La scène est presque devenue inhabituelle dans le quartier de Kaméré. Ce lundi 27 mai au matin, des habitants se promènent baguettes de pain sous le bras dans ce secteur durement touché depuis le début des émeutes, il y a quinze jours. Le week-end précédent, les forces de l'ordre sont intervenues pour faire tomber les barricades des émeutiers. Leur présence rassure certains, quand d'autres y voient la source des agitations.
C'est le premier jour où il n'y a pas de bruit.
Une habitante du quartier Logicoop, près de Kaméré
Un calme apprécié et redouté
Dans la rue, un homme et son épouse sortent à peine de leur habitation à Kaméré. À leurs côtés, un enfant de 4 ans, leur petit-fils. L'homme raconte que le matin encore, dans la rue d'à côté, on entendait des détonations : "Là on va chercher du pain parce qu'on ne sait pas ce qu'il va se passer", explique-t-il.
Pour cet habitant, les dégradations sont le résultat de l'opposition entre forces de l'ordre et émeutiers, il pointe le haut de la rue : "Regardez, ils (les policiers) sont encore là-haut. C'est leur présence qui fait que les gars sont excités". Il se dit surtout inquiet que son petit-fils se retrouve au milieu d'affrontements et respire des gaz lacrymogènes, il résume : "On est en plein milieu d'une spirale". Il laisse entendre que c'est loin d'être terminé. D'ailleurs on sent bien que dans le quartier, la tension reste palpable et la présence des journalistes est à peine tolérée.
Les maux politiques
Pour ce grand-père, il suffirait que les discussions sur le dégel soient arrêtées pour que la violence cesse à son tour. Il ne comprend pas qu'elles se poursuivent en dépit de la situation sur le territoire, il a son avis, et le partage : "Avec le dégel du corps électoral, le processus de décolonisation a été perturbé".
Assis sur sa terrasse, un ancien du quartier de Logicoop, cette fois, exprime sa lassitude. L'avenir reste incertain, et il préfère ne pas trop parler pour ne pas attirer l'attention, en précisant tout de même : "Je n'ai pas peur, mais je me méfie c'est tout. Je me méfie parce que c'est un peu trop calme".
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Un "vieux" du quartier
Alors que cet homme raconte sa jeunesse dans ce quartier, les voisins s'arrêtent en voiture pour prendre de ses nouvelles : il va bien, répète-t-il pour rassurer et prend lui aussi quelques nouvelles de ses connaissances.
"Je suis né ici, j'ai fait les 400 coups, si je dois partir je vais où ?", conclut l'homme en évoquant les décisions politiques qui pourraient être prises. Il fait le récit des histoires de ses aïeux sur plusieurs générations en Calédonie. Il raconte aussi son quartier, autrefois largement dominé par la brousse. Aujourd'hui, il est abîmé. C'est aussi le cas de beaucoup d'autres quartiers.
"Ici c'était la guerre"
Dans la rue, quelques enfants jouent au ballon. Le week-end passé, ils ont vu passer les fourgons, sept d'après ce que se rappelle l'un d'eux rassuré par l'arrivée des forces de l'ordre. Il dit avoir ressenti de la joie en les voyant : "ça s'est un peu calmé", explique ce garçon âgé de 10 ans. "On a tout vécu ici", raconte une jeune femme de sa famille, accoudée à la barrière devant la maison. La présence de la gendarmerie dans le quartier semble la rassurer. Elle raconte que les interventions ont été rares. Au début des violences, elle se rappelle avoir vu les forces de l'ordre, puis ce week-end après l'incendie d'une maison, rien entre-temps : "On s'est tous dit dans le quartier, c'est malheureux pour les gens, mais il a fallu que cette maison brûle pour qu'ils reviennent ici."
La journée c'est la paix, la nuit ça explose.
Un habitant
Les voisins s'organisent aussi pour protéger le secteur, la jeune femme décrit des scènes vécues les premiers jours des émeutes : "Dès le premier jour, ils ont volé des voitures, ensuite, ils roulaient sur les jantes et ça fait un boucan d'enfer." Le voisinage pas réussi à protéger l'école Gustave Lods, ni la maternelle Les orchidées. Le collège de Kaméré et la médiathèque ont aussi été incendiés. Le retour à une vie normale, ils ont un peu de mal à l'imaginer pour le moment.