Trois cousines évoluent à marée basse dans une bande de mangrove, parties à la pêche au crabe en baie de Fwayaraap. Dans quelques centimètres d'eau, Christelle, Angela et Guilaine n'avancent pas au hasard. "Quand je pars, je sais déjà où je vais aller, confie Christelle Padome, habitante de Tiabète. Dans les trous de nos mamans, qui sont toujours là. On va aux mêmes endroits."
Poum, ce petit bout du monde à l'extrême Nord de la Grande terre, est bien loin du tumulte de Nouméa et de ces derniers mois agités. Malgré l'isolement de la commune et un quotidien presque identique à celui d'avant le 13 mai, comme chaque Calédonien, ces habitants subissent eux aussi les conséquences de la crise.
D'abord la mer, après le magasin
À boat pass, le lagon recèle de trésors. Et malgré le peu de ravitaillement en produits essentiels reçus ces quatre derniers mois, la vie suit son cours. "On vit de la mer. Le magasin vient après, pour faire plaisir à nos enfants, ajoute Christelle Padome. Pour nous, ça n'a pas changé grand-chose, grâce aux poissons, aux crabes, aux grisettes, aux palourdes... On peut varier nos repas, mais toujours à la mer."
Il n'y a pas d'eau courante dans ce lotissement de la vallée de Gu, un peu plus au sud. On vient se ravitailler au petit marché de bord de route, et discuter de l'actualité. La situation du pays est prise avec beaucoup de recul par les mamans. "Il vaut mieux rester positif dans tout ce que nous vivons aujourd'hui. Positiver les choses pour que ça se passe bien", pense Léonie Maloune, habitante de Gu.
On vit avec le peu qu'on a, on partage, on s'entraide. On vit en solidarité.
Maria Hoxyi, habitante de Gu
La solidarité, pour que tous soient approvisionnés
La solidarité a permis à une épicerie ambulante de survivre. Depuis un an, Marie-Laure arpente les tribus de la commune avec sa camionnette. Sans station-service et sans moyen de locomotion, il était impossible de se déplacer et de faire des courses. "On a été quand même obligés de fermer pendant trois semaines parce qu'on n’avait rien : ni gasoil, ni denrées, se remémore Marie-Laure Williams, commerçante. Et ce sont les gens qui nous apportaient du carburant pour qu'on puisse venir jusqu'à eux."
La demande a explosé : elle assure neuf arrêts en tribu, au lieu de trois il y a encore quelques mois. L'entrepreneuse, adoptée par la population, a même embauché une salariée.
Un gîte sans employé
Tous n'ont pas eu la chance de créer des emplois. Depuis la fermeture de la mine à Poum, la pêche et le tourisme sont des secteurs essentiels pour l'économie de la commune. Malgré le cadre exceptionnel de ce gîte installé en baie de Banaré, seulement cinq nuitées ont été vendues depuis le 13 mai. Avec un chiffre d'affaires proche de zéro, Jade Ruel, la gérante, a dû se séparer de ses quatre salariés. "On ne peut pas garder [nos employés] parce qu'on n'a pas de clients. On a arrêté d'acheter les produits locaux : poisson, viande... C'est un peu triste pour nous, et pour tout le monde."
Tous les professionnels sont impactés : les six hébergements de la commune, et les activités proposées aux vacanciers. "Ils suivent la plage, puis vont aux bains d'argile, passent par les marais salants et repartent par les sentiers, décrit Jean Broudissou. En quelques années, le créateur des salines de Kô a créé un écosystème apprécié des visiteurs.
De voir qu'il n'y avait plus personne, c'est déprimant.
Jean Broudissou, créateur des salines de Kô
Le sel produit à Poum est reconnu internationalement. Dans la boutique, Josy Broudissou, salariée de la case à sel à Poingam, met en valeur le travail d'une trentaine d'artisans locaux des tribus avoisinantes ou des îlots qui entourent la presqu'île de Poum. "C'est du Nord au Sud et du Sud au Nord que tout le monde subit les conséquences. Dans le milieu de l'artisanat, il faut vendre beaucoup pour pouvoir gagner quelque chose. C'est dommage parce que ces gens sont doués pour l'artisanat, et ils vivent de ça."
"Quand on vit dans ce pays, on ne peut pas être pessimiste"
Les trois cousines rentrent de la pêche à Fwayaraap. Depuis sa maison du bout de la Grande terre, Lina a elle aussi dû s'adapter aux changements liés à la crise, et reprendre les habitudes du passé pour se déplacer. "Ben, à pied pardi !, rit Lina Porou, habitante de boat pass. Je suis quelqu'un d'optimiste. Quand on vit dans ce pays, on ne peut pas être pessimiste. J'ai juste envie de dire que nous, on n'a pas d'ailleurs qu'ici. Donc il faudrait faire en sorte qu'on retrouve la sérénité, la paix, pour marcher ensemble".
Pour Lina, l'avenir est un grand chantier dont la jeunesse doit se saisir. À Poum, l'onde de choc des évènements des derniers mois s'est heurtée à la force et à la résilience de ses habitants. Malgré l'isolement, solidarité et entraide ont permis aux populations de continuer à vivre, et de garder le sourire.