DOSSIER. Pédocriminalité dans l'Église catholique : quelles sont les mesures mises en place en Nouvelle-Calédonie ?

Des flyers "pour libérer la parole" ont été imprimés par le diocaise de Nouméa.
Dix-sept ans après la mort de l'Abbé Pierre, de nombreuses femmes l'accusent de viols et d’agressions sexuelles. Ce nouveau scandale éclabousse le Vatican, qui a fermé les yeux sur les violences sexuelles commises au sein de l'Église, pendant des décennies. En Nouvelle-Calédonie, une commission pour recueillir les témoignages a été instaurée. Mais ceux-ci se font extrêmement rares.

Les chiffres donnent le vertige. Depuis 1950, il y aurait eu 330 000 victimes de violences sexuelles au sein de l'Église catholique en France, si l’on tient compte des agressions commises par les religieux mais aussi les laïcs. C'est la Ciase, la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Église, qui a dressé ce bilan accablant dans un rapport livré en 2021, après deux ans et demi d’enquête.

En Nouvelle-Calédonie, difficile de mesurer l’ampleur de ces violences car la Ciase ne s’est jamais rendue sur le Caillou. Le diocèse de Nouméa ne dépend pas, en effet, de la Conférence des évêques de France. Mais de la Cepac, la Conférence épiscopale du Pacifique, qui comprend notamment l’Australie, plusieurs fois secouée par de gros scandales au sein de l'Eglise.

Monseigneur Michel-Marie Calvet est archevêque de Nouméa depuis 1981.


Une commission de recours

L’archevêque de Nouméa l’assure : des consignes ont bien été données par la Cepac. "Cela a été un travail considérable, note Michel-Marie Calvet. On a mis en place une commission de recours, à laquelle pouvaient s'adresser toutes les personnes qui avaient de bonnes raisons de savoir qu'il y avait des abus en cours. Ou éventuellement des victimes pour qu’elles puissent, de manière confidentielle, faire un appel pour être secourues dans leur situation."

La possibilité de signaler ces abus par courrier électronique a également été mise en place. Mais malgré cette commission de recours, aucun cas de violences sexuelles n'est "remonté de cette façon", signale Monseigneur Calvet.  


Dénoncer le tabou des religieuses violées

Autre initiative lancée par l'archevêché de Nouvelle-Calédonie, à la demande du représentant de Rome auprès des îles du Pacifique : la venue, en 2019, de sœur Mary Lembo. Encore doctorante lors de son séjour sur le Caillou, cette psychothérapeute et formatrice a consacré, depuis, une thèse puis un livre aux religieuses violées et agressées sexuellement en Afrique.

Présidente de l'association SOS Violences, Anne-Marie Mestre se souvient de l'intervention de cette sœur, "qui ne se cache pas derrière les mots". "Cela manifeste une volonté de l'Eglise de se préoccuper du problème et de ne pas le mettre sous le boisseau."

Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna, Polynésie, Vanuatu... "On a organisé son voyage dans tous les diocèses francophones du Pacifique, souligne Monseigneur Calvet. Elle a pu rencontrer un certain nombre de personnes qui s'occupaient des questions de maltraitance en Nouvelle-Calédonie, mais également les prêtres, les diacres, l'enseignement et un certain nombre de responsables dans le diocèse. Cela a été extrêmement profitable compte tenu de sa qualification et de son expérience."

L'archevêché de Nouméa, dans le quartier du Faubourg-Blanchot, à Nouméa.

 

Des mesures prises chez les scouts

Les organismes proches de l’Église catholique se sont aussi saisis de ce sujet, à l'image des Scouts et guides de France, qui "ont ainsi mis en place une politique spéciale de protection de l’enfance à travers la formation et le soutien aux éducateurs", précise la Ciase dans le rapport Sauvé.

"Avec les jeunes, on essaie d’éviter les contacts physiques, signale Marie-Annick Lasserre, déléguée territoriale des Scouts et guides de France de Nouvelle-Calédonie depuis deux ans. On campe, donc tout est surveillé. On ne doit jamais laisser un chef ou une cheftaine seuls avec un jeune."

En Nouvelle-Calédonie, la structure existe depuis un siècle. La quarantaine de Scouts et guides de France encadre environ 150 enfants, adolescents et jeunes adultes, de 6 à 21 ans. "Au sein de chaque unité, il y a un responsable à qui le chef peut aller parler. Les informations me remontent ensuite et je peux en parler au niveau national", indique Marie-Annick Lasserre. Bien que scout en Calédonie depuis sa jeunesse, la déléguée territoriale ne se souvient d'aucun cas d'agression sexuelle. 

Tous les milieux sont concernés : le sport, l'enseignement public, les familles.

Anne-Marie Mestre, présidente de SOS Violences

Quelques cas locaux recensés

Ces quarante dernières années, une demi-douzaine de pédocriminels, tout au plus, aurait été reconnue au sein de l'Église catholique de Nouvelle-Calédonie, selon les chiffres donnés par le diocèse dans un reportage de NC la 1ère en 2021.

Un chiffre étonnamment faible en comparaison des 330 000 victimes recensées ces soixante-dix dernières années en France. Surtout dans un archipel où "près de la moitié de la population est de confession catholique, même si tous ne sont pas pratiquants", précise l'archevêché. 

La présidente de SOS Violences se souvient "d'histoires locales de prêtres dans les années 1970 et 1980". "Mais cela n'est jamais remonté jusqu’aux autorités judiciaires", indique Anne-Marie Mestre. La présidente de l'association précise néanmoins que "tous les milieux sont concernés : le sport, l'enseignement public, les familles et pas seulement l'Eglise catholique". 

Si cette réalité est indéniable, l'enquête de la Ciase révèle néanmoins qu'il y a davantage d'abus commis au sein de l'Église, que dans d'autres institutions, comme l'éducation nationale et les fédérations sportives. Le rapport Sauvé démontre aussi le caractère "systémique" de ces abus, qui "n'appartiennent pas au passé".  


Une trentaine d'enfants, victimes d'un enseignant 

Interrogé sur la nature des abus sexuels survenus depuis qu'il est archevêque de Nouméa (soit depuis quarante-trois ans), Monseigneur Calvet fait état d'une seule affaire signalée il y a quelques années. L'homme, "qui enseignait aux îles Loyauté dans un établissement scolaire privé, a été condamné depuis", assure l'archevêque, sans en dire plus sur ce dossier.

Le prélat omet un dossier qui a défrayé la chronique, il y a une dizaine d'années, en province Nord. En 2010, un instituteur de la Direction diocésaine de l'enseignement catholique (Ddec) a été condamné à quinze ans de réclusion criminelle pour des viols commis sur sept enfants, des agressions sexuelles sur cinq autres élèves et des dizaines d'atteintes sexuelles, entre Pouébo et Koné.


Un tiers de laïcs

Sur son ordinateur, une centaine de photos d'enfants avait été retrouvée. Ces faits, qui avaient débuté dans les années 1980, n'ont été révélés qu'en 2007, malgré plusieurs signalements. À l'image de cette affaire, le rapport Sauvé démontre qu'en France, un tiers des agressions sexuelles dans l’Église catholique a été commis non par des clercs ou des religieux, mais par des laïcs. Toujours selon ce rapport, 30 % des "abus sexuels" commis au sein de l'Eglise l'ont été dans des écoles. Enfin, 80 % des victimes sont des garçons (alors que dans la société 75 % des victimes sont des filles), avec une forte prévalence de 10 à 13 ans. 

Sollicitée, la Ddec n'a pas donné suite à notre demande d'interview. L'archevêque de Nouméa se dit, lui-même, davantage préoccupé actuellement par les difficultés budgétaires de la Ddec. "Mon souci, en ce moment, c'est surtout de savoir si nos jeunes vont avoir un repas tous les jours", confie Michel-Marie Calvet.  


Non-dit

Dans un archipel de 270 000 habitants, où le non-dit est toujours prégnant et le poids de la religion, important, la parole ne semble pas se libérer véritablement. L'archevêque se veut pourtant rassurant : les dispositions demandées par la Cepac restent en place. À la cathédrale Saint-Joseph ou à l'archevêché, des affiches et des flyers mentionnent le nom et les numéros de téléphone des personnes à contacter en cas d'abus sexuels.

Mais la petite équipe chargée de cette mission s'est encore réduite : la moitié des personnes-ressources citées sont soit décédées, soit trop âgées pour cette tâche. Monseigneur Calvet dit réunir la commission de recours deux fois par an "pour s'assurer qu'elle est toujours bien vivante". Et pour qu'un jour, peut-être, des victimes osent enfin parler. 

Contacts de la commission de recours face aux abus sexuels dans l'Eglise :

  • Nouméa : 79 26 16
  • Koné : 79 29 12

oseledire.recours@gmail.com