INTERVIEW. "Tout ça, c’est aussi pour dénoncer un système qui ne fonctionne pas" analyse Hippolyte Sinewami-Htamumu, président du Conseil des chefs de Kanaky, sur la crise calédonienne

Dans ce contexte de crise économique, sociale et politique, quelle est la place des coutumiers ? C'est une question souvent relevée par de nombreux jeunes indépendantistes, notamment sur les barrages et au sein de la CCAT. Un sujet longuement évoqué ce samedi, lors de l’assemblée générale extraordinaire d’Inaat Ne Kanaky, à Pouébo.

Ce samedi, à Balade, dans la commune de Pouébo, le conseil des grands chefs s'est réuni pour évoquer les violences qui sévissent dans le pays, mais aussi la place des jeunes. Grands chefs, chefs de tribu, présidents de conseil de districts, chefs de clans, présidents de conseil de chefs de clans et autres responsables coutumiers étaient présents. 

Sur la côte Est, le lieu est hautement symbolique puisque c’est là qu’ont eu lieu les premiers contacts entre les Kanak et les Européens, il y a exactement 250 ans. A la tête de cette réunion : Hippolyte Sinewami-Htamumu, le président d'Inaat ne Kanaky. Il était l'invité du journal de 6h30 ce dimanche matin.

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NC La 1ère : On l’a vu depuis le début de cette crise, les violences touchent essentiellement Nouméa et son agglomération, un contexte urbain donc, contrairement aux évènements des années 80. Qu’est-ce que ces exactions nous disent justement de cette jeunesse, et plus particulièrement de la jeunesse kanak ?

Hippolyte Sinewami-Htamumu : C'est un mécontentement de la jeunesse par rapport aux inégalités sociales au quotidien, à la pauvreté et à la mise en place des quartiers populaires. C’est une crise sociale. On parlait des 30 à 40 ans de paix mais dans toutes les interventions que l’on a pu avoir sur les barrages, la question a été : "qu’est ce qu’ont fait les politiques durant toutes ces années ? et surtout par rapport à la revendication du peuple kanak pour aller vers la décolonisation ?" Tout ça c’est aussi pour dénoncer un système qui ne fonctionne pas, en tout cas sur le territoire de Kanaky Nouvelle-Calédonie.


Il y a quelques années, sous la présidence à l'époque de Gilbert Téin, le Sénat avait appelé à un plan Marshall pour la jeunesse. Cela ne semble pas avoir été entendu. Est-ce qu’on peut parler d’une forme d’échec de nos institutions à porter les intérêts du peuple kanak ?

Il y a quand même eu des politiques publiques qui ont été mises en place concernant l’identité kanak, à travers l’enseignement, à travers l’économie sur terre coutumière mais c’est surtout penser que la parole coutumière n’est pas écoutée à sa juste valeur et surtout la reconnaissance du peuple kanak vers l’émancipation.

Pourquoi avec trois usines on n’arrive pas à s’en sortir financièrement ? Pourquoi, avec toutes les politiques publiques mises en place, il y a toujours cet écart social, ceux qui s’enrichissent encore plus et ceux qui s’appauvrissent encore plus ? Il faut que l’on soit responsable de ce qui est arrivé et qu’on prévienne les jeunes du danger qui est là actuellement, à force de vouloir contrer physiquement les forces de l’ordre, sur les barrages. Il y a eu assez de morts et il faut préserver votre vie car c’est vous qui allez reprendre le relais.

Aujourd’hui, quelle est la place des coutumiers dans les futures discussions sur l’avenir institutionnel du pays, puisque c’est la question que vous posent les jeunes de la CCAT ?

On est dans l’échiquier institutionnel. On a été mis de côté à un moment donné. On réclame notre juste place et demain, pour les négociations, il faut que nous soyons là. Nous avons rencontré la jeunesse plusieurs fois, surtout à l’Assemblée Générale d’Azareu. On répond juste à l’appel de cette jeunesse depuis la mise en place du conseil des grands chefs, du Sénat coutumier etc. Les anciens ont toujours demandé à avoir cette place coutumière dans les discussions. Aujourd’hui on réaffirme tout ça et on veut s’imposer.

 
Vous avez, vous-même, adressé il y a quelques jours une lettre de démission du Sénat coutumier, où vous représentez l’île de Maré. Et alors même que vous avez été le président de cette institution, il y a cinq ans. Est-ce que cela veut dire que vous ne vous reconnaissez plus au sein du Sénat ?
 
Depuis que je suis rentré au Sénat en 2019, j’ai constaté un certain contrôle. On dit souvent que le Sénat coutumier est la deuxième institution de la Nouvelle-Calédonie mais le fonctionnement et la gestion sont faits par le gouvernement. Ça veut dire que les décisions que l’on prend ne sont pas entendues, ça s’est révélé aussi pendant le Covid quand il fallait fermer les aéroports. Ça prouve aussi que le Sénat coutumier a ses limites et que les vraies autorités coutumières sont sur le terrain pour la protection de la culture mais aussi de son peuple sur le territoire.