En octobre, le courant n'est pas passé, au Congrès. La loi du pays instaurant une taxe sur les carburants a été renvoyée en commission. Cette taxe était destinée à voler au secours des finances d’Enercal. Ce jeudi 18 janvier, les élus ont dû se prononcer sur une série de mesures destinées à sauver le fournisseur d’électricité. La délibération cadre déposée par les groupes UC-FLNKS et Nationalistes, UNI et Calédonie ensemble a été adoptée à la majorité, avec 31 voix pour et 18 contre.
13,2 milliards de déficit
Enercal affiche un déficit dépassant les 13 milliards de francs CFP, qui pourrait gonfler de 6 milliards par an si rien n’est fait. Pourquoi ce gouffre ? Déjà, pendant des années, le gouvernement n’a pas versé les avances consenties pour compenser la différence entre le coût de production et le prix de vente. Autres éléments, des tarifs non réévalués pendant des années, du photovoltaïque injecté dans le réseau à prix garanti et évidemment, l’explosion du prix des matières premières due à la guerre en Ukraine.
La chaîne de distribution menacée
À cela s’ajoutent les impayés des hôpitaux publics (plus d’un milliard) et de Prony Resources (430 millions par mois depuis octobre). Conséquence : toute la chaîne de distribution est menacée, puisque des opérations de maintenance ne peuvent plus être assurées et que le règlement des arrivées de fioul et de charbon, prévus fin février, n’est pas garanti.
Situation catastrophique
Les commissions du Congrès ont mis en évidence que la mise en place de la taxe sur l'équilibre tarifaire des carburants et les préconisations de la commission de régulation de l'énergie n'interviendraient qu'en fin 2024. Trop tard pour faire face à la situation catastrophique d'Enercal. Le boulevard Vauban étudiait donc ce jeudi la possibilité de prendre en urgence une série de mesures.
Mesures d'urgence
- Par exemple, augmenter le prix de l'électricité aux entreprises et aux ménages (d'une puissance supérieure à 3,3 kVA) et réexaminer les secteurs économiques ayant droit à un tarif préférentiel.
- Ensuite, mettre en place la taxe sur l'équilibre tarifaire sur les carburants et un fonds dédié à l'équilibre du système électrique. Cette taxe devrait permettre de couvrir le déficit courant et de rembourser les déficits antérieurs, pour cinq à dix ans. Elle concernera les opérateurs économiques qui bénéficient déjà d'exonérations.
Cela touche les secteurs suivants : métallurgie, mines et sous-traitants sur mine ; avitaillement des moyens de transport de liaison commerciale internationale, des navires de guerre, des véhicules de défense ou d’intérêt général, des navires de recherche océanographique, des navires de pêche professionnel, des navires et avions destinés à l’approvisionnement des îles ; armée, hôtels, boulangerie et agriculteurs. - Autre mesure, durcir les règles de rachat, par le réseau, de l'électricité produite via les installations photovoltaïques, au sol et sur les toits. Cela mettra un terme aux tarifs de rachat aux particuliers de leur surplus de courant. Il est aussi question de les réviser de manière rétroactive.
Dans son avis, le Conseil économique social et environnemental alerte sur le fait que cette mesure pourrait freiner la transition énergétique et faire perdre en attrait pour cette source d'énergie. Il craint également qu'elle sonne le glas de la construction de nouvelles fermes photovoltaïques. C'est une des raisons pour lesquelles le Cese a émis mercredi un avis défavorable sur la proposition de loi. - La part de la taxe sur l'électricité perçue jusqu'à présent par l'Agence calédonienne de l'énergie sera versée pour les trois prochaines années au nouveau fonds pour l'équilibre électrique. Ce qui représentera une perte de 230 millions pour l'agence.
- Enercal sera également exonérée d'impôt sur les sociétés jusqu'à ce que son modèle économique soit remis à plat, et que la somme due par la Nouvelle-Calédonie soit réexaminée. Le gouvernement devra par ailleurs faire des propositions pour régler les avances consenties par la Nouvelle-Calédonie à Enercal.
- Un malus écologique sera instauré pour les véhicules émettant le plus de CO2. il alimentera lui aussi le Fonds pour l'équilibre du système électrique.
- Mais surtout, l'article 3 prévoit que dès le premier trimestre 2024, la redevance payée aux mairies par le système électrique (EEC ou Enercal), dans le cadre des contrats de concession, soit revue à la baisse, en diminuant le plafond utilisé pour déterminer la part des redevances communales. Une perte de recettes de fonctionnement pour les municipalités, sans compensation.
Mobilisation des maires
Vingt-cinq des trente-trois communes sont alimentées par Enercal, qui produit la moitié de l’énergie consommée dans le pays. Les membres de l’Association française des maires se sont mobilisés, le 4 janvier, devant le Congrès, pour dénoncer cet article 3 de la délibération cadre. "Ces redevances d'occupation du domaine public nous permettent d'avoir une rétribution de 11 % [de la marge commerciale]. Là, on nous propose 2%, expliquait Sonia Lagarde, présidente de l’AFM-NC et maire de Nouméa. Si jamais on baisse ces redevances, qui sont des contrats dûment signés, ça coûterait 1,1 milliard aux communes."
Répercussions sur le budget des ménages...
555 millions de francs pour Nouméa, 90 millions pour le Mont-Dore ou 40 millions pour Bourail, par exemple. Cette baisse des recettes pourrait avoir des répercussions pour les habitants de l’ensemble des communes. "Ça vient s'ajouter aux soixante millions qu'on a mis en plus pour le SMTU [Syndicat mixte des transports urbains], aux vingt millions qu'on va mettre en plus pour l'enseignement catholique, énumère Eddie Lecourieux, maire du Mont-Dore. La multitude des augmentations fait qu'on n'en peut plus. Ça nous obligerait encore à augmenter le prix de l'électricité, des poubelles, de l'eau, de la cantine..."
... et sur les missions de service public
Conséquences : moins de recettes, davantage de dépenses et moins d’épargne pour les communes. Avec forcément une incidence sur les missions de service public. "Les structures intercommunales qui gèrent les services de déchets, d'incendie et de secours, des services qui sont difficiles à équilibrer par recettes… Celles-ci proviennent parfois de ces redevances d'occupation du domaine public, mais aussi des contributions communales. Au-delà des communes, beaucoup de structures qui agissent pour le quotidien des gens pourraient voir leur budget réduit", explique Damine Roine, chargé de mission pour l'Agence française de développement.
Débats tendus
Les Loyalistes et le Rassemblement se sont opposés à cette délibération cadre, à laquelle ils reprochent "un manque d'étude d'impact et un poids trop lourd sur les ménages". Le membre du gouvernement en charge de la transition énergétique, Christopher Gygès, a même fustigé des mesures qu'il juge "illégales". Notamment celle demandant la rétroactivité pour les tarifs de vente au réseau de l'électricité produite par le photovoltaïque. "Je ne signerai pas d'arrêté dans ce sens", prévient-il.
À l’instar des débats que l'hémicycle a connus pour la réforme du Ruamm, les échanges sur le sauvetage d'Enercal ont été marqués par les positions politiques des uns et des autres, ce qui a parfois occasionné des passes d'armes tendues. Il faut dire que l'enjeu est de taille : il s'agit tout bonnement de sauver le système électrique calédonien. Après plus de trois heures de séance, les élus ont finalement adopté cette délibération cadre : 31 voix pour et dix-huit voix contre. De quoi donner un peu d'air à Enercal. Au moins pour quelques mois...
Entérinée aussi, la taxe pour l'équilibre tarifaire
Dans la foulée, ils ont enchaîné avec le projet de loi du pays sur la taxe pour l’équilibre tarifaire. Adopté également, par 30 voix pour et 16 contre, sans les voix des Loyalistes et du Rassemblement. La TET, c'est son petit nom, inclut la taxe sur les produits pétroliers (TPP) et la taxe additionnelle sur les produits pétroliers (TAPP). Elle institue une taxe additionnelle et maximale de vingt francs sur le litre d’essence et de gazole. Dernière remarque, pour répondre aux besoins immédiats d'Enercal en trésorerie, un emprunt d’un milliard devrait être contracté auprès du Port autonome.