Depuis le 13 mai, les difficultés ne font que s’accumuler. "Tout est réduit, de A à Z, résume Sébastien. Heureusement que j’ai une curatrice et une mère qui m’aide à finir les mois." Ce Calédonien d’une quarantaine d’années vit avec un trouble mental. Depuis de nombreuses années, il est placé en curatelle, une mesure judiciaire destinée à le protéger. Le service de tutelles de l'ACSMS (Association de coopération sociale et médico-sociale) l'assiste dans ses finances, les tâches administratives et le quotidien. Reconnu en incapacité de travailler, Sébastien touche une allocation pour adulte handicapé, pleine, qui approche les 100 000 F. Elle suffit de moins en moins, à cause des coupes financières en cascade.
Je voudrais dire que si ma mère n’était pas là, je ne pourrais pas m'en sortir. Le budget est trop serré, c’est pas possible si on n’est pas aidé par la famille.
Sébastien, Nouméen en curatelle
"Ça a été un choc"
D’abord, il y a eu les violences, qui ont rendu impossible de sortir, de circuler mais aussi de recevoir les soins et les services habituels à domicile. "Le mois de mai, ça a été un choc. Pour moi, c’était la guerre. Dans la maison, il n’y avait plus de cachet", alors qu’il lui faut prendre un traitement quotidien lourd. "Il fallait se faire à manger mais je ne savais plus comment faire. J’avais l'impression que j’allais mourir. J'étais assis sur mon lit, je chantais des chansons. Je n’arrivais pas à dormir… J’étais complètement à l’ouest."
Suspension des bons
Le quotidien finit par revenir à peu près à la normale. Pas les finances ! En juin, la mairie de Nouméa, confrontée à d'énormes difficultés budgétaires, arrête ses aides alimentaires. Sébastien ne touche plus le bon mensuel de 12 500 F, dédié à la nourriture et aux produits d'hygiène, dont il bénéficiait à travers le Centre communal d'action sociale.
Sans les aides forfaitaires
"D'autres aides sociales s'étaient arrêtées en début d'année, avant les émeutes", signale Muriel Paron, cheffe du service des tutelles à l'ACSMS. "Notamment les aides forfaitaires versées par la province Sud pour l'eau, l'électricité et l'assurance. On nous a expliqué que les personnes n'entraient plus dans les critères…" Pour les majeurs protégés suivis par l'association, le forfait électricité finançait en partie la facture de courant, à hauteur de 4 500 F par mois versés à EEC ou Enercal. Un autre forfait représentait 2 100 F par trimestre, transmis à la Calédonienne des eaux. L'aide pour l'assurance multirisque habitation tournait "généralement entre 7 000 F et 9 000 F".
L'aide au logement n'est plus versée depuis août
À partir d'août, la Nouvelle-Calédonie n'arrive plus à verser sa quote-part de l'aide au logement. En temps normal, elle est déduite du loyer pour les personnes qui remplissent certaines conditions de ressources, et elles paient le reste de la somme. En 2023, 9 470 foyers ont bénéficié de ce dispositif financé à 85 % par le territoire. "Pour la plupart de nos majeurs protégés, l'aide au logement représente à peu près deux tiers du loyer", précise Muriel Paron. Sébastien se trouve dans ce cas. D'habitude, il lui est demandé un tiers de la somme totale, et le reste est viré à son bailleur. Mais le mois dernier, c'est l'intégralité qui a été prélevée de son compte.
Sans le versement de l'aide au logement, on demande de payer un loyer, parfois d'environ 80 000 F, à des gens qui ont une allocation handicap de même pas 100 000 F. On ne peut décemment pas payer cette part.
Audrey Freret, mandataire judiciaire à l'ACSMS
Impatience grandissante
Au-dessus des locataires, même les plus vulnérables, il y a des bailleurs sociaux, des bailleurs privés, des propriétaires, qui peuvent eux-mêmes être en difficulté. Alors qu'ils ne touchent pas cette aide au logement depuis trois mois, certains perdent patience. "On commence à avoir des menaces de mise au contentieux et d'expulsion", alerte Audrey Freret. "J’appelle l’aide au logement toutes les semaines. Une solution est en discussion, j’espère vraiment qu’il y aura une reprise. Des agences immobilières m’ont dit : 'Si, en décembre, on n’est toujours pas payé, untel ne va pas pouvoir rester dans son logement.'"
De 14 000 F à 6 000 F par semaine
Dans un contexte pareil, les mandataires judiciaires n'en finissent pas d'ajuster les budgets des bénéficiaires dont ils s'occupent. Avant la mi-mai, chaque semaine, Sébastien se voyait remettre 6 000 F en espèces et 8 000 F en bon alimentaire. Six mois et demi après, pas le choix : son "argent de vie" a réduit comme peau de chagrin, à 3 000 F en espèces auxquels s'ajoutent 3 000 F de bon alimentaire.
Mais il y a pire que moi, je pense.
Sébastien, Nouméen en curatelle
Il était un gros fumeur de roulé, façon d'apaiser son stress et ses anxiétés. Il a modifié ses habitudes pour faire des économies sur le tabac. Autre changement, "je ne vais plus acheter d’alimentation au magasin en bas de chez moi", lance le quadragénaire, obligé de se déplacer jusqu'à un autre quartier de la ville où il reste une enseigne discount. Si possible sans prendre le car, grâce à sa mère qui vient le visiter "tous les mercredis".
L'impôt à 5 000 F
Car la liste des mauvaises nouvelles n'est pas terminée. Au 1er octobre, le tarif du ticket de bus a bondi à 500 F. D'autant plus brutal qu'il y avait auparavant un pass solidaire à 4 500 F par mois, sans limite de trajets. "Pas mal de majeurs venaient au bureau pour récupérer leur argent de vie. Maintenant, pour pallier à ce problème, c’est nous qui nous déplaçons", relate Muriel Paron. Autre contrainte, des personnes sous tutelle qui étaient exonérées d'impôt sur le revenu se voient désormais demander un montant minimal de 5 000 F. Pour contribuer à l'effort commun, comme il en a été décidé avant les émeutes.
Un accès aux soins de plus en plus difficile
Cela s'ajoute à différentes augmentations de prix. Mais aussi aux nombreuses difficultés d'accès aux soins, alors que la plupart se trouvent en longue maladie. L'infirmier qui soigne Sébastien chez lui, raconte celui-ci, travaille sans avoir été réglé au titre de l'aide médicale. Faute de recevoir cette AMG attendue de telle ou telle province, des médecins demandent le règlement total des consultations.
Tous les jours, on se demande ce qui va encore nous tomber dessus, ce qui va encore les impacter et faire qu’ils vont être encore plus en difficulté pour vivre correctement. Aujourd’hui, c’est indécent, on se retrouve dans des situations catastrophiques.
Muriel Paron, cheffe du service des tutelles à l'ACSMS
Comment payer la consultation ?
"On vient de diagnostiquer un diabète à une de mes majeurs protégés, raconte Audrey Freret. Elle doit effectuer un suivi en cardiologie et ophtalmologie. Les prises de rendez-vous ne peuvent pas se prendre au Médipôle, la dame est orientée vers les cabinets libéraux. Sauf que quasiment plus personne ne prend l’aide médicale. On se retrouve à payer des consultations qui avoisinent les 9 000 F", sans parler des examens complémentaires. Ingérable, pour une patiente qui touche l'allocation handicap minorée, soit environ 54 000 F.
Muriel Paron décrit une autre situation inextricable. "Un de nos majeurs est sur la sellette au niveau de sa maison de retraite. La province Îles ne paie plus les forfaits d’hébergement et de soins aux structures qui accueillent ses ressortissants. L’Ehpad menace de le mettre dehors parce qu’on est à plus d’un million d’impayés."
Plus de deux mille Calédoniens
L'an dernier, on recensait en Calédonie autour de 2 400 habitants en tutelle ou en curatelle. En dehors des personnes représentées par un membre de leur famille, plus de 800 sont suivies par l'AGTNC (Association pour la gestion des tutelles en Nouvelle-Calédonie). Et à peu près 250, par l'association ACSMS.