Il emprunte pour la dernière fois le couloir située sous la tribune principale du stade Numa-Daly. Ces treize dernières années, Alain Moizan a connu bien des exploits en ce lieu. Aucun technicien n'a amassé plus de récompenses territoriales que lui sur le sol calédonien : 7 championnats et 4 coupes. Si quelques finales importantes lui ont échappé en chemin, l’ex-international français a su faire briller l'AS Magenta.
J'étais venu ici pour remporter des titres. J'avais une équipe pour gagner, parce qu'un bon entraîneur, c'est d'abord des bons joueurs. On a gagné 11 trophées, connu une finale de Champions league, perdue malheureusement, contre Hienghène, c'était enthousiasmant. Depuis deux ans, on ne jouait presque plus avec la crise sanitaire et c'était plus difficile de se motiver. C'est en partie ce qui m'a poussé à arrêter cette année
Alain Moizan, entraîneur de l'ASM sur le départ
Il a notamment contribué à des performances inédites et jamais reproduites, comme cette victoire au 7e tour de la Coupe de France 2010 contre Dunkerque. Avec Jean-Yann Dounezek dans les cages, Benjamin Longue en défense, Marius Bako et Pierre Wajoka au milieu, ou encore Jean-Philippe Saïko devant, l'équipe fait tomber pour la première fois un adversaire métropolitain de 5e division. Le match se décide aux tirs aux buts.
Des trophées et des exploits
Détermination, investissement, et condition physique sont ses exigences. Après les Jeux du Pacifique 2011, il les impose à la sélection calédonienne qu'il prend en main, en parallèle de l'ASM. Les Cagous qui disposent de Rocky Nyikéïne, Dominique Wacalie, Iamel Kabeu, Georges Gope-Fenepej ou encore Bertrand Kaï réussissent l'impensable en Coupe des Nations d'Océanie : faire tomber la Nouvelle-Zélande.
Un succès 2-0 dans le dernier carré qui ne sera pas suivi d'un sacre dans l'épreuve, les Tahitiens s'imposant 1-0 en finale, et se qualifiant pour la Coupe des Confédérations de la Fifa au Brésil.
C'était un moment très fort. Une véritable osmose s'est formée. Pourtant, je ne connaissais pas beaucoup de joueurs, mis à part ceux de l'ASM. Tout le monde a adhéré au style que je voulais : un pressing très haut pour gêner les adversaires dans leur très bonne circulation du ballon. Un garçon comme Bertrand Kaï était exceptionnel pour ça. J'ai toujours regretté de ne pas l'avoir dirigé en club parce qu'il a l'état d'esprit que j'aime. Tout le monde s'est mis à son diapason et on signe une victoire nette.
Alain Moizan
Ce moment marque un tournant dans la carrière de l'ancien joueur de Monaco, Lyon et Saint-Etienne dans le Pacifique. Elle le convainc que de grandes choses peuvent être réalisées par les Calédoniens dans la région.
Le moment le plus important pour moi en tant qu'entraîneur, ça a été de battre la Nouvelle-Zélande. On était toujours en train de dire après le match : 'Ah, on aurait pu'. On pensait toujours rivaliser en club ou en sélection avec eux, mais physiquement on était loin parce qu'ils sont beaucoup mieux préparés. Après cette victoire, je me suis dis : on peut gagner la ligue des champions d'Océanie avec Magenta.
Alain Moizan
Moizan - Messeaud, tandem amical et ambitieux
Alain Moizan a des résultats, et la confiance de son président à l’ASM. L'expert-comptable, devenu président de la ligue de natation en Nouvelle-Calédonie, a pris la direction du club en 2012, succédant à Edmond Bowen. Originaire d'Endoûme à Marseille, fervent supporter de l'OM, c'est un passionné de ballon rond qui a été joueur et arbitre. Il s'est aussi retrouvé, un temps, directeur général du cercle des nageurs de Marseille, fort de 3000 adhérents.
Magenta, c’est un passage important dans ma vie de bénévole associatif. J’étais au bord du terrain à regarder mon fils jouer et celui de Patrice Tinel qui deviendra lui aussi membre actif du club. Et puis un jour, Pascal Uichi qui entraînait les jeunes s’est tourné vers nous et nous a dit : 'Je suis tout seul, vous ne voulez pas aider ?' C’est comme ça que je suis devenu éducateur. J’ai aussi été arbitre.
Michel Messeaud, président de l'AS Magenta (2012-2021)
Les deux hommes nouent une solide amitié et rêvent d'être sacrés en ligue des champions d’Océanie des clubs. En 2017, le duo s’offre un coup fumant symbolisant leur ambition : le recrutement de Nicolas Marin. L'ancien ailier d'Auxerre et Saint-Etienne en Ligue 1 débarque à Nouméa.
Un jour, l’ex-gardien de l’ASSE, Viviani, me dit : 'J’ai un pote en Grèce, en fin de contrat, qui est pas mal'. Je rencontre Nicolas Marin, et lui annonce : 'On n’est ni un club grec, ni turc, on est un petit club, mais si tu veux te faire plaisir à 20 000 km voilà nos conditions.' Il m’a répondu : 'Banco, j’arrive.' C’est un garçon exceptionnel qui nous a appris ce qu’était un professionnel. Il nous envoie encore régulièrement des équipements pour les jeunes.
Michel Messeaud, président de l'AS Magenta (2012-2021)
Marin, même en fin de carrière, est un plus non négligeable qui vient compléter une formation déjà solide dans laquelle évoluent Jean-Brice Wadriako, Jean-Christ Wajoka ou encore Didier Simane. Mais cette année-là, l'aventure s'arrête en demi-finale. Après un nul 2 partout à Numa-Daly, les troupes d'Alain Moizan, réduites à dix après deux expulsions, sont dominées 7-1 par Team Wellington au match retour.
L'aventure inachevée en O'League
Magenta revient deux ans plus tard au même niveau de compétition. Cette fois, c'est Auckland City, octuple champion océanien, qui se présente. Deux choses importantes ont changé : la demi-finale se dispute sur un seul match et c'est à domicile, au stade Numa-Daly.
C’est le match référence face à un monstre, champion de Nouvelle-Zélande en titre. Ils dominent et marquent juste avant la pause. 2e mi-temps, le gardien glisse et prend la balle en dehors de la surface. L’arbitre fidjien sort le rouge. Ils passent à 10 et sur le coup-franc, Richard Sélé égalise. Une grande joie pour nous, le public, et tout le football calédonien. On montrait qu’on pouvait rivaliser, même si les circonstances ont aidé. On est dangereux et je pense : 'Pourquoi pas, Hienghène est parvenu à le faire.' Notre 2e but, j’en ai encore des frissons, c’était un moment exceptionnel, pour Alain et l’ensemble du club.
Michel Messeaud, président de l'ASM
La finale, elle, restera un moins bon souvenir. Plus réaliste, Hienghène l'emporte 1-0 sur un but inscrit par Amy Roïné depuis le rond central. Il surprend le gardien de Magenta, Steeve Ixoée, trop avancé.
Evidemment, quand on est entraîneur, on pense que son équipe méritait de gagner. Mériter, ça veut à la fois pas dire grand chose et ça veut tout dire. C'est le football, c'est comme ça. J'ai été joueur donc je sais ce qu'est la compétition. Il ne fallait pas faire d'erreur et on en a fait une. On se prend un but magnifique de Roïné.
Alain Moizan
C'est un grand regret. Il y a la satisfaction de voir un club calédonien titré, mais nous ne sommes pas allés au bout de notre histoire avec Alain. C'était quand même une belle aventure passée par les Salomons et le succès 8-0 contre le champion polynésien, chez lui, avec les spectateurs tahitiens qui partent du stade à vingt minutes du terme. Je n’aurais pas aimé le vivre, mais dans ce sens-là, ça ne m’a pas dérangé (rires)
Michel Messeaud
Des fondations solides sont posées
13 ans de souvenirs partagés par les deux hommes, qui ne manquent pas de citer ceux qui les ont accompagnés durant cette belle épopée : Serge De Novack, Pascal Uichi, Thierry Marmon, et Patrice Tinel. Des éducateurs qui n'ont pas hésité à se lancer à leurs côtés.
Alain Moizan évoque ces joueurs au grand potentiel qu'il a dirigés comme "Pierre Wajoka, du niveau de la Ligue 1" ou le redoutable finisseur Michel Hmaé. Michel Messeaud ajoute Marius Bako. Le président n'oublie pas non plus Gwenaël Poulawa, André Naxué, et Faby Déméné, décédés durant son mandat. " A l'AS Magenta, j'ai eu la confirmation de ce que j'ai toujours pensé. Un homme seul ne peut rien faire, il faut une équipe pour réussir " dresse-t-il en bilan.