La guerre des cinémas aura-t-elle lieu ?

A Dumbéa, le cinéma MK2 n’est pas encore ouvert mais le Cinécity pronostique déjà un avenir incertain pour les salles obscures. La famille Hickson estime le projet sur-dimensionné et dénonce une concurrence déloyale, en raison d’une accumulation d’aides publiques pour ce multiplexe privé.

Déjà durement frappés par la crise sanitaire, les cinémas font face aujourd’hui à l’explosion des plateformes de streaming. Et le Cinécity n’est pas épargné. Mais pour Douglas Hickson, son directeur, la "crainte" n’est pas seulement conjoncturelle, elle est aussi "structurelle". "Alors que nous n’avons pas fini de rembourser tous les emprunts faits pour cet établissement ouvert en 2003, arrive sur le marché un nouveau multiplex (le MK2), que l’on considère comme surdimensionné depuis l’origine." 

Arrive sur le marché un nouveau multiplexe, que l’on considère comme surdimensionné depuis l’origine."

Douglas Hickson, directeur du Cinécity

 

Douglas Hickson s’appuie sur une étude économique, réalisée par un cabinet métropolitain à la demande du promoteur, dont il a pu se procurer des extraits et que Nouvelle-Calédonie la 1ère a pu consulter. "Le MK2 mise sur un minimum de 380 000 entrées par an. Ce qui est un chiffre exubérant par rapport à la réalité économique du marché et qui va largement s’empirer par la situation actuelle du cinéma et le fait qu’il y aura deux multiplexes", estime-t-il.

Cette fréquentation, selon le Cinécity, correspond davantage à des habitudes métropolitaines, où les spectateurs vont plus régulièrement au cinéma (3,3 fois par an en moyenne, contre 2,5 fois par an en Calédonie). 

Plusieurs affaires en cours

Autre grief formulé par la famille Hickson : le MK2 "n’a pu voir le jour que grâce à de nombreuses contributions qui viennent des collectivités et des sociétés d’économie mixte, qui ont porté le projet". Outre la défiscalisation métropolitaine, dont avait aussi bénéficié le Cinécity, ce projet de 2,5 milliards de francs a aussi reçu l’appui de la Caisse des dépôts et consignations et de l’AFD (agence française de développement). 

La direction du Cinécity a déjà entamé plusieurs recours contre le projet. Elle attaque notamment la mairie de Dumbéa au tribunal administratif pour "ne pas avoir contesté l'action de son co-contractant, la Secal". Selon le plaignant, l'aménageur "n’a pas agi dans les meilleurs intérêts, notamment en vendant ce terrain, cédé par la ville, deux fois moins cher que les prix du marché". 

"Le Cinécity essaie de montrer aux juridictions que l’accumulation des aides dont bénéficie le nouveau cinéma est illégale, dans la mesure où elle génère une concurrence déloyale par rapport au Cinécity qui, lui, ne fonctionne qu’avec les entrées que les consommateurs veulent bien payer", précise le juriste Matthieu Machevin, qui défend les intérêts du Cinécity. 

Du cinéma d'auteur et des "blockbusters"

Du côté de la mairie de Dumbéa, du MK2 et de la Secal, personne ne souhaite commenter ces allégations, tant que ces affaires judiciaires sont en cours. On se défend toutefois de faire directement concurrence au Cinécity. Le MK2 sera "bien plus qu’un cinéma", ce sera un "lieu culturel", tourné en partie "vers les publics scolaires", précise la mairie. 

Mais contrairement à ce qui a fait la réputation de la société fondée en 1974 par Martin Karmitz, ce futur multiplex ne se limitera pas au cinéma d’auteur. Trois des quatorze salles seront consacrées aux super-productions américaines, un créneau qui représente trois quarts du chiffre d’affaires du Cinécity.  

"Quand cet établissement va ouvrir, il n’y aura pas le marché suffisant pour que les deux établissements puissent équilibrer leurs comptes", estime Douglas Hickson, au regard des 180 000 habitants de l’agglomération nouméenne. 

Une filière bientôt sous perfusion ?

"Les collectivités vont être devant un choix, à savoir laisser un des deux établissements disparaître, et dans ce cas on ne voudrait pas que ce soit l’établissement historique, alerte Douglas Hickson. Sinon, il va falloir que les collectivités interviennent pour aider ces deux établissements, afin qu’ils puissent survivre à cette situation. »

La fréquentation sera-t-elle au rendez-vous dans les deux cinémas ? Verdict dans quelques mois. Le MK2 annonce une ouverture avant la fin de l’année.