Le mouvement est parti de Païta, au tout début des émeutes. Puis il a fait boule de neige dans les trois autres communes de l’agglomération. Chaque semaine, le "Collectif de résistance citoyenne" (CRC) se réunit. Il a même un porte-parole : Willy Gatuhau, l’ex-maire de Païta.
"L'objectif du CRC, c'est bien de protéger nos biens, nos familles. Tout en mettant du lien entre nous, en partageant nos informations ou en organisant des actions de solidarité", résume l'ancien édile, frappé de trois ans d'inéligibilité dans une affaire d'achat de voix.
Je ne permettrai à qui que ce soit d'atteindre ma famille et mes biens.
Willy Gatuhau, porte-parole du CRC
Des habitants qui se sentent isolés
Ce collectif se compose actuellement de 57 référents de secteurs différents, "auxquels sont greffées deux à trois personnes", précise Willy Gatuhau. Marc* est l'un d'entre eux. Habitant du Mont-Dore, il a rejoint le CRC "pour lutter contre l'isolement qu'on peut ressentir en tant que voisins vigilants".
Ravitaillement, organisation des tours de garde, gestion de la fatigue... "On partage nos expériences et ça libère aussi la parole, confie ce Mondorien. Comme tout traumatisme, c'est très important de pouvoir en parler."
Arrivé en Nouvelle-Calédonie juste après les Événements de 1988, Marc* était loin d'imaginer un tel déferlement de violence. "On est tombé dans l'impensable. Pendant deux semaines, notre quartier était coupé du monde. La gendarmerie aussi. Elle se faisait ravitailler en hélicoptère."
La "résistance après la résilience"
Si le mot "résistance" figure dans le nom du collectif, "cela n'a rien à voir avec la Seconde guerre mondiale", nuance Marc*. "On essaie surtout de se protéger pour ne pas subir la même chose, si une nouvelle insurrection devait éclater."
"Résistance", c'est aussi le mot d'ordre choisi par l'équipe de communication du CRC comme slogan sur les 500 affiches qui ont été générées par intelligence artificielle, et placardées un peu partout dans l'agglomération de Nouméa. "Les Calédoniens ont fait preuve de beaucoup de résilience au tout début des émeutes, estime Willy Gatuhau. Mais au fil du temps, la colère s'est installée. Et ils ne veulent plus rester dans un statut de victimes."
"Éviter une guerre civile"
Impliqué dans les affrontements entre loyalistes et indépendantistes des années 1980, alors qu'il n'avait "que 15 ans", Willy Gatuhau dit vouloir, aujourd’hui, éviter le pire. Mais la ligne rouge n’est jamais très loin. "Le pire, ce serait de retomber dans le schéma des derniers Événements : la guerre civile. Et je le dis de manière très claire, car c'est ce qui m'anime : je ne permettrai à qui que ce soit d'atteindre ma famille et mes biens".
Le CRC pourrait-il aller jusqu'à prendre les armes ? "On n'en est pas là pour l'instant", répond Willy Gatuhau. "Mais ce que je dis, c'est que je ne me laisserai pas faire." L'ancien maire de Païta assure n'avoir jamais vu d'armes à feu sur les barricades des voisins vigilants. Mais la présence de fusils a été attestée par plusieurs riverains. Tout comme le port de cagoules et de tenues militaires sur certains barrages.
Milices, groupes d'autodéfense ou simples vigies ?
Parmi les treize morts par armes à feux recensés depuis le déclenchement de ces émeutes, quatre Calédoniens ont été tués par d'autres civils. La crainte d'affrontements au sein de la population subsiste. Et la rumeur perdure chez les indépendantistes de l'existence de milices.
Mais l’ancien maire de Païta tord le cou à cette étiquette. "Les voisins vigilants, ce n'est surtout pas une milice. On ne s'est jamais attaqué à qui que ce soit. Nous ne sommes pas responsables des exactions, nous !" Pour Willy Gatuhau, ce terme employé par les indépendantistes fait référence aux "milices" des années 1980, que "les non-indépendantistes avaient mises en place pour réagir aux comités de lutte" du FLNKS. Les similitudes entre les Événements et la période actuelle sont d'ailleurs frappantes.
Drapeaux et hymne national
L'ancien maire de Païta le dit sans détour : "Ils ont monté la CCAT, nous avons le CRC". Dans ce "rapport de force", le collectif n'a plus peur de s'afficher. Des drapeaux "bleu-blanc-rouge" ont été peints sur toute une portion de la RT1 à Dumbéa Nord et une partie du mobilier urbain.
Mardi 24 septembre, son porte-parole appelle aussi à sortir les étendards tricolores "dans les voitures et sur les balcons" pour célébrer le 171e anniversaire de la prise de possession de la Nouvelle-Calédonie par la France. Et à entonner la Marseillaise à midi, précisément.
(*) Prénom d'emprunt