A peine la Calédonie apprenait-elle que la présence du virus sur ses terres, que les Loyauté se voyaient plongées dans l'âpre réalité de la pandémie mondiale. Trois semaines plus tard, le Dr Yves-Marie Ducrot était l’Invité de la matinale radio sur NC la 1ere (à écouter en entier ici). Médecin du CMS de Wé, il est le référent Covid au sein de la Dacas, la direction provinciale de l'Action communautaire et de l’action sanitaire. Voici ce qu'on peut retenir de son entretien avec Anne-Claire Lévêque.
"Une tendance favorable"
Au lundi 27 septembre, le Dr Ducrot décrit un bilan Covid aux îles qui "s'est un petit peu accru". Dans le détail, "on a eu une vingtaine de cas dépistés ce week-end, deux hospitalisations. Mais le gros flot de patients graves qu'on avait eu la semaine dernière semble se tasser", observe-t-il. "On est plutôt sur une tendance favorable. On reste à flux tendu mais on a encore la capacité d'accueillir de nouveaux malades."
Ces malades ont une moyenne d'âge de 62 ans. "Chez les cas les plus graves, qui requièrent de l'oxygène, le plus jeune a 47 ans et on retrouve, quasiment à 100%, au moins un facteur de risque", détaille-t-il : surpoids, diabète, maladie respiratoire chronique...
Où sont les patients Covid + ?
Concernant les lieux de prise en charge, il s'est avéré lundi que dix patients étaient hospitalisés dans les dispensaires loyaltiens : six à Lifou, deux à Maré, deux à Ouvéa. Une vieille dame a été évasanée de Tiga la semaine dernière.
"On a aussi une dizaine de patients dans les hôtels, ou dans les internats à Maré ou à Ouvéa. Et puis on a toute une cohorte de patients suivis à domicile", soulignait le médecin lundi matin. "Des personnes qui n'ont pas de facteur de risque ou qui en ont moins, pour lesquels un infirmier passe régulièrement ou appelle pour avoir des nouvelles." Il donne comme exemple un habitant qui était surveillé à domicile, et qui a été hospitalisé ce week-end après dégradation de sa saturation en oxygène.
Les moyens mobilisés
En temps normal, sept personnes peuvent être accueillies en hospitalisation au dispensaire de Wé. "Là, on a réussi à monter jusqu'à quatorze lits pour accueillir des malades du Covid", précise le médecin. "Sachant que le dispensaire de Chepenehe accueille aussi des patients non Covid." En termes d'effectifs, "on a eu la chance d'avoir une grande mobilisation de volontaires, qui nous ont aidés à accueillir tout [le] monde dans des conditions satisfaisantes", salue le référent provincial, qui évoque le renfort bienvenu de la réserve sanitaire.
En attendant, comment va le personnel soignant ? Réponse : "Ça nous demande beaucoup de ressources. Il va falloir tenir dans la durée. Pour le moment, on tient le coup mais on s'attend à une crise qui peut se prolonger." Pour avoir un ordre d'idée des professionnels engagés, le Dr Ducrot a fait le décompte : "On est 17 médecins sur Lifou, on tient aussi compte des libéraux qui nous aident. Sur Maré et Ouvéa, quatre-cinq médecins par île. Et on doit être à une vingtaine, une trentaine d'infirmières. Sachant que les libéraux nous aident beaucoup, par exemple à participer aux tournées de soins classiques à domicile. On a énormément de gens qui se sont manifestés pour nous aider", répète-t-il en mentionnant les kinésithérapeuthes ou encore des étudiants infirmiers.
Les gens ont conscience qu'on est isolés et qu'il va falloir se serrer les coudes. Ici, il y a beaucoup de gens à risque de Covid grave. Tout le monde a dans sa famille quelqu'un malade à Nouméa, malade sur place, parfois des formes graves, et parfois des décès.
Un bilan vaccinal "encourageant"
Comparé aux objectifs affichés par le gouvernement, les îles Loyauté partaient de loin, avant le début de la crise Covid. Quel bilan aujourd'hui ? "Il est très encourageant puisque vendredi dernier, à Lifou, on a pu passer la barre des 60% de gens vaccinés avec au moins une dose", retient le Dr Ducrot. Et 18% des Drehu de plus douze ans ont reçu les deux doses.
"On a eu la chance de s'y atteler trois semaines avant l'arrivée des premiers cas. On s'est tous mobilisés en se disant : 'On sait que le Delta va arriver, on est à moins de 10% de primo-vaccinés'. Et on a commencé à aller vraiment vers les gens." Vaccination en tribu, efforts d'explications, injections "au fil de l'eau pendant nos consultations", énumère-t-il.
"Il a fallu parfois convaincre mais au final, les gens sont en manque d'information. Après, quand le Covid est arrivé, on a eu l'aide des pharmaciens, des médecins libéraux. On a doublé nos équipes de vaccination en tribu." Le tout en s'appuyant sur les autorités coutumières, "des relais d'opinion très importants dans les tribus".
On a rattrapé notre retard et c'est très encourageant. Mais on est à la moitié du chemin. On sait que les gens sont protégés à moins de 50% avec une première dose. Les deuxièmes doses vont arriver en masse. Et il faudrait qu'on arrive à gagner quelques milliers de patients pour éviter d'avoir des formes graves et d'être complètement débordés.
Moins de consultation
Autre préoccupation du moment : comme sur la Grande terre, "on constate que les gens viennent moins au dispensaire pour des pathologies standard et sur les précédents confinements, on avait beaucoup de retours de gens avec des complications dans les semaines qui suivaient", alerte le docteur en lançant un appel : "J'invite la population à venir consulter. On a une filière 'propre' qui permet d'éviter aux gens de se contaminer."
Pour diminuer cette tendance, "on va essayer de proposer une offre un peu plus proche des gens. On va refaire des petits dispensaires périphériques. Dès qu'on en aura la capacité, on va essayer d'aller au contact des gens pour ne pas perdre tous ces patients qui risquent de ne plus se soigner."
"Des vents contraires"
Un auditeur a aussi interpellé le référent Covid des Loyauté sur la tournée menée à Lifou par des médecins qui remettent notamment en cause la vaccination. "Effectivement, on a des vents contraires qui ne nous ont pas du tout aidés dans notre tâche", a répondu Yves-Marie Ducrot. "On explique aux gens qu'on sait pourquoi on les vaccine, on est sur place, on [les] soigne au quotidien. Ces gens-là sont venus donner des conseils, des désinformations et après, sont partis. Souvent, les conseilleurs ne sont pas les payeurs."
C'est comme un incendie. Tous les pompiers vous le disent, l'ennemi, c'est le vent. Par le confinement, on a arrêté le vent. L'incendie se propage beaucoup moins. Mais dès que le confinement va s'arrêter, l'incendie va repartir. En attendant, il y a cette période où il faut défricher, faire des coupe-feu, arroser. C'est ça le sens de la vaccination et de la prévention.