"De la fédération et du gouvernement, on attend 850 000 francs." Philippe Cognet, le gérant de la société Chripau sport, parle en toute transparence. "On a commandé toutes les tenues des arbitres qui ont été invités sur le territoire pour ces matches internationaux. Ils étaient entre quinze et vingt [douze selon la fédération] : il fallait des polos, des sweats et des bermudas. On l'a fait en urgence à Auckland, en Nouvelle-Zélande, chez la marque Lotto [pour respecter les normes imposées par la Fifa], qui nous a permis de les avoir assez rapidement, avec un coût de fret très élevé, et on a livré dans les temps, à la dernière minute."
"Silence radio" de la FCF
Un remboursement a été promis, facture à l'appui, mais Philippe Cognet ne voit toujours rien venir. C'est "silence radio" du côté de la Fédération calédonienne de football (FCF). "On a essayé tout doucement de ralentir les paiements en lien avec cette commande. Le problème, c'est qu'à un moment il faut reverser les taxes et la TGC notamment, régler le fournisseur, le transitaire... C'est endémique à la Nouvelle-Calédonie : quand on peut anticiper, on ne le fait pas. On préfère travailler dans l'urgence, systématiquement."
Résultat, on se retrouve avec des agios à payer à la banque parce qu'on est dans le rouge à cause d'eux. Et on n'est pas crédibles auprès des marques avec lesquelles on travaille si on paye en retard.
Philippe Cognet, gérant de la société Chripau sport
"On a beau soutenir les clubs, économiquement c'est très difficile. Le sport n'est pas aidé comme il se doit en Calédonie", assume Philippe Cognet. L'entreprise avance énormément d'équipements, tous sports confondus. La FCF n'est qu'un de ses débiteurs.
Plusieurs relances
À l'hôtel Nouvata, la Fédération calédonienne de football est classée parmi les mauvais payeurs. En 2023, la comptabilité avait vu une facture soldée suite à une compétition qui s'était déroulée en... 2022. En ce mois de mars 2024, cinq mois après le tournoi, il a fallu "plusieurs relances" pour récupérer "à peu près les deux tiers d'un cachet assez important", livre un membre de la direction.
C'est dans cet établissement que les délégations étrangères ont séjourné. "Deux fois une semaine, avant et après les rencontres à Koné", qui se sont tenues le 11 octobre 2023. Le "bon de commande s'élevait à douze millions", selon Marcel Unë, deuxième vice-président de la FCF, "mais l'hôtel nous a facturé d'autres prestations, des extras. On a déjà réglé onze millions". À Koné, l'hôtel Koniambo a lui aussi dû "batailler" pour recevoir le paiement de la fédération, "début 2024".
La prochaine fois, une réservation de la Fédération calédonienne de football ne se fera pas chez nous sans un acompte conséquent. On a quatre-vingt salariés, des fournisseurs...
Un membre de la direction de l'hôtel Nouvata
Du côté des arbitres, l'un des participants explique avoir reçu une réponse il y a quelques jours : "Le règlement est en cours". Un autre assure que "sur les compétitions internationales, ça met habituellement, au maximum, deux mois pour être payé".
Trois mois pour tout organiser
"95 % des factures ont été réglées à ce jour, affirme Marcel Unë, qui cumule les casquettes de coordinateur de la compétition, de deuxième vice-président de la FCF, et de chef de cabinet de Mickaël Forrest, en charge du sport au gouvernement. Il répond en tant que vice-président de la Fédération calédonienne de football. "Ce tournoi est organisé sous l'égide du Groupe fer de lance mélanésien. Initialement le pays hôte, c'était les Salomon. En prévision des Jeux du Pacifique en décembre, le pays voulait faire de ce tournoi un test de ses installations. Mais les travaux ont duré plus longtemps que prévu, et Honiara a décliné la réception de cette édition 2023".
Un temps supplémentaire de préparation nous aurait aidé. Là, en trois mois, ça n’est pas évident d’organiser un tournoi de cette envergure.
Marcel Unë, deuxième vice-président de la FCF
Il a alors été proposé à la Nouvelle-Calédonie d'accueillir la Prime minister's cup. "Proposition acceptée fin juin. Il nous restait trois mois pour mettre en place l’organisation". La FCF, qui est reconnue par la Fifa et également membre de l’OFC, la Confédération du football d'Océanie, est devenue l’opérateur de cette deuxième édition. Il s'agissait de transporter, loger et nourrir cent cinquante personnes. Mais l'évènement n'a pas été prévu dans l'exercice 2023. "Notre budget a été validé en février. Le gouvernement a donné quinze millions, qu’on a reçus très tardivement. À partir de là on a commencé à payer nos prestataires".
En attente de financements supplémentaires
"Oui, il nous reste des factures, confirme Marcel Unë. Comme la compétition a été décentralisée, on attend une participation de la commune de Koné, de la province Nord [le deuxième tour s'est joué le 11 octobre 2023 au stade Yoshida] et du Groupe fer de lance. Les fédérations étrangères doivent également contribuer au per diem [coût journalier], qu'on a évalué à 70 $ [7 600 francs] par jour et par personne. Une fois qu'on aura récupéré tout ça, on verra s'il est nécessaire de demander une rallonge à la Calédonie".
À travers l’organisation de cette compétition, la Nouvelle-Calédonie souhaite affirmer sa place dans le football régional et notamment mélanésien, afin d’accueillir des événements phares à l’instar de la coupe du monde des jeunes Fifa ou la coupe du monde féminine Fifa, en les co-organisant avec d’autres pays de la Mélanésie.
Extrait du site internet du gouvernement de Nouvelle-Calédonie
La Calédonie avait-elle les moyens de son ambition ? Celle d'organiser au pied levé une compétition inscrite dans le calendrier de la Fifa en période de vache maigre ? "Oui, répond encore Marcel Unë. Si on avait su qu'on était le pays hôte en 2022, on aurait pu budgéter ça pour 2023, trouver des partenaires privés plus conséquents… Là, en trois mois, ça n’est pas évident d’organiser un tournoi de cette envergure". Et les entreprises calédoniennes associées se doivent d'avoir les reins solides.