Devant les assises, un vol de voiture qui a mal tourné à Boulouparis

Le premier jour du procès aux assises s'est tenu dans une salle pleine.
Les assises de la Nouvelle-Calédonie examinent ces lundi et mardi l'affaire du voleur de voiture présumé tué par le tir de fusil d'un habitant, en février 2021, au lotissement Port-Ouenghi de Boulouparis. Y a-t-il eu intention de tuer ? La question est au cœur du procès.

En 2021, l’affaire faisait grand bruit. Un millier de personnes descendaient dans la rue devant le tribunal de Nouméa. Elles entendaient soutenir un quinquagénaire accusé d’avoir, dans la nuit du 3 au 4 février, tiré deux fois avec son fusil, en direction de deux hommes qui tentaient de voler son véhicule. C'était au lotissement Port-Ouenghi, dans le Sud de Boulouparis. Le premier tir a atteint un des voleurs présumés. Un tir mortel, la victime est décédée peu après.

Les deux autres ont été dénoncés par des habitants de Thio, et rapidement interpellés. Ils ont, depuis, été condamnés pour tentative de vol de voiture, dans cette affaire, et vol d’un autre véhicule, à vingt-quatre mois de prison dont six avec sursis.

L’accusé, "un homme ordinaire"

Revenons au Boulouparisien accusé de tir mortel. Lors de sa garde à vue, il déclare qu’il a agi pour se protéger, lui et sa femme. Pas pour agresser. Il conteste toute intention de tuer. Il raconte que le jour du drame, réveillé par des bruits provenant de son carport, il sort de sa maison, s’arme de son fusil et tire une première fois alors qu’il n’y a aucune lumière à l’extérieur. 

Intention de tuer, ou pas ?

Un fait qui sera au cœur de ce procès tenu sur deux journées, et qui doit permettre de déterminer si l'habitant a eu l’intention de donner la mort - un meurtre puni jusqu’à trente ans de réclusion criminelle. Ou si il n'a pas eu l’intention de tuer - la peine encourue étant alors jusqu’à vingt ans de réclusion.

Un quartier "calme et dépaysant"

Ce lundi 20 novembre, lors de son procès aux assises, l'homme apparaît tout de noir vêtu. Âgé de 59 ans, père et grand-père, il revient sur sa vie. Deuxième d’une fratrie de quatre enfants, il est salarié de la SLN de 1984 à 2018. Il s’installe rapidement à Port-Ouenghi, dans la commune de Boulouparis, car le lieu est "calme et dépaysant". Sans casier judiciaire, l’accusé a effectué une vingtaine de jours de détention au Camp-Est. Il comparaît libre sous contrôle judiciaire. 

Un procès médiatique

Cette affaire fait écho à un problème sociétal en Nouvelle-Calédonie, les vols et cambriolages qui affectent fortement la population. Une population qui, dans l’ensemble du pays, montre son ras-le-bol au quotidien. Lors de ce procès aux assises, l’accusé est représenté par Me Martin Calmet. Fait assez rare, le procureur de la République en personne représente le ministère public. 

A noter que les forces de l’ordre se sont déployées devant le tribunal au cas où il y aurait eu des débordements. Dispositif qui devait être allégé car aucune manifestation n'a eu lieu, en ce début de journée.

A l'entrée du palais de justice, un dispositif de sécurité particulier était déployé en début de journée.

 

Amis et fils de l'accusé témoignent

A la barre, les témoins se succèdent en faveur de la défense. Des amis de l’accusé le décrivent comme un homme métissé, respectueux de toutes les ethnies. Calme et prêt à aider ses voisins, il est dépeint comme quelqu'un sans problème, qui n’est pas raciste. Le fils de l’accusé âgé aujourd’hui de 32 ans, ouvrier à la SLN comme son père, déclare que le drame a compliqué les choses dans la vie de tous les jours. Ému, il dit : "Si je suis là aujourd’hui, c’est grâce à lui, c’est mon modèle."  

Un contexte particulier

Il témoigne qu’en février 2021, il y a une alerte 2 cyclonique. Le climat social est tendu avec une période référendaire, le conflit de l’usine du Sud et les barrages routiers. Un contexte difficile pour tout le monde, en Calédonie, qui malmène les esprits et met les personnes en état d’alerte. A Port-Ouenghi, des habitants mettent en place des milices, la victime et sa famille n’y participent pas. "On ne se mêle pas de ces affaires, on n’est pas des shérifs", déclare l’accusé. Une déclaration reprise par son fils. 

Pour le psychiatre, pas d'autodéfense invoquée

Dans l'après-midi, place à l’expert psychiatre. Le Dr Jean Luc Lehericy rencontre l’accusé peu après les faits. Il déclare "qu’il n’a aucun trouble psychique" et "un bon niveau intellectuel". Selon lui, "il ne parle pas d’auto-défense. Le jeune ne l’a pas menacé. Mais il a été stressé et il a tiré sans réfléchir." Ce qui peut expliquer ce geste, estime le psychiatre, c’est aussi le climat d’insécurité ressenti en 2021. Une ambiance lourde qui pousse une partie de la population à être sur la défensive et à s’armer. Cela a pu marquer l’accusé.

Le Dr Lehericy évoque aussi un homme animé par un "sentiment de culpabilité après les faits". A posteriori, le quinquagénaire avoue qu’il aurait dû laisser faire. Le psychiatre parle de "responsabilité sur le plan médical". Donc pas d’abolition, ni d’altération du discernement envisagées. Ce n’est pas "un justicier", selon l’expert, qui ajoute qu’il n’est pas dangereux ni agressif. 

L’accusé et son avocat Me Calmet.

"Détruit d'avoir enlevé la vie"

Son épouse décrit pour sa part un homme honnête et intègre. "Il est détruit à ce jour d’avoir enlevé la vie à une personne", poursuit-elle. Cet accident n’est pas anodin, son mari n’a pas voulu tuer un homme, il n’est plus le même depuis. Elle ajoute que son conjoint et elle n’arrivent plus à se parler. Elle pense aussi au père de la victime qui a perdu son fils. C’est la première, depuis le début du procès, à faire référence à la douleur endurée par la famille du défunt. 

Récit de l'épouse

La femme de l’accusé s'attarde sur les faits, en revenant sur la nuit du drame. Après avoir entendu du bruit dans le carport de la maison, son mari se saisit du fusil placé sous son lit. Puis la témoin entend un cliquetis, comme si quelqu’un démarrait leur voiture. Elle croit que des individus vont voler le véhicule et casser leur barrière. C’est à ce moment que son époux tire un coup de feu, dans l’obscurité quasiment totale. Puis un deuxième lorsqu'elle allume un projecteur. 

Un individu s’enfuit vers une voiture garée devant le domicile. La victime est blessée. La témoin va chercher des secours car les téléphones portables ne marchent pas à cause des conditions climatiques. Elle a, dit-elle, fait tout ce qu’elle pouvait dans de telles circonstances. Et son mari ne s’est pas rendu compte qu’il avait mortellement blessé la victime. 

Présent au procès, le père de la victime a témoigné.

Le père du jeune tué parle de son fils

En fin d'après-midi, le père de la victime témoigne et parle de son fils. Il évoque un garçon de 24 ans qui a été entraîné par d'autres jeunes de Thio. Ces mauvaises fréquentations, explique-t-il, l’ont mené aux vols de voiture, et à son décès. Un père qui s'exprime de manière humble et courageuse devant une salle pleine de personnes venues soutenir l’accusé. Lui, est seul sur le banc des victimes, il n’y a pas d’avocat de la partie civile.

[Mise à jour de 19h35]

L’expert balistiques a été entendu depuis l'Hexagone. Le calibre 270 Winchester utilisé par l’accusé lors des faits est un calibre très puissant, qui peut abattre un cerf à plusieurs centaines de mètres de distance. Selon l'intervenant, les dégâts sont considérables à distance très courte, la munition se fragmente dans le corps de la victime. Et de finir en estimant que la version du tir au jugé, avancée par l’accusé, est retenue.