REPORTAGE. À Rivière-Salée quartier de Nouméa dévasté par les émeutes, une épicerie ambulante recrée du lien entre Calédoniens

L'épicerie ambulante permet aux personnes isolées de Rivière-Salée, à Nouméa, de se ravitailler.
Dans le quartier de Rivière-Salée, l'un des plus étendus de Nouméa, aucun commerce n’a survécu aux violences qui ont secoué la Nouvelle-Calédonie. Il n’y a plus de transport non plus, alors Christelle, 50 ans, habitante du quartier qui a perdu son travail en raison de la crise, a eu l’idée de monter une épicerie ambulante.

“On klaxonne dans la rue, on laisse le temps aux gens de sortir, comme au bon vieux temps.” Cela fait seulement trois semaines que Christelle a pris le volant de son camion blanc pour ravitailler Rivière-Salée, mais le duo qu’elle forme avec Roberto, qui sert les clients, est déjà bien rodé. Dans l'épicerie ambulante, du pain frais, des viennoiseries, du lait, des œufs, un peu de riz et quelques boîtes de conserve. L’essentiel, mais suffisant pour faire le bonheur de tous ceux qui, faute de voiture ou pour raison de santé, ne peuvent plus sortir du quartier, où seule la pharmacie a survécu à la flambée de violence qui a commencé au mois de mai.

Nouveau départ

Rien ne prédestinait Christelle, à devenir épicière. “À la veille des émeutes, j’ai fêté mes 50 ans. J’ai eu de la chance, on a pu faire comme on dit un dernier coup de fête. Et à 50 ans, hé bien on recommence à zéro !”. Il y a encore trois mois, Christelle était gérante d’une entreprise de vidange. Mais sa vie bascule le 13 mai : “Du jour au lendemain, on n’a plus pu accéder à nos locaux de Ducos et j’ai toujours du matériel bloqué au Mont-Dore Sud. Avec mon père, qui a fondé l’entreprise, on a préféré arrêter plutôt que de s’obstiner.” Son mari, dans l’évènementiel voit aussi son activité stoppée net du jour au lendemain. “C’est là qu’il a lancé l’épicerie, et moi je donne la main.”

Les vieux comme moi, on hésite à sortir du quartier avec tous les embouteillages qu’il y a.

Mani

habitant de Rivière-Salée

Le succès est tout de suite au rendez-vous. Il faut dire que Christelle, qui habite Rivière-Salée depuis 13 ans et dont le mari “est quasiment né sur place”, connaît le quartier comme sa poche. Lorsque le téléphone sonne pour une demande de livraison, elle a déjà l’itinéraire en tête. Arrêt devant une maison aux murs orange, un coup de klaxon et les habitants ont compris :  “Falawa !” ("Voilà le pain" en Lifou), avertit l'un des voisins.

Pour Marianne, le camion de Christelle est une aubaine : “Il n’y a plus rien dans le quartier, des fois j’envoie mes garçons à vélo jusqu’à Magenta, sinon il faut que je demande à de la famille ou que j’appelle un taxi. Aujourd’hui, je ne vais prendre que du pain, mais des fois je prends de la farine, du riz, etc. Je suis une cliente fidèle”, plaisante la jeune femme. Mani repart de son côté avec une baguette et quelques pains au chocolat. Lui a une voiture, “mais les vieux comme moi, on hésite à sortir du quartier avec tous les embouteillages qu’il y a”.

Moments de partage

À terme, Christelle espère proposer aussi des surgelés, et mettre en place des rendez-vous fixes à certains points stratégiques : “On fait lentement, mais sûrement. Pour le moment, on tourne. Pour que tout le monde soit content et que ce ne soit pas toujours les mêmes qui soient servis en premier, on change l’ordre de la tournée tous les jours.”

Ils m’ont même surnommé mam’s !

Christelle

au volant de l'épicerie ambulante

Mais déjà, le passage du camion épicerie est devenu un repère quotidien pour certains. “Dans cet immeuble, il y a une vieille dame, tous les jours elle attend son pain. De les voir heureux quand ils nous voient arriver, c’est touchant, raconte Christelle. À force, des liens se sont tissés, on s’arrête on blague un petit peu avec eux, voilà. C’est tous nos papys nos mamies et ils m’ont même surnommé mam’s !” Christelle réfléchit encore, mais le surnom devrait trouver sa place sur le futur logo de l’épicerie, au côté d'une colombe, "un signe de paix".