La décision de la cour de cassation concernant l’ex-procureure de Wallis et Futuna a mis un point final à une «survivance de la magistrature coloniale» et un long débat. Mais elle a confirmé la fragilité des dossiers encore à juger sur lesquels Atonia Tamole a travaillé. Retour sur l'affaire.
1928!
A l'époque des colonies, il y a quatre-vingt-dix ans, un décret fixe l'organisation des cours et des tribunaux dans l'outre-mer français. Il prévoit des dispositions dérogatoires pour le territoire lointain et isolé de Wallis-et-Futuna. Un texte qui va être toiletté au fil du vingtième siècle par des décrets successifs.1990
C'est pourtant sur cette vieille base qu'Atonia (ou Antonia) Tamole devient procureure du tribunal de première instance de Mata-Utu. En 1990, la fonctionnaire territoriale, qui n'est pas magistrate professionnelle, est nommée à ce poste à titre intérimaire et temporaire.2015
Une «mise à disposition» renouvelée un quart de siècle plus tard, via une convention signée par le procureur général et le premier président de la cour d'appel de Nouméa.2017
• La remise en causeSauf que l'an dernier, un avocat conteste carrément la légalité du statut devant la dite cour d'appel. En septembre 2017, Jean-Jacques Deswarte défend un automobiliste poursuivi pour homicide involontaire - un an plus tôt, l'homme a été mis en cause dans un accident de la route mortel survenu à Wallis. Or pour Maître Deswarte, la dérogation qui permet à la procureure d'exercer n'est plus prévue par la loi depuis longtemps. Il demande l'annulation de tous les actes qu'elle a effectués dans cette affaire. Et la chambre d’instruction de la cour d’appel lui donne raison. Tremblement de terre.
• La précaution
En soutien à sa consœur, James Juan, le procureur général près la cour d’appel de Nouméa, se pourvoit en cassation. Mais «par précaution», pour éviter que les actes signés dans l’intermède soient attaqués, un magistrat est mandaté en remplacement sur Mata-Utu à partir de septembre 2017.
Février 2018
Le 12 février, la situation d'Atonia Tamole est précisée. Par décret présidentiel, elle est nommée «substitute générale». En septembre, après une formation de cinq mois en métropole, elle pourra de nouveau occuper les fonctions de procureur de la République à Wallis, cette fois en toute légalité.Avril 2018
Car le 11 avril, l'arrêt si attendu a été rendu par la cour de cassation. La plus haute juridiction judiciaire de France déboute le pourvoi et tranche la question : oui, la désignation d'Atonia Tamole était dénuée de bases légales car à l’époque, elle n'appartenait pas au corps judiciaire. Non, elle ne pouvait pas effectuer d’actes juridiques.Et maintenant?
Le débat est clos et la conclusion ne fait pas que signer la fin d'une «survivance de l'époque coloniale». Elle implique la fragilité de toutes les affaires en cours dans lesquels l'ex-procureure est intervenue. La fraude massive à la défiscalisation, avec sa cinquantaine de prévenus, figure dans le lot.«C'est une catastrophe judiciaire pour un certain nombre de dossiers.»
«Tous les dossiers qui n'ont pas été définitivement jugés, et dans lesquels Mme Tamole a fait un acte, sont frappés de nullité à partir de cet acte, martèle Jean-Jacques Deswarte. C'est une catastrophe judiciaire pour un certain nombre de dossiers.»
«Ce seront les juridictions qui en tireront les conséquences.»
James Juan livre une vision plus nuancée. «Il y a des affaires qui ont été gelées - par le tribunal de Mata-Utu, le tribunal de Nouméa, ou la cour d’appel - dans l’attente de la décision de la cour de cassation, insiste-t-il. Ça veut dire que les juridictions vont prendre acte de cette décision et que les actes accomplis par Mme Tamole sont annulés. A ce moment-là, ce seront les juridictions qui en tireront les conséquences.»
Le reportage, diffusé le 13 avril, de Natacha Cognard et Patrick Nicar.