Luc Steinmetz, historien : "Sans le savoir, la Nouvelle-Calédonie est déjà organisée d'une manière fédérale depuis 1988"

Luc Steinmetz, invité du JT samedi 7 septembre 2024.
C'est une notion qui fait parler d'elle ces dernières semaines : le fédéralisme. De quoi est-il question exactement ? Et avec quelles conséquences pour la Calédonie ? L'historien et observateur de la vie politique locale Luc Steinmetz, a répondu à ces questions lors du journal télévisé du samedi 7 septembre.

Le fédéralisme est l'une des pistes envisagées par certains responsables politiques.

NC la 1ère : Qu'est-ce que le fédéralisme ?

Luc Steinmetz : "L'apparition du mot fédéralisme dans le paysage politique futur de la Nouvelle-Calédonie a surpris quelques personnes. Le texte numéro deux, dans son premier paragraphe, des Accords de Matignon de 1988 dit : 'l'administration et le développement du territoire fédéral de la Nouvelle-Calédonie sont organisés dans le cadre de trois provinces (îles Loyauté, Sud et Nord). Chacune des provinces s'administre librement par une assemblée élue (...) et par un exécutif propre.' Ça veut dire que sans le savoir, la Nouvelle-Calédonie est déjà organisée d'une manière fédérale depuis 1988. Et cette organisation fédérale a été renouvelée en 1998-1999 par l'Accord de Nouméa et la loi organique qui a suivi."

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Générations NC dit travailler sur une sorte de fédéralisme. Quelle est la différence avec ce qui existe déjà ?

LS : "Là, il s'agit d'une sorte de fédéralisme. On n'en connaît pas encore les contours. Mais il faut comprendre qu'il y a deux manières d'envisager le fédéralisme. Il y a le fédéralisme interne, celui qui existe déjà dans le cadre de l'organisation propre de la Nouvelle-Calédonie, même si on n'emploie pas, dans le langage courant, l'expression d'une 'région fédérale' ou d'un 'pays fédéral'. Si on envisage maintenant des relations futures d'une Calédonie à l'intérieur de la France, ou même qui deviendrait indépendante, on pourrait réfléchir à un fédéralisme interne qui serait maintenu par l'existence de provinces ou d'autres collectivités infra-étatiques, que ce soit par rapport à l'état national ou à un état qui succéderait à la France."

Certains le rapprochent de modèles évoqués par des personnalités politiques, comme l'hyper-provincialisation ou l'autonomisation des provinces, est-ce que c'est comparable ?

LS : "Le fédéralisme et l'organisation fédérale des pouvoirs dans un état, c'est une autre appellation pour quelque chose qui appartient au droit administratif français : la décentralisation. C’est-à-dire qu'entre un centre et les périphéries, il existe soit une concentration des pouvoirs - tout est dirigé depuis Paris, dans le cas de la France -, ou au contraire, on laisse beaucoup d'autonomie à des collectivités locales, comme c'est le cas pour la Nouvelle-Calédonie et les provinces. Lorsque je vois que certains s'étonnent de cette expression de fédéralisme, et donnent l'impression que c'est nouveau aujourd'hui, je signale que le sénateur Pierre Frogier avait été le premier à parler de différenciation provinciale à l'époque. Puis Sonia Backès a suivi, avec la notion d'hyper-provincialisation, puis d'autonomisation des provinces, et maintenant de fédéralisme. Mais dans tous les cas, ce sont des habillages différents d'une même réalité juridique, à savoir, une forte décentralisation des pouvoirs locaux."

Et qu'en est-il de la partition ? Quelle différence ?

LS : "La partition, ça peut être par rapport à l'état national, auquel cas cela peut éventuellement dire l'indépendance, la sécession. Mais, sans doute pour des raisons de querelles politiques et d'égos, on a de la part de certains, assimilé les notions de différenciation provinciale, d'autonomisation, d'hyper-provincialisation, à de la partition. Rien ne dit qu'en traitant d'une manière différente l'organisation administrative de chaque province, on puisse arriver à une partition. Les deux ne sont pas synonymes."

Si on devait envisager un fédéralisme plus poussé, quelles seraient les conséquences sur une répartition des pouvoirs ?

LS : "Je me place dans le cadre d'une Calédonie qui resterait dans la France, car pour l'instant c'est le schéma. On pourrait imaginer un fédéralisme interne, qui serait maintenu, avec peut-être un renforcement des pouvoirs des provinces par rapport à un pouvoir de la collectivité calédonienne, quel que soit son nom. Ou alors on pourrait également imaginer un renforcement global des pouvoirs de la Calédonie, par rapport à l'état national, c’est-à-dire la République française. Dans les deux cas, ça serait un aménagement d'un fédéralisme interne."