Le grand chef de Guahma a-t-il ordonné les exactions qui ont secoué la tribu de Roh, fin 2020, et entraîné le départ forcé de plusieurs familles ? C'est la question à laquelle la justice tente de répondre : cette importante autorité coutumière de Maré a été mise en examen, vendredi 21 janvier, au palais de justice de Nouméa.
Une nouvelle développée dans l'après-midi par le procureur de la République. "Le parquet a ouvert une information judiciaire visant les commanditaires des exactions commises à Maré du 2 au 17 novembre 2020", explique Yves Dupas. "Cinq personnes mises en cause, placées en garde à vue ce lundi 17 janvier, ont été déférées [vendredi] matin à l’issue de leurs auditions conduites sous le régime juridique de la criminalité organisée, qui prévoit une durée maximale de garde-à-vue de quatre-vingt-seize heures".
Violences et mises à feu
D'après le procureur, "il ressort de l’enquête, diligentée par la brigade de recherches de Nouméa et les gendarmes de la compagnie de Nouméa, que la famille Hnassil de la tribu de Roh ainsi que le pasteur Baebae et leurs proches ont subi des violences. Par projection de pierres, des vols de biens mobiliers ainsi que des dégradations ou destructions par incendie de leurs biens tant mobiliers (sept véhicules, meubles, effets personnels…) qu’immobiliers (douze habitations détruites, un hangar et une case)".
"Participation de cinquante personnes"
Or, annonce-t-il, "les investigations ont permis d’établir la participation de cinquante personnes dans la commission de ces exactions, sur les instructions données par le grand chef du district de Guahma, apparaissant comme le donneur d’ordre, assisté de cinq chefs de clan ayant relayé les directives du grand chef".
Pour l'installation du pasteur
Des exactions, ajoute-t-il, commises dans un contexte de relations conflictuelles entre coutumiers. "Le 28 octobre 2020 , le grand chef Naisseline [a] notifié à Daniel Hnassil, petit chef de Roh et son frère […] leur expulsion du district de Guahma en raison manifestement de leur opposition à [sa] décision d’installer un pasteur, qui selon eux, ne respectait pas les usages" - à savoir laisser cette installation à la compétence du conseil régional de l’EPKNC, l'Eglise protestante de Kanaky-Nouvelle-Calédonie.
Le petit chef de Roh a été, relate encore Yves Dupas, "destitué et son autorité confiée à un comité mis en place par la grande chefferie. Cependant, [il] se maintenait à Roh, contestant ainsi la décision du grand chef. Lors d’une réunion organisée à la grande chefferie, il aurait été décidé de chasser les Hnassil, […] certains chefs de clan donnant ces directives aux plus jeunes en disant notamment : 'le feu fait peur à l’homme.'"
Convocations annoncées pour les auteurs présumés
Dans les prochaines semaines, les personnes mises en cause pour ces exactions devraient être convoquées dans le cadre d'une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité, annonce le procureur, "au vu de leur reconnaissance des faits, et pour la plupart, de l’absence d’antécédents judiciaires".
Quant aux six commanditaires présumés (le sixième n’a pas encore été entendu, pour raisons médicales), l’information judiciaire évoquée plus haut dans cet article est ouverte pour les chefs d'accusation de "vols en bande organisée, dégradations et destructions par moyen dangereux pour les personnes en bande organisée et complicité de violences sans incapacité de travail avec usage ou menace d’une arme". Elle "a pour objectif de déterminer l’étendue exacte des agissements de chacun".
Le grand chef conteste son implication comme donneur d'ordre
Selon Yves Dupas, "au cours de ses auditions, Henri Dokucas Naisseline a contesté son implication dans les faits reprochés, en tant que donneur d’ordre". Et ce, insiste le procureur, "en dépit de sa mise en cause par des victimes, des auteurs des faits comme des commanditaires de second rang qui ont admis leur participation aux faits, en relayant les consignes du grand chef, et en agissant dans un esprit de stricte obéissance vis-à-vis de lui".
Liberté sous conditions
Le grand chef et les quatre chefs de clan qui ont été présentés au juge d'instruction ont été mis en examen pour les chefs d'accusation ci-dessus. Ils sont pour l'instant sous le coup d'un contrôle judiciaire qui implique :
- l'obligation de pointer tous les quinze jours à la gendarmerie de Tadine,
- l'interdiction de détenir ou de porter une arme,
- l'interdiction de communiquer avec les autres personnes mises en examen.
Le grand chef de Guahma devait par ailleurs payer une caution d'un million de francs et il a interdiction de se rendre à Roh.
Le procureur de la République était à ce sujet l'invité du JT, le 21 janvier. Son entretien avec Alexandre Rosada :