Rarement un 26 juin n’aura été célébré avec autant d’émotion sur le Caillou. Malgré la foule venue vivre l'évènement, tout en bas de la place des Cocotiers, les prises de parole ont été écoutées en silence, ce dimanche. Moment historique oblige.
Après une cérémonie marquée par les gestes coutumiers, la statue immortalisant la poignée de main entre Jean-Marie Tjibaou et Jacques Lafleur a été dévoilée dans un roulement de tambours, ceux des petits élèves des écoles de la Conception et de Nouméa, baptisés "Les tambours de la paix".
Une fois le grand voile blanc à terre, les Calédoniens ont pu admirer, pour la première fois, cette statue en bronze de deux mètres de haut, réalisée par l’artiste Fred Fichet, à Nouméa. Une oeuvre chargée d’histoire puisqu’elle symbolise la poignée de mains, sur le perron de Matignon, le 26 juin 1988, entre le leader indépendantiste Jean-Marie Tjibaou et le chef de file loyaliste. Mettant ainsi fin à ce que l’on a appelé pendant longtemps les "Evénements", et que de plus en plus de représentants politiques reconnaissent aujourd’hui comme une guerre civile.
Une foule émue
Certaines personnes présentes dans la foule ont livré leurs impressions au micro de Lizzie Carboni.
Micro-trottoir place de la Paix
"Ça m’émeut beaucoup, ça me remet en question, j'espère qu’ensemble, on pourra se mettre autour de la table et dialoguer", confie cette Calédonienne, en faisant allusion aux discussions qui doivent s’ouvrir sur un nouveau statut, après trois référendums d'auto-détermination.
"Geste fort" pour les uns, dans une Calédonie qui a "besoin de symboles", cette statue est aussi accueillie par d'autres comme le signe d’un "changement de vision pour l’avenir". Des mots pudiques, mais qui en disent long sur le difficile travail de réconciliation entre loyalistes et indépendantistes, trente-quatre ans après ce geste de paix.
Trois femmes pour un symbole
Or, c'est une séquence historique qui a été ouverte par trois femmes : Marie-Claude Tjibaou, veuve du leader indépendantiste, Isabelle Lafleur, fille de l’ancien député loyaliste, et la maire de Nouméa Sonia Lagarde. Côte à côte, elles ont tout d'abord dévoilé la statue, avant de prendre la parole à la tribune. Trois allocutions dans lesquelles il était question d’Histoire, de réparation et de générations futures.
Retrouver ici le reportage de Dave Waheo Hnasson et Laura Schint
Pour Isabelle Lafleur, ce geste figé dans le bronze doit "permettre à la jeunesse de ce pays de ne pas oublier l’Histoire et les heures sombres qu’elle a connues(..), ne jamais oublier qu’une guerre civile s’est déclarée ici et que plus de 90 personnes sont mortes".
Marquée par la disparition de son époux Jean-Marie Tjibaou, assassiné un an après cette poignée de main, à Ouvéa, Marie-Claude Tjibaou, elle, souhaite aller au-delà des symboles et des discours. "La devise 'Terre de parole, terre de partage' ne doit pas être qu’un épitaphe gravé sur un bâtiment mais un objectif quotidien dans nos écoles, dans nos entreprises, dans nos institutions."
Un symbole de colonisation remplacé par une image de paix
Fortement impliquée dans l’inauguration de cette statue et cette place de la Paix, la maire de Nouméa Sonia Lagarde estime que "cette poignée de main a amorcé un processus de paix dont nous sommes toutes et tous les héritiers". D'où ce travail de devoir de mémoire, pour éviter un "retour à des postures qui feraient reculer l’Histoire et qui nous ramèneraient les uns et les autres à un passé que nous ne voulons pas revivre".
Invitée de notre journal télé, ce dimanche 26 juin, elle est d’ailleurs revenue sur la genèse du projet. C’est lors de sa première mandature que l’idée d’une place de la paix a "germé" depuis son bureau de l’hôtel de ville. Un bureau dont la vue donnait sur le square Olry et la statue du même nom. "Cette statue a eu son histoire, qui est une histoire heurtée", reconnaît la maire. Symbole de la colonisation, le gouverneur Olry s'est inscrit dans l’histoire calédonienne comme celui qui a maté la révolte kanak de 1878.
Le souhait de Sonia Lagarde fut alors de "débaptiser le square Olry" et de "déplacer" la statue, "mais je ne suis pas une spécialiste du déboulonnage", relate-t-elle sur notre plateau. Elle sonde l’avis d’Isabelle Lafleur, conseillère municipale, qui lui confie qu’elle et Marie-Claude Tjibaou travaillent de leur côté à la réalisation d’une statue immortalisant la poignée de main. "Elles avaient déjà pris des contacts avec Fred Fichet. C’est un concours de circonstance, un hasard très heureux concrétisé aujourd’hui", se réjouit-elle.
L'interview de Sonia Lagarde, sur le plateau d'Yvan Avril
Des marches plutôt qu'un piédestal
Et pour donner tout son sens à ce lieu, la place a également été baptisée "Koo Wè Joka", qui signifie "le lieu où ils ont fait la paix" en nââ numèè, une langue kanak parlée à Nouméa. Autre détail de poids, cette statue n’a pas été posée sur un socle ou sur un piédestal, mais sur des marches. Un choix qui répond à la "volonté de Marie-Claude et Isabelle, de la mettre la plus basse possible", au plus proche du public pour qu’il puisse la toucher.
"Il faut entretenir ce trésor, le soigner, le travailler, le cultiver, estime Sonia Lagarde. C’est comme la mémoire, c’est comme l’intelligence. Il faut travailler cette volonté de vivre ensemble." Avec l’inauguration de cette nouvelle place de la Paix, le "26 juin" parviendra peut-être, lui aussi, trente-quatre ans après la poignée de main, à devenir réellement une date fédératrice dans la mémoire collective des Calédoniens. Avec les célébrations qui l’accompagnent.