Le Pacifique Sud, plaque tournante prisée des narcotrafiquants

La métamphétamine, une drogue qui transite de plus en plus par le Pacifique Sud.
Le problème du trafic de drogue semble affecter de manière croissante le Pacifique Sud, où des bandes criminelles profitent de l'isolement des Etats insulaires pour faire transiter leurs cargaisons vers le reste du monde.

Il déferle comme un raz-de-marée sur le Pacifique sud. Le narcotrafic concerne de plus en plus la région, dont les Etats insulaires isolés constituent des lieux de transit privilégiés pour les bandes criminelles et deviennent des terreaux propices au développement de la toxicomanie. 

Un phénomène particulièrement pregnant dans des archipels situés aux carrefours de routes océaniques globalement non surveillés. C'est le cas par exemple des Fidji et des Tonga, employés par les trafiquants pour faire transiter la cocaïne d'Amérique latine, et la métamphétamine et les opioïdes d'Asie.

Un fléau pour les habitants

"Nous sommes victimes de notre localisation", se désole le responsable de la police des Tonga, Shane McLennan. Le royaume de 176 îles "dans l'ensemble non protégées" est d'après lui "un point de transit idéal". La drogue, essentiellement de la métamphétamine, y est déchargée dans des ports paisibles avant d'être expédiée à l'étranger, vers de lucratifs marchés. 

Dans cet archipel peuplé d'un peu plus de 100 000 habitants, l'implantation du trafic de "meth" a fait bondir la consommation de cette substance de synthèse, à tel point que l'indice mondial du crime organisé (GI-TOC) parle désormais d'une "épidémie".

"Certaines personnes qui marchent par ici sont ravagées" par cette drogue, moins chère que la cocaïne et particulièrement addictive, s'alarme Latimuli Taliauli, un chauffeur de taxi de 39 ans dans la capitale, Nuku'alofa. Dans l'archipel voisin des Fidji, la travailleuse communautaire Kalesi Volatabu dit pour sa part constater "un non-respect de la loi dans les quartiers, les écoles, et les risques et dangers présents dans les villages ruraux où ces poisons se répandent".

Des statistiques troublantes

Les données sur la consommation, l'addiction et la criminalité manquent cruellement dans de nombreux pays du Pacifique. Mais aux Tonga, des documents de justice témoignent d'une congestion du système judiciaire par des cas de consommation ou de deal parmi des ouvriers du bâtiment, mécaniciens ou enseignants.

Un adolescent et son complice adulte jugés en 2024 ont notamment fait la Une après le vol d'objets précieux au musée national des Tonga, échangés pour un seul gramme de méthamphétamine. Autre indicateur inquiétant : de récentes saisies équivalentes à d'autres survenues dans de grands carrefours comme la Thaïlande et Hong Kong.

Quatre tonnes de métamphétamine ont ainsi été interceptées aux Fidji cette année. La Polynésie française, dont 10 000 habitants consommeraient au moins occasionnellement cettre drogue, n'est pas en reste : la justice y démantèle régulièrement d'importants réseaux de revente.

Quant à la cocaïne, elle a commencé à s'écouler il y a plus de 20 ans dans le Pacifique, lorsque des cartels d'Amérique latine ont souhaité fournir l'Australie. Le pays ne consommait en 2008 que 2% du volume mondial de cocaïne mais les prix astronomiques en faisaient alors le troisième marché le plus lucratif du monde, selon l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC).

Des bandes criminelles

Les trafiquants de drogue emploient deux routes spécifiques pour rejoindre la région. La première provient d'Amérique et traverse la Polynésie en direction de l'ouest pour rallier les Tonga, les Fidji ou encore les Samoa. La seconde achemine la drogue issue des laboratoires d'Asie du Sud-Est vers les Etats de Mélanésie comme les Palaos ou la Papouasie-Nouvelle-Guinée. 

D'énormes cargaisons sont parfois attachées à des bouées dérivant au gré des courants océaniques. Trois tonnes de cocaïne avaient été découvertes l'année dernière à l'intérieur de l'un des ces "points de transit flottant", qui prenait la direction de l'Australie. Parmi les commanditaires, les autorités évoquent des "cartels de la drogue" aux Fidji et des "organisations internationales de trafiquants de drogue" en Papouasie.

D'apès Jeremy Douglas, responsable au sein de l'ONUDC, il y aurait plus précisément "des cartels d'Amérique latine, des organisations et triades asiatiques" ainsi que des gangs venant d'Australie, de Nouvelle-Zélande et des Etats-Unis. 

L'imposant cartel mexicain de Sinaloa est "le plus important dans l'arène", soulève de son côté le GI-TOC. Au-delà de la drogue, la présence du crime organisé a renforcé le blanchiment d'argent, la prostitution et les casinos illégaux dans la région."Pendant longtemps, le Pacifique était une région où peu d'acteurs extérieurs étaient impliqués", explique le chercheur Sinclair Dinnen de l'université nationale d'Australie."C'est relativement nouveau dans cette partie du monde. Mais il semble que cela augmente".