulièrement utilisées de manière plus ou moins exacte dans les débats depuis quelques semaines.

Le 17 octobre, devant l'Assemblée nationale, le député Nicolas Metzdorf évoquait une situation économique catastrophique, avec un PIB en chute libre et une hémorragie démographique alarmante, mettant en avant le chiffre de 27 000 départs, soit 10% de notre population sur la période 2019-2023.

Les organisations patronales avancent régulièrement des chiffres tout aussi inquiétants lorsqu'il s'agit de s'opposer à des réformes fiscales notamment.

"27 000 départs depuis 2014"

De leur côté, certains syndicats évoquent des chiffres tout à fait contraires. La Fédération des fonctionnaires, par exemple, affirme dans un courrier adressé récemment au haussaire que jamais la Cafat n'a compté autant de salariés et avance même le chiffre de 290 303 "personnes couvertes, soit 7% de plus qu'en 2019". À l’opposé donc des affirmations précédentes.

Bref, on ne sait plus qui croire ni à quelles données se rapporter.

Nous avons donc interrogé Olivier Fagnot, le directeur de l'Isee pour essayer d'y voir plus clair.

"On entend souvent citer le chiffre de 27 000 personnes qui ont quitté la Nouvelle-Calédonie entre 2014 et 2019. C'est 10% de la population, et c'est plus que dans les périodes précédentes. Mais au même moment, il y a des gens qui ont intégré le territoire : 17 000."

Nous sommes actuellement 268 000

Par conséquent, entre les 27 000 qui sont partis et les 17 000 qui sont venus s'installer, il y a une différence d'environ 10 000 habitants qui manquent à l'appel. C'est ce que l'on appelle le solde migratoire. Et sur cette période, il est effectivement déficitaire. Heureusement, le solde naturel, c'est-à-dire la différence entre les naissances et les décès, est toujours positif. "Dans les années récentes, le solde naturel permettait de compenser le solde migratoire déficitaire, mais depuis deux ans, ce n'est plus le cas, complète Olivier Fagnot. C'est pour ça que depuis deux ans, la population est passée sous les 270 000 personnes. On est à 268 000 personnes actuellement."

Parmi ces personnes qui ont quitté le Caillou, un fait notable : un quart sont des natifs. Des étudiants ? Des Calédoniens qui vont voir si l'herbe est plus verte ailleurs ? Tant que le recensement, qui aura lieu en septembre 2024, n'aura pas été effectué, il sera difficile d'en être certain.

"Dans les années récentes, le solde naturel permettait de compenser le solde migratoire déficitaire, mais depuis deux ans, ce n'est plus le cas. C'est pour ça que depuis deux ans, la population est passée sous les 270 000 personnes. On est à 268 000 personnes actuellement."

Olivier Fagnot, directeur de l'Isee.

Trafic aéroportuaire

Cependant, selon Olivier Fagnot, plusieurs facteurs peuvent expliquer ce solde négatif : la situation économique et l'incertitude institutionnelle qui fait que "moins de personnes arrivent que d'habitude et le frein lié à la loi sur l'emploi local".

Le dernier recensement remonte à 2019. Il a lieu tous les cinq ans. Entre-temps, comment fait-on pour savoir combien de personnes arrivent en Calédonie et combien en partent ? "On utilise le trafic aéroportuaire, explique le directeur de l'Isee. Nous avons regardé les départs du territoire et les arrivées entre 2014 et 2023 : ce sont presque 19 000 personnes qui ont quitté le territoire."

Composantes de la croissance de la population.

Mauvaises méthodes de calcul

Sur le nombre de 290 303 personnes obtenu par la Fédération des fonctionnaires en additionnant les affiliés au Ruamm et aux AMG (aides médicales gratuites provinciales), l'Isee conteste cette manière de calculer : "Plusieurs milliers de personnes sont bénéficiaires du Ruamm et ne résident pas en Nouvelle-Calédonie. C'est notamment le cas des retraités. D'autre part, il y a des doubles affiliations entre le fichier du Ruamm et les fichiers provinciaux." Autrement dit si on regarde les registres d'une année, il se peut très bien qu'une personne soit bénéficiaire de l'aide médicale à un instant t, puis trouve un emploi et passe sous le régime du Ruamm sans être sous les deux régimes au même moment.

Il y a aussi des étudiants ou des travailleurs qui partent hors du territoire, sont couverts en Métropole et apparaissent toujours sur les fichiers du Ruamm. Bref, cette méthode de calcul n'est pas fiable selon les statisticiens.

L'alimentaire 78% plus cher qu'en France

Enfin, la situation économique du pays est-elle vraiment catastrophique ? La Nouvelle-Calédonie a connu un rebond économique en 2022 après trois années moroses, mais elle n'a pas retrouvé son niveau de PIB d'avant crise Covid.

Pour Olivier Fagnot, ce rebond constitue "une bonne surprise, même si l'inflation a atteint un niveau record depuis trente ans". Mais elle reste contenue à un niveau inférieur à celui de la France par exemple. Pour le directeur de l'Isee, on peut mettre ce résultat sur le compte des mesures locales contre la vie chère, du type boucliers prix. Mais cette inflation, même contenue, a plus durement frappé les 20% de la population qui ont les revenus les plus bas. Ce sont eux qui ont subi le poids notamment de la hausse des prix de l'alimentaire.

Et de toute façon, les prix pouvaient difficilement augmenter plus, ils sont déjà à un niveau largement supérieur à ceux que connaissent les Métropolitains. Pour comparaison, les biens et services sont 31% plus cher qu'en France. Les prix de l'alimentaire, eux, sont 78 % plus élevés.

Recensement en septembre 2024

L'Isee prépare actuellement le recensement 2024. Il aura lieu en septembre et nécessite une année d'organisation. Ses données permettront de préciser les observations effectuées depuis le précédent et serviront à élaborer les politiques publiques. Et devrait permettre de mettre enfin tout le monde d'accord notamment sur les questions démographiques.