Visite guidée au cœur du chaos. Six mois après, à Dumbéa, un champ de ruines s’étend à l’emplacement de Kenu-In. À la rencontre des chefs d’entreprise et du monde économique, Gérard Larcher et Yaël Braun-Pivet ont découvert les décombres d'un centre commercial historique. Bilan du désastre : 34 000 mètres carrés de surface commerciale pillée puis incendiée, plus de quinze milliards de francs CFP de dégâts, environ 800 salariés sans emploi.
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Pensé en 1986
L'arrêt brutal d'une aventure commencée il y a plus de trente-cinq ans. "C'est la génération de nos pères qui [a] construit ce centre commercial", a raconté Frédérique Pentecost, présidente de la Holding du Pacifique - groupe Pentecost. "Il a été imaginé en 1986", malgré le contexte difficile des Événements, "parce qu'en Polynésie, à Punaauia, s'est ouvert le premier hypermarché Euromarché. C'était des connaissances de mon père, Philippe Pentecost. Ils ont dit : 'La Calédonie a besoin d'une nouvelle voie dans le commerce, pour apporter du prix, de la modernité.'"
Une naissance difficile
Dans un climat de concurrence féroce, ce projet porté par des capitaux calédoniens et tahitiens ne se concrétise pas à Nouméa mais à Dumbéa, sa voisine. "Aucune commune, aucune instance politique, ne voulait valider l'autorisation du permis de construire. C'est avec le soutien de Jean-Marie Tjibaou", le leader indépendantiste, "et de Michel Rocard", Premier ministre, "que les portes des différents cabinets se sont ouvertes."
Ouvert fin 1989
Le centre commercial ouvre en novembre 1989, l'année qui suit les accords de Matignon-Oudinot. Il prend racine au fil du temps. L’enseigne principale s’appelle Euromarché, avant de devenir Continent, puis Carrefour. Le plus grand hypermarché de Calédonie couvre 6 500 m2. La galerie attenante fait 5 500 m2. Elle intègre le magasin de meubles Conforama en 1991. On y trouve une cafétéria, une grande pharmacie, une boutique spécialisée dans les produits de luxe, un fleuriste, une papèterie… Autour du bâtiment principal, les enseignes éclosent. La dernière à sortir de terre est le Décathlon, en 2014.
Pas réussi à "sauver l'outil"
Dix ans plus tard, tous ces acquis partent en fumée. À la mi-mai 2024, l'opposition au dégel du corps électoral tourne aux violences. Au centre de l'agglomération nouméenne, Kenu-In paie le prix fort face aux émeutiers. "Le 13 mai, ils ont voulu forcer les grilles de la galerie marchande, a relaté Frédérique Pentecost. On a tenu le choc pendant deux/trois jours." Faute d'éviter les pillages, les équipes tentent d'empêcher les incendies, pour au moins "sauver l'outil". En vain. "Les grands feux ont commencé avec Décathlon. Puis, tout y est passé." Certains employés, présents depuis le début, approchaient de la retraite. "Une catastrophe."
"L'assurance ne couvre pas tout"
Le secteur a été fermé au public, en attendant de renaître de ses cendres. "La difficulté, c'est qu'à aucun moment, on n'a pensé que cette sinistralité serait totale." Le groupe a aussi subi des destructions dans la zone industrielle de Ducos, à Nouméa. "L'assurance ne couvre pas la totalité du sinistre." Malgré tout, dit Frédérique Pentecost, "on n’a pas d’autre choix que d’être là, de reconstruire et de faire face à la situation."
"Besoin d'une solution politique"
Sur quelles bases ? "Déjà, il va falloir qu’on prenne sur nos économies pour démolir, et on verra dans le futur comment les choses se passent. Mais nous, ce dont on a besoin, c’est d’une solution politique, pour la Nouvelle-Calédonie, insiste-t-elle. Elle permettra à toutes les instances (aussi bien les assurances, que les banques, l’État) de lever un certain nombre de blocages."
Le théâtre de discussions
"Ce qui s'est produit ici, s'est produit partout ailleurs", a lancé aux deux visiteurs Mimsy Daly, à la tête du Medef-NC. "Le pillage, l'incendie, la destruction, le saccage. Souvent sous les yeux des employés et des entrepreneurs, qui ont souvent dormi dans leur entreprise des jours durant pour les défendre." Un temps d'échanges avec le monde économique a eu lieu là, dans l’ancienne allée principale de la galerie commerciale. On en retiendra la grande résilience des chefs d'entreprise, qui demandent une situation institutionnelle pérenne. Mais aussi la proposition, faite par Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher, de nommer à Paris un interlocuteur unique dédié à la Calédonie.
"L’État doit être mieux organisé"
"C'est terrible, ce qu'ils ont vécu. On le voit ici, il suffit d'ouvrir les yeux et les oreilles, réagit la présidente de l'Assemblée nationale. Les violences ont été incommensurables. C’est difficile, on le sent bien, et ils sont inquiets pour leurs salariés parce que ce sont de vrais patrons, responsables. Il faut qu’on soit à leur côté, résume-t-elle. L’État doit être mieux organisé, on en a parlé. Qu’on puisse faire preuve de souplesse, de rapidité, d’efficacité, pour répondre à leurs attentes parce qu'ils veulent reconstruire."
"Une leçon de volonté"
Le président du Sénat retient "le courage des chefs d'entreprise, le courage de ceux qui les représentent, l'envie de se lever. Nous venons de recevoir une forme de leçon de volonté et ce qui nous a été transmis, nous avons le devoir de le transmettre rapidement. On ne peut pas dire qu’on étudiera encore et qu’on fera un énième rapport. Notre sujet, c’est que des réponses doivent être apportées dans les meilleurs délais."
"Douleur, colère, émotion"
"Un moment fort pour les chefs d'entreprise", confirme David Guyenne, président de la CCI. "Ils ont pu exprimer de la douleur, de la colère ou de l'émotion. Il fallait le voir, il fallait l'entendre." Quitte à interpeller les parlementaires, comme l'a fait Xavier Benoîst pour la FEINC, la Fédération des entreprises et des industries de Nouvelle-Calédonie : "C'était important, dans le cadre de leur mission, de leur dire que beaucoup de chefs d'entreprise, beaucoup de Calédoniens, ne comprennent pas le fondement de leur mission. Pourquoi ils sont là, ce que ça va apporter."
À découvrir ci-dessus, le reportage d'Yvan Avril et Claude Lindor.