Visé par une plainte pour harcèlement il y a un peu plus d’un an, le sociologue et élu municipal de Dumbéa Larry Martin, 45 ans, doit comparaître le 13 décembre au palais de justice de Nouméa. Il devra répondre de "l'envoi réitéré de messages malveillants par voie électronique" à l’une de ses collègues, avec laquelle il entretenait une relation amoureuse. Il sera également entendu par la justice, le même jour, pour "violence conjugale sans incapacité temporaire de travail" sur l'une de ses anciennes compagnes, dans un autre dossier.
Deux affaires pour lesquelles le prévenu sera jugé en CRPC (comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité), plus connue sous l’appellation de "plaider coupable". Une voie judiciaire qui permet de juger rapidement l’auteur présumé d’une infraction qui reconnait les faits. A l’instar de Larry Martin, même s'il reste présumé innocent à ce stade. Sollicitée par la rédaction de NC La 1ère, maître Cécile Moresco, son avocate, précise que son "client ne souhaite pas communiquer".
Des messages agressifs et orduriers
C’est par une plainte de Jeanne* que l’affaire débute, en octobre 2022. Âgée d’une trentaine d’années, la jeune femme travaille alors à la direction de la Jeunesse et des sports de la Nouvelle-Calédonie (DJS-NC). Une direction où exerce également Larry Martin, en tant que chef de projet de l’Observatoire de la jeunesse. S’il n’est pas officiellement son supérieur hiérarchique, il en a tous les attributs. C’est lui qui distribue les tâches et réalise ses entretiens annuels d’évaluation. Une relation professionnelle, doublée d’une "relation affectueuse qui a duré", précise à NC la 1ère le procureur de la République Yves Dupas, pendant laquelle Jeanne dit avoir subi des violences psychologiques et sexistes répétées.
L’une de ses plus proches amies, entendue dans les deux enquêtes, administratives et pénales, dit avoir été témoin des remarques faites à Jeanne* sur son habillement et de messages aux « phrases assassines ». « A mesure des yo-yo émotionnels, de l’alternance chaud-froid, Jeanne* devenait de plus en plus taciturne, de plus en plus morose et de plus en plus triste, relate-t-elle dans son témoignage. Elle se remettait sans cesse en question, puis mettait les bouchées doubles pour regagner la confiance de son supérieur. Tout est allé crescendo. Il y a deux ans, Jeanne* n’était plus que l’ombre d’elle-même. »
Ce sont les nombreux messages envoyés par voie électronique que la justice a retenus dans le dossier, qui seraient des insultes, des humiliations, des chantages à la promotion, voire des menaces.
Enquête administrative
En 2022, après avoir alerté le directeur de la DJS-NC, Jeanne* se décide à faire part de son histoire à une représentante de la Fédération des fonctionnaires. "J’avais à peine lu deux messages que j’ai commencé à faire des bonds. On ne s’adresse pas à un être humain comme ça et encore moins dans le monde du travail, s’indigne la syndicaliste. Tout cela a eu un impact aussi bien dans sa vie personnelle que professionnelle, dans la mesure où ces agissements se sont partagés dans les deux espaces."
Le syndicat obtient une audience auprès de la direction des ressources humaines de la fonction publique de Nouvelle-Calédonie. Puis sur la base des éléments fournis, le gouvernement diligente une enquête administrative.
Suspension temporaire
Suivant la procédure, la collectivité fait également un signalement auprès de la justice. Tandis que Jeanne* porte plainte à la gendarmerie. Dès le début de l’enquête administrative, Larry Martin est suspendu temporairement de ses fonctions au sein de la DJS-NC. Au total, une trentaine d’agents de la direction, ainsi que des personnes extérieures proches des deux fonctionnaires, sont entendus dans ce dossier.
Le 31 mai 2023, une commission administrative paritaire est amenée à statuer dans le cadre d’un conseil de discipline. Plusieurs niveaux de sanctions sont possibles : de la radiation du tableau d’avancement à la révocation, en passant par la rétrogradation ou le déplacement d’office. Aucune sanction ne sera prise ce jour-là. Selon certaines sources en interne, la commission aurait décidé de lier sa décision à celle de la justice. Autrement dit d’attendre la réponse pénale pour se prononcer sur la sanction administrative. Contacté, le gouvernement "ne souhaite pas réagir à ce stade, la procédure étant toujours en cours".
Plusieurs ex-compagnes auditionnées
Le temps de la justice est toujours un peu plus long. Tout d’abord, Larry Martin porte plainte, à son tour, contre la plaignante pour dénonciation calomnieuse. L’enquête menée par les gendarmes de la brigade de recherches de Nouméa va permettre d’auditionner de nombreux témoins. Des collègues, des proches, mais aussi plusieurs anciennes compagnes de Larry Martin sont entendus par les enquêteurs. Leurs récits comportent de nombreuses similitudes. "Il me reprochait une démarche de séduction. J’évitais les situations qui génèrent du conflit, alors je me suis progressivement éloignée de mes amis et des réseaux", témoigne l’une d’elles à NC la 1ère. La jeune femme se souvient d’un homme "très contrôlant" pouvant "appeler toute la journée" avec insistance. "Il fallait que je réponde, sinon j’avais droit des insultes et des reproches."
Gifle et crises de jalousie
Puis la déposition d’une autre ex-compagne va apporter de nouveaux éléments à l’enquête. Leur histoire a duré à peine un an, de 2015 à 2016. Mais elle a laissé des souvenirs douloureux à Sandrine*, qui a accepté de témoigner à NC la 1ère. "Au bout de deux mois, j’ai constaté qu’il était d’humeur variable, surtout en rentrant de soirée. C’était très insidieux au début, cela concernait mes vêtements d’abord. Il fallait que je me couvre le corps. Il disait qu’il était fier d’être avec moi, mais qu’il fallait que je sois classe", relate cette quadragénaire. Avant de poursuivre. "L’étape suivante, cela a été la jalousie envers d’autres hommes, encore une fois sur fond d’alcool mais pas toujours. C’était l’ascenseur émotionnel tout le temps. Puis en vacances en Australie, parce que j’ai refusé de lui donner le code pin de mon téléphone, il m’a giflée."
Ce dernier s’excuse aussitôt, selon Sandrine*. Pourtant, la scène se serait reproduite peu de temps après, à Dumbéa-sur-Mer cette fois. "On rentrait d’une soirée d’anniversaire. Il m’a refait une crise de jalousie, en me demandant mon téléphone. J’ai menacé de le quitter, il est entré dans un état second. Son visage était déformé par la colère. J’en ai encore des frissons."
Face aux enquêteurs, Sandrine* détaille également cette soirée : "il a attrapé mon téléphone et l’a éclaté par terre. Il a pris les clés de ma voiture pour m’empêcher de partir (…) Il m’a traînée sous la douche avec lui, en me prenant par l’oreille (…) Il m’a poussée sur le lit et a posé sa main sur ma gorge en appuyant sa paume sur mon cou. Cela m’empêchait de respirer. Et puis, il m’a giflée à plusieurs reprises."
Une deuxième plainte déposée pendant l’enquête
Une scène de violence que Sandrine* confie avoir "subie en silence" à NC la 1ère. "Mes enfants et les siens dormaient dans une pièce juste à côté." Ce n’est qu’une fois Larry Martin assoupi, qu’elle aurait pris la fuite avec sa famille, avant de le quitter définitivement. "J’ai fait des cauchemars pendant plusieurs mois après cette nuit horrible."
Sandrine* n’a pas porté plainte après cette soirée. "J’avais peur qu’il ne voie plus ses enfants et je voulais qu’il me fiche la paix. Mais quand j’ai su qu’il y avait eu d’autres victimes, j’ai regretté de ne pas l’avoir fait". Lors de son audition par les gendarmes, dans l’affaire de Jeanne*, elle se décide donc à porter plainte à son tour, après avoir "revécu la scène".
Au cours de l’enquête, "l’auteur présumé a reconnu avoir giflé" la plaignante, indique pour sa part le procureur de la République.
Des poursuites passibles d’un à trois ans de prison
Au terme de plusieurs mois de procédure, le parquet décide de poursuivre Larry Martin pour deux affaires. Les accusations de harcèlement, pour lesquelles Jeanne* avait porté plainte, sont requalifiées en "envoi réitéré de messages malveillants par la voie de télécommunications électroniques". Selon l’article 222-16 du Code pénal, cette infraction est un délit puni d’un an d’emprisonnement et d’une amende d’1,7 million de francs. Une peine de prison triplée, quand il s’agit d’un conjoint ou concubin. "La nature de leur relation est le champ du débat judiciaire", précise le procureur de la République Yves Dupas.
Deuxième infraction retenue : celle de "violence conjugale sans ITT", pour laquelle Sandrine* a porté plainte. La peine maximale encourue pour ce délit est de trois ans de prison et 5,4 millions de francs d’amende.
Maintenu à son poste d’adjoint au maire
Après la très médiatique affaire Creugnet, du nom de l’élu indépendantiste soupçonné d’agression sexuelle sur une hôtesse de l’air, la famille non indépendantiste est donc rattrapée, à son tour, par la question des violences faites aux femmes. Mais la procédure qui concerne Larry Martin n’avait, jusqu’à présent, pas été révélée publiquement.
Contrairement à Jean Creugnet, qui a rapidement démissionné de son mandat de troisième vice-président du Congrès de la Nouvelle-Calédonie (tout en restant élu à la province Nord), aucune mesure conservatoire, pour l’heure, n'a été prise au niveau politique, à l’encontre de cet élu municipal sans étiquette, siégeant au sein de la majorité Rassemblement-LR de la deuxième ville du pays.
Au mois d’octobre, Larry Martin a été conforté dans son fauteuil de 11e adjoint au maire, en charge de l’insertion, de la prévention et de la citoyenneté, après la réélection du conseil municipal de Dumbéa . Un scrutin au cours duquel Georges Naturel, nouvellement élu sénateur de la Nouvelle-Calédonie, a laissé son écharpe de maire à son successeur tout désigné, Yoann Lecourieux. "J’aviserai après la décision de justice", déclare le tout nouvel édile à NC la 1ère pour justifier l’absence de mesure à l'encontre de son adjoint.
Partenaire agréé d’un comité pour l’égalité des sexes à l’école
Maintenu à son poste de conseiller municipal, Larry Martin s’est ainsi retrouvé, il y a près d’un mois, à la clôture du premier séjour de cohésion du Service national universel, à l’université de Nouville... à quelques mètres d’une des deux plaignantes, elle-même co-organisatrice de l’événement. "Depuis toutes ces années, je ne l’avais croisé qu’une fois par hasard, signale Sandrine*. Et là, alors qu’on était à quelques semaines du procès, le voir s’asseoir non loin de moi dans l’amphithéâtre, ça m’a d’abord déstabilisée, puis bouleversée."
Quelques mois plus tôt, Sandrine* s’était déjà émue de voir le nom de Larry Martin, sociologue de formation, parmi les personnalités invitées à animer une conférence pour la journée internationale de l’élimination des violences faites aux femmes, le 25 novembre 2022, à La Foa. Elle avait d’ailleurs alerté la mairie. Mais l’événement avait finalement été annulé pour des raisons d’agenda.
Enfin, à quelques jours de sa comparution, Larry Martin figurait toujours sur le site Internet du vice-rectorat parmi les partenaires agréés du cluster Comité 3E, un dispositif chargé de promouvoir l’éducation à l’égalité entre les filles et les garçons à l’école et lutter contre les stéréotypes sexistes.
Une charte d’exemplarité pour les élus
En Nouvelle-Calédonie, où les violences faites aux femmes battent des records nationaux, plusieurs institutions calédoniennes disent vouloir se saisir de cet enjeu. En 2019, le gouvernement Santa en avait fait une grande cause territoriale. Puis en 2021, dans sa déclaration de politique générale, son successeur Louis Mapou avait reconnu que "dans notre pays, cette cause [était] loin d’être portée à sa juste valeur". Avant d’assurer vouloir "consacrer une attention majeure à la lutte contre ces violences".
Face aux récentes condamnations, enquêtes et information judiciaire visant des hommes politiques calédoniens, le Congrès de la Nouvelle-Calédonie planche actuellement sur une charte de l’élu, dans laquelle il s’engagerait "à adopter un comportement empreint de probité". Une initiative portée par la commission des droits de la femme et de la famille du boulevard Vauban, et que certains élus de Dumbéa aimeraient bien appliquer à leur conseil municipal. "La première des luttes, c’est l’exemplarité, estime l’un d’eux. Il en va de notre crédibilité auprès des citoyens."
L’affaire Adrien Quatennens
Ce dossier judiciaire visant un élu de la République n’est pas sans en rappeler un autre, qui avait fait les gros titres de la presse, dans l’Hexagone. Député du Nord et ex-numéro deux de La France insoumise, Adrien Quatennens a été jugé en CRPC l’an dernier, pour "messages malveillants" et "violence conjugale sans ITT". Le parlementaire, qui ne présentait aucun antécédent judiciaire, avait reconnu avoir giflé son ancienne compagne et s’était mis temporairement en retrait de son poste de député.
Le 13 décembre 2022, Adrien Quatennens a été condamné à quatre mois de prison avec sursis et environ 240 000 francs de dommages et intérêts. Une peine qui lui a valu d'être écarté pendant quatre mois du groupe des députés LFI à l’Assemblée nationale.
(*) Prénoms d’emprunt
A la suite de la publication de cet article, le Rassemblement-LR nous a adressé le droit de réponse suivant :