La Chine, consommatrice vorace de matières premières, première importatrice de cuivre chilien et de nickel calédonien, cherche à concurrencer la Bourse des métaux de Londres. Elle vient de lancer un contrat à terme sur le brûlant marché du cuivre. En attendant celui du nickel...
Le Shanghai International Energy Exchange (INE), division de la Bourse locale des matières premières (SHFE), a lancé le 19 novembre un contrat ouvert aux investisseurs étrangers pour l'achat de métal rouge, dont le Chili est le premier producteur mondial, après plusieurs galops d'essai dont un dérivé du pétrole en mars 2018. Ce contrat de cotation du cuivre pourrait être suivi du nickel, et plus précisément de l’alliage de Nickel Pig Iron (NPI), un dérivé à bas coût du ferronickel calédonien, fortement demandé pour l’acier inoxydable dont la Chine domine la production mondiale.
Ambition de Shanghai
Des contrats sur le cuivre existaient déjà en Chine, mais pour un négoce exclusivement domestique. Il s'agit "d'une étape nécessaire pour la croissance continue de l'industrie chinoise du cuivre", selon l'INE. "Plus la part de marché chinoise est significative sur une matière première donnée, plus la place de Shanghai sera en mesure d'attirer les investisseurs étrangers", analyse Philippe Sébille-Lopez, de l'institut Géopolia.
Et c'est bien le cas du cuivre, dont la Chine, "usine du monde", consomme la moitié de la production planétaire. Tout comme c'est aussi le cas du nickel, pour lequel la Chine est la première cliente de l'Indonésie, des Philippines et de la Nouvelle-Calédonie. La bonne santé économique chinoise compte donc parmi les principaux facteurs de hausse des prix du cuivre ou du nickel sur le London Metal Exchange.
Avantage à Londres
S'il est important pour les grandes compagnies de négoce d'y être représentées, le volume d'échange de la place boursière de Shanghai reste toutefois très faible en comparaison avec sa grande sœur londonienne. La City domine historiquement les échanges : le London Metal Exchange (LME), dont la création remonte à 1877, concentre en effet l'achat et la vente des principaux métaux non-ferreux utilisés dans l'industrie : cuivre bien sûr, mais aussi nickel, aluminium, plomb, zinc...
Le LME, par ailleurs filiale depuis 2012 du propriétaire de la Bourse de Hong Kong, le Hong Kong Exchanges and Compensation (HKEX), présente des avantages techniques de taille pour résister à un tel nouvel entrant comme un réseau d'entrepôts dans le monde entier ainsi qu'une liquidité et une flexibilité que seule une certaine taille peut apporter. Pour le cuivre ou le nickel, les deux plus importants entrepôts mondiaux se trouvent à Rotterdam et à Johor en Malaisie.
Sur le marché londonien, "vous pouvez vous porter acquéreur de cuivre ou de nickel et en prendre livraison à une date précise en fonction de vos besoins ou contraintes de fabrication et de transport", à la différence du contrat chinois, explique à l'AFP Marc Bailey, dirigeant de la maison de négoce Sucfin. Une donnée essentielle que confirme le négociant Marex Spectron, interrogé par Outre-mer 1ère. Mais de manière générale, "chaque nouveau contrat est intéressant, car il présente des opportunités de marge" en comparaison aux autres marchés, rappelle M. Sébille-Lopez. Sucfin n'a pour le moment pas ouvert ses échanges sur l'INE à ses clients et ne se positionne qu'en compte propre.
Changer ses yuans
Autre point noir pour les investisseurs, le contrat de l'INE est libellé en devise locale, le yuan, dont Pékin encadre les fluctuations. Mais le lancement de tels contrats contribue à la lente évolution de la Chine vers une convertibilité plus libre de sa monnaie. Ce marché, ouvert aux étrangers, permet "de convertir en dollars des profits réalisés en yuans via un compte auprès de la Bank of China (BOC, la première banque commerciale du pays pour les échanges de devises, ndlr)", souligne M. Bailey, ce "sans aucune restriction tant que cela reste lié à ce contrat, une différence fondamentale avec ce que nous pouvions faire auparavant".
Pour enrayer de colossales fuites de capitaux, Pékin serre historiquement la vis aux échanges de devises, imposant des plafonds drastiques. Selon M. Bailey, si la Chine cherchait à préparer la convertibilité prochaine de sa monnaie, elle ne s'y prendrait pas autrement.
Le cours du cuivre, "le métal qui gouverne le monde selon l'ouvrage du journaliste Bill Carter", est d'autant plus suivi qu'il est souvent considéré comme un indicateur essentiel de la santé de l'économie mondiale, une utilisation qui lui vaut le sobriquet de "Dr Copper", ou Dr Cuivre, régulièrement utilisé par Philippe Chalmin, le grand historien des matières premières. Mais le cuivre est aujourd’hui suivi de près par le nickel. Le "métal du diable" de l’acier inoxydable est devenu, sous une autre forme, celui des batteries des voitures électriques. Les deux métaux sont donc largement utilisés dans l'industrie mais leurs cours sont trés sensibles au fluctuations de l'économie mondiale.