ENQUETE. "Tu peux faire des performances extrêmement élevées ou tout perdre" : à la rencontre de la communauté Bitcoin de Nouvelle-Calédonie

La cryptomonnaie Bitcoin
Potentiellement très rentable mais aussi extrêmement volatile, le Bitcoin suscite autant de fascination que d'interrogations, y compris sur le Caillou. Alors que la valeur de cette cryptomonnaie n'a jamais été aussi élevée, une poignée de Calédoniens en suivent assidûment le cours au quotidien.

Les yeux rivés sur son ordinateur portable, Jean* balaie du regard un tableau de chiffres. Ce Nouméen y a compilé, au milieu de dizaines de cases, les montants de ses investissements consentis depuis quelques années. Des sommes importantes placées non pas dans une assurance vie ou un compte épargne, mais dans le Bitcoin, la monnaie virtuelle (ou cryptomonnaie) la plus répandue au monde avec près de 300 millions d'utilisateurs.

En expliquer précisément le fonctionnement prendrait un nombre incalculable de paragraphes. Dans les grandes lignes, les Bitcoins sont générés de manière régulière à partir d'ordinateurs. N'importe quel internaute peut ensuite en acheter, via des plateformes spécialisées, à un prix fluctuant selon l'offre et la demande. Initialement équivalent à quelques francs lors de sa création en 2008, le Bitcoin est aujourd'hui synonyme de montants démesurés.

Depuis l'élection de Donald Trump, qui souhaite assouplir la réglementation sur les cryptomonnaies, il a même atteint son plus haut niveau historique, dépassant désormais les 10 millions de francs pacifique.

La valeur du Bitcoin a progressé de près de 40% depuis l'élection de Donald Trump.

Des millions en jeu

L'impressionnante courbe a de quoi susciter l'enthousiasme de Jean. Six ans après avoir découvert le milieu, cet ingénieur de formation ne jure plus que par la cryptomonnaie, assurant même se sentir "plus en confiance avec le Bitcoin qu'avec les monnaies fidiciaires". Le Calédonien connaît son lexique sur le bout des doigts et multiplie les termes techniques lorsqu'on le lance sur le sujet, à coups de "pump" (hausse de prix), "bear market" (marché à tendance baissière) ou encore "DCA" (achats fixes effectués de manière régulière).

"Au début, je misais des sommes modestes. Et quand j'ai commencé à avoir des valeurs significatives dans mon portefeuille, je me suis mis à suivre précisément mes transactions, enregistrer mes entrées, mes sorties, calculer mon prix d'achat moyen", détaille le trentenaire, qui s'est constitué un petit trésor au fil du temps. Son porte-feuille s'élève aujourd'hui à 1,58 BTC, soit plus de 16 millions de francs, dont 12 millions de plus-value. 

Une somme considérable, que Jean considère comme son "épargne pour la retraite" mais qui restera virtuelle tant qu'il n'aura pas revendu ses actifs. En d'autres termes, si le cours du Bitcoin s'effondre, ses réserves aussi. Un scénario auquel ne croit pas l'investisseur. "Pour moi, ça a autant de chances de survie que le S&P 500 (le principal indice boursier américain). On est sur un actif qui a une vraie rareté, d'autant que la limite a déjà été fixée : il n'y en aura pas plus de 21 millions", souligne-t-il. 

La plus célèbre des cryptomonnaies constitue toutefois un placement risqué car elle demeure extrêmement volatile. Sa valeur peut augmenter ou diminuer significativement en très peu de temps. En 2022, le cours avait ainsi été divisé par trois en l'espace de quelques mois seulement, avant de reprendre progressivement des couleurs. "Tu ne sais pas si tu vas vraiment garder tes billes à la fin, tu peux faire des performances extrêmement élevées mais tu peux aussi tout perdre", confie Gilles*, un autre passionné de Bitcoin lui aussi trentenaire. 

La mauvaise réputation

"Quand on me dit que le Bitcoin sera toujours là dans 100 ans, je n'en suis pas sûr et certain personnellement. On ne peut pas prédire tout ce qui va se passer sur Terre", poursuit ce Calédonien qui s'est lancé il y a quelques années suite au bouche-à-oreille. "Il y a un côté addictif, comme dans les jeux d'argent. Je pouvais y passer deux à trois heures par jour pendant les deux premières années".

Le jeune homme confie même être passé par la cryptomonnaie pour vendre du cannabis auprès d'autres passionnés de crypto. "C'était un peu le far-west, on pouvait effectuer des paiements en utilisant une carte bleue qui n'était pas forcément nominative", sourit-il, évoquant "une époque qui a bien changé".

De fait, le Bitcoin a longtemps traîné l'image d'une monnaie sulfureuse associée à l'argent sale. Une réputation liée notamment à son utilisation sur le réseau Silk road,qui avait fait scandale au début des années 2010. Ce site internet, accessible uniquement via le dark web, faisait office de marché noir laissant transiter drogues, armes, poisons et faux papiers en toute illégalité.

"Aujourd'hui, il y a beaucoup plus de régulation, tout est traçable. Sur les plateformes, tu dois fournir ton identité, un avis d'imposition, pas mal de documents", explique Gilles. Avec l'équivalent de trois millions de francs en Bitcoin sur ses comptes, l'investisseur se qualifie de "petit porte-feuille". "Je pensais les garder le plus longtemps possible, mais maintenant, avec un peu plus de maturité, je vais certainement récupérer ma mise de départ et réinvestir le reste en achetant d'autres Bitcoins", conclut-il.

Un décompte difficile

Comme Gilles et Jean, combien de Calédoniens se passionnent aujourd'hui pour la reine des cryptomonnaies ? Impossible d'en connaître le nombre précis, d'autant que les investisseurs s'étendent généralement peu sur le sujet, "de peur de susciter des jalousies", précise Jean.

Sur les réseaux sociaux, certains groupes d'entraide se sont toutefois montés localement. Le plus grand d'entre eux compte un peu plus de 70 participants. Ses membres y échangent des conseils, des actualités, des anecdotes autour des cryptomonnaies. Et comme un symbole, la CCI-NC a accueilli fin 2023 une première conférence sur l'investissement dans les cryptomonnaies. L'évènement a fait salle comble.

A l'échelle des territoires ultramarins, le sujet semble aussi suffisamment important pour que l'Institut d'émission Outre-mer s'en empare. Ces deux dernières années, la filiale de la Banque de France a ainsi multiplié les communications notamment autour des risques associés à l'usage des cryptomonnaies.

*Les prénoms ont été modifiés pour respecter l'anonymat des personnes interviewées