INTERVIEW. Bien-être à l’école et harcèlement scolaire : "Il y a une vraie libération de la parole", selon Gérald Giacomino, référent au vice-rectorat

Anne-Marie Gobillot, Gérald Giacomino et Marie-Christine Garin se sont longuement prêtés au jeu de l'interview.
En ce début d'année scolaire, NC la 1ère poursuit ses dossiers consacrés à l'école en Nouvelle-Calédonie. Cette semaine, on s'attarde sur le bien-être des élèves en général, et le harcèlement en particulier. Comment ces questions sont-elles abordées par l'institution éducative ? Entretien avec trois personnes ressources du vice-rectorat.

Troisième volet. Après une série de témoignages sur le harcèlement scolaire en Nouvelle-Calédonie, après l'analyse du phénomène par des professionnelles de santé, place au regard que le vice-rectorat porte sur ce sujet, et sur le bien-être à l'école en général. Autour de la table, trois expertises, celles de :

  • Gérald Giacomino, conseiller principal d’éducation, référent en matière de sécurité, sûreté et gestion des faits de violence dont le harcèlement. 
  • Marie-Christine Garin, infirmière coordinatrice.
  • et Anne-Marie Gobillot, coordinatrice des psychologues de l’Éducation nationale, anciennement conseillers d’orientation psychologues.

NC la 1ère : Qu’est-ce qu’on met derrière l’expression "harcèlement scolaire" ?
Gérald Giacomino : Le harcèlement scolaire est une notion récente, il apparaît en tant que délit à part entière seulement depuis l’année dernière. Dans les établissements, des situations de mal-être remontent. En revanche, c’est l’enquête qui va donner lieu à une décision du procureur, qui va caractériser. Dire : "Oui, sur la base des éléments retenus, il y a harcèlement." On est très prudents sur le vocabulaire.

A-t-on des données chiffrées sur le phénomène en Calédonie ? 
G. G  : La caractérisation judiciaire échappe aux établissements. Lorsque le problème est posé, il apparaît avec le mot harcèlement, mais le retour n'est pas fait du tribunal vers l'établissement. Ce qui ne nous donne pas une vision de ce que cela représente en termes de chiffres. 

Même le vice-rectorat a du mal à en mesurer l'importance ? 
G. G  : On invite les établissements à signaler si il y a des caractéristiques de harcèlement, sur une application qui s'appelle "persévérance". Mais on ne peut pas dire "c’est du harcèlement" parce qu'encore une fois, il faut une enquête, il faut l'établir. Et il y a pour ça des données externes à l'école qu'on ne maîtrise pas. 

Arrivez-vous à évaluer si le phénomène est plus important qu'avant ? 
G. G  : Il y a une vraie libération de la parole. C'est le point le plus important, la valeur ajoutée dans les méthodes proposées actuellement. En termes de violences globales, si on compare l'année 2022 à l'année 2019 (2020 et 2021 ont été fortement impactées par la crise sanitaire), le constat est plutôt à la diminution des incivilités et des violences. C'est un indicateur fort. Mais on n'est pas dans la capacité de dire quelle est l'évolution en termes de harcèlement sur les dernières années.
Anne-Marie Gobillot : La lutte contre les violences faites à l'école ne date pas de 2022. C'est vrai qu'un focus est fait très récemment mais on l'évoque depuis la fin du XXe siècle, quand même ! Après, on s'entend tous dans la société actuelle pour dire que c'est inacceptable. 

Vous faites une différence entre le pénal et l’éducatif…
G. G  : On invite les familles à faire un dépôt de plainte. Mais l’éducatif n’attend pas la décision du pénal, qui peut être longue. Ce qui remonte dans un établissement, c’est de l’éducatif. Il va se saisir d’une situation de mal-être, qu’elle soit présentée comme du harcèlement, une difficulté de l’élève dans sa scolarité, ou un ressenti douloureux. Il y a tout de suite une prise en charge.

Quelle est-elle ?
G. G : En amont de la création de cette loi, le vice-rectorat était à la rentrée 2022 sur une stratégie globale de lutte contre le harcèlement qui rebat un peu les cartes. A l’époque, il y avait dans les établissements un référent unique. Aujourd’hui, on est dans une stratégie d’équipe, avec des expertises multiples - santé, social, psy… Il existe un protocole du vice-rectorat, qui est un accompagnement. Chaque établissement crée le sien, son plan de prévention et met en place son équipe, pour arriver à une plus grande efficacité. On travaille en collaboration avec les forces de l’ordre. On partage des outils de repérage du harcèlement. Nous avons des questionnaires destinés aux familles, aux élèves et aux équipes éducatives, pour croiser les regards.

Le système du référent unique par établissement ne fonctionnait pas ?
G. G : Depuis la rentrée 2022, on s’est posés dans le cadre des recherches qui ont été réalisées : en Métropole, il a été mis en place un plan qui s’appelle le programme pHARe. Il invite à ce travail en équipe. Le référent [unique] avait un rôle bien défini. Mais la difficulté du harcèlement est que même un adulte au contact du jeune en permanence, je pense aux parents, peut passer à côté d’un mal-être profond. Ça induit l’idée que la plus grande efficience est à chercher dans le croisement des regards. Et encore une fois, le problème n’est pas de dire si c’est du harcèlement ou pas. Il y a un mal-être. Comment, collectivement, va-t-on apporter une réponse ?

Justement, quelle va être la réponse de l'institution scolaire ?
G. G : La solution éducative peut s’appuyer sur des traitements différents. Il existe des méthodes, telles que la méthode Pikas qui a fait ses preuves en Métropole. Dans nos formations, on la met un peu en avant. Elle amène à faire conscientiser les auteurs de harcèlement, à créer de l’empathie afin de ne pas asseoir une posture. Y compris chez la victime. Il ne faut pas qu'elle pense qu’elle n’a pas de rôle à jouer dans la situation de mal-être. Elle a des moyens d’y répondre, les compétences psychosociales lui permettent de dire non. 

Est-ce que la parole de l'enfant est entendue, dans les établissement scolaire calédoniens ? 
Marie-Christine Garin : Oui, tout à fait. Considérée, prise avec beaucoup de précautions. Et surtout, un enfant qui vient poser des révélations dans un établissement scolaire, on est là pour l'aider. On est très attentifs à la protection de l'enfance. Les personnels ont aussi des formations à la prévention des idées suicidaires et différentes formations qui leur permettent de repérer et d'être dans l'écoute de ces jeunes. 

Les parents confrontés à la douleur de leur enfant disent souvent que l'école "ne fait rien". Est-ce qu'en Calédonie, les établissements et l'institution éducative sont à la hauteur des situations de mal-être ?
M-C G : Complètement. Et les parents sont beaucoup intégrés dans les équipes que l'on peut faire lorsque leur enfant a un souci. Que ce soit du harcèlement ou autre. On favorise la co-éducation. C'est le partage des savoirs et cet engagement, ensemble, à amener l'enfant vers le même objectif : la réussite éducative et scolaire. 

G. G : Des situations nous remontent par les associations de parents d'élèves. Certaines ont même désigné des référents. On travaille en transparence. Des situations peuvent être tendues parce qu'on va être dans la recherche de responsabilités. C'est quelque chose de nécessaire, mais qui incombe au pénal. Par contre, le temps éducatif doit fournir une réaction immédiate. Un simple plan de classe peut suffire à désamorcer. Parfois, la situation est plus complexe. Mais ça nécessite que la parole soit libre, que les éléments en possession des parents soient livrés aux professeurs... Il faut poser les difficultés. Pas dans la recherche de responsabilités ou le rapport de force. Mais vraiment dans l'idée de l'alliance. Si la défiance s'installe, le rapport de force s'ensuit et l'élève va être pris dans un conflit d'adultes qui ne va pas mener à l'amélioration de sa situation. 

Qu’est-ce qui fait qu’on se sent bien à l’école, au collège ou au lycée ?
A-M. G : Le bien-être à l’école, qui prend une place significative aujourd’hui, c’est le sentiment de satisfaction individuel des élèves ou des personnels, dans les différents aspects de la vie scolaire. Les relations qu’entretiennent les élèves, les professeurs, les parents, tous les acteurs de la communauté éducative. Il est essentiel parce qu’il impacte, et il est fortement corrélé à, la réussite scolaire.


M-C G : Quand un élève, de sixième par exemple, arrive dans un établissement où le climat scolaire est dégradé, on peut avoir deux types de réactions. Soit il s’isole, et sa santé mentale peut se dégrader par peur de ce qui pourrait lui arriver. Ou il va adopter les attitudes des plus grands et participer à ce climat scolaire dégradé. Donc on a tout intérêt à travailler sur un climat scolaire qui soit favorisant pour les apprentissages et la réussite éducative des élèves.

Quels sont les leviers du bien-être à l'école ?
M-C G : On va utiliser différentes stratégies. Par exemple, avoir des personnels dans les établissements pour accompagner individuellement les élèves, mais aussi avoir des regards croisés sur des situations qu’ils pourraient avoir identifiées. Des personnels ressources (les psychologues de l’Education nationale, les assistants de services sociaux, les infirmiers) mais aussi tout type de personnel vont pouvoir identifier des choses qui leur semblent différentes ou les interpellent. Et croiser les regards dans le cadre de réunions où on peut parler de situations d’élèves qui pourraient basculer dans la rupture scolaire.

G. G : Une action essentielle consiste à échanger lors du Comité d’éducation à la santé, à la citoyenneté et à l’environnement. Il existe aussi des instances où les adultes sont à l’écoute des préconisations des élèves. 

M-C G : Le baromètre santé jeunes de 2019 montre que 77 % des enfants se sentent heureux, et huit sur dix aiment aller à l’école. Une catégorie a des comportements qui peuvent être violents et rejetants. On va les prendre en charge, les accompagner dans ce grand chemin qu’est l’adolescence où tous les enfants sont en recherche d’identité. Mais la majorité vont bien et apprécient d’être à l’école.

Dans l'enquête Bien dans mes claquettes faite en province Sud en 2022, 11 % des élèves interrogés ne se sentent pas en sécurité avec les adultes du collège...
G. G : A l’échelle du territoire, six jeunes sur dix répondent qu'ils se sentent en sécurité à l'école "la plupart du temps ou toujours". Mais ça laisse une part qui a besoin d’être rassurée. La sécurité est un levier du bien-être.

La réponse apportée, ce ne sont pas forcément des actions de lutte ou de prévention du harcèlement à proprement parler ?
A-M. G : C'est plus large que ça. 
M-C G : Parmi les stratégies qui marchent dans nos établissements, on a mis en place en Calédonie, depuis 2019, les "écoles promotrices de santé", sous l'appellation "aller bien pour mieux apprendre". Elles permettent de créer ce climat scolaire favorable aux apprentissages, à l'épanouissement, aussi bien de l'élève que des personnels. 


Quelle(s) forme(s) cette démarche "ABMA" prend-elle ?
M-C G : On dit que le climat scolaire, ça ne se décrète pas, ça se mérite. On va aller faire un état des lieux de ce qui ne se passe pas forcément très bien. L'équipe va proposer des solutions. C'est une approche systémique et personnalisée d'un établissement de manière à faire un plan d'action, en prenant en compte celles qui sont déjà menées. Parce que les établissements font beaucoup de choses. Mais parfois il manque du lien entre les actions. Cette démarche va apporter de la cohérence. Quinze collèges et lycées sont déjà dans la démarche et cinq se sont inscrits pour cette année.

Y a-t-il une problématique qui préoccupe en particulier la communauté éducative ? 
A-M. G : Le souci actuellement est le taux d'absentéisme. On a une déperdition d'élèves en cours d'année qui est importante. Le Covid joue un rôle et puis une perte de motivation de la part des enfants.. Les raisons de ce décrochage sont complexes. Une des premières manifestations du bien-être à l'école, pour le coup du mal-être à l'école, ce sont ces absences, ou ces enfants qui sont physiquement là mais absents du déroulement du cours. 
M-C G : D'où l'intérêt de développer ce plaisir de venir à l'école. Et de valoriser l'élève, lui donner envie d'apprendre. Les années Covid ont tellement impacté les familles qu'on a eu beaucoup de mal-être des ados qui se demandaient quel allait être leur avenir, et voyaient dans le milieu familial de graves dépressions liées au côté économique. Le climat scolaire est intimement lié à ce qui se passe dans les quartiers et dans les familles.