La SPMSC, c'est tout une histoire. Et pour bien la comprendre, il faut revenir une quinzaine d’années en arrière. Créée en 2005, la Société de participation minière du Sud calédonien (SPMSC) doit permettre aux trois provinces de Nouvelle-Calédonie d’entrer au capital de l’usine du Sud. Projet industriel alors piloté par le géant canadien Inco.
L’opération ne peut être que rentable, selon un rapport de neuf pages signé en 2004 par Anne Duthilleul, haut-fonctionnaire dont les avis font loi. L’acquisition de 10% des actions détenues par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) dans le projet Goro Nickel ne coûterait que sept milliards de francs CFP.
Un investissement certes conséquent mais qui pourrait rapporter, selon l’expertise, près de 50 milliards de dividendes entre 2005 et 2019. Plus précis encore : après paiement au BRGM et remboursement de l’emprunt, la société calédonienne aurait dû engranger près de 24 milliards nets dans l’opération.
Qui plus est, sans avoir à assumer le risque financier et industriel. C’est en tout cas sur ces bases que Promosud (50%) ainsi que les provinces Nord et Iles (25% chacune) adhèrent au capital de la prometteuse SPMSC.
Des promesses à la réalité
L’investissement de celle-ci va rapidement être dilué. Malgré les précautions contractuelles prises et répétées à l’envi, tant par les dirigeants de la société d’économie mixte que par ceux de l’industriel. A l’image de cette déclaration de Jennifer Maki, alors en charge de la branche Base metals du groupe Vale.
Lorsque le pacte d’actionnaires fut négocié, SPMSC a insisté sur le fait qu’il était hors de question pour elle de supporter un quelconque risque industriel.
C'est que les coûts de construction de l’usine, établis en 2004 à 1,9 milliard de francs, ont doublé en trois ans. Or, contrairement aux engagements pris par Inco puis Vale lors du rachat de l’industriel canadien, la SPMSC va bel et bien devoir participer au financement des multiples surcoûts.
"Elle a participé à la prise en charge du risque industriel par sa participation au financement du coût de l’usine au-delà des montants initialement prévus, au prix d’un endettement financier croissant qui vidait de tout intérêt financier sa participation dans le projet", souligne le rapport de la CTC sur sa gestion de 2016 à 2018.
Ce qui a conduit à une dilution de la participation des provinces réunies dans la SPMSC de moitié jusqu’au seuil des 5%. Non sans multiplier les emprunts bancaires et autres dettes contractées auprès de Vale pour financer les avances de fonds exigées.
Un partenariat remis en cause
Le schéma initial mis en œuvre aurait, en fait, été modifié dès le démarrage effectif de l’opération en 2008. En cause, le dérapage dans les coûts de construction de l’usine et le changement d’actionnaire majoritaire - rachat d’Inco par Vale. Voyant la catastrophe se profiler, la SPMSC refuse alors de suivre les augmentations de capital. Elle stoppe même ses versements et demande à l’actionnaire majoritaire (Vale) d’ouvrir des négociations, en vue d’une modification du pacte d’actionnaires, pour sécuriser son niveau de participation à 5% quels que soient les nouveaux appels de fonds dans l’avenir.
Un avenant au pacte d’actionnaires est négocié. La société de participation conserve ses 5%. Mais elle est invitée à contracter un nouveau prêt de trois milliards auprès du groupe bancaire Bred-Oceor. De plus, elle se voit ouvrir une ligne de crédit à 0% d’intérêt de la part Vale, afin de rembourser ses échéances bancaires en attendant les dividendes promis. Cet avenant reçoit un avis favorable de l’assemblée de la province Sud en septembre 2008. Ce qui vaut ce constat de la Chambre territorial des comptes :
In fine, la SPMSC se retrouve dans la dépendance financière de l’actionnaire majoritaire.
Incohérence et enlisement financier
Le feuilleton se poursuit avec un nouvel épisode entre la SPMSC et la Bred-Oceor. Laquelle a relevé une incohérence entre le contrat de prêt et le pacte d’actionnaires. "Pour des raisons inexpliquées, comme le rapporte la CTC, l’avenant conclu aurait modifié les conditions de remboursement des prêts par la SPMSC. Alors qu’il était initialement prévu des remboursements après distribution des premiers dividendes, sur une période pouvant aller jusqu’en septembre 2026, l’avenant signé le 29 mars 2012 par la SPMSC et le groupe bancaire prévoit un remboursement de 1,2 milliard de francs dès la signature, puis six annuités de 2013 à 2018."
Après négociation, la SPMSC honore sa première traite, soit 1,25 milliard de francs, grâce à un prêt octroyé par… Vale Canada. Alors même que ses comptes sont dans le rouge, qu’une nouvelle traite (1,25 milliard) arrive à échéance, le conseil d’administration décide en 2014 de rembourser ses actionnaires (473,7 millions de francs pour Promosud, 28,8 millions pour la province Nord et 1,15 million pour la province des Iles).
Face à cette bérézina financière, vient l’idée de négocier la restructuration de la dette de la société, via l’attribution du gisement de Prony et Pernod à Vale et Eramet. Un partenariat entre les deux industriels et la province Sud est conclu par l’ancienne présidente du gouvernement, Cynthia Ligeard. Un accord qualifié à l’époque d’opaque, et pour cause. Le massif d’au moins six millions de tonnes de nickel pouvait être valorisé entre 90 et 120 milliards de dollars. Soit 10 à 14 mille milliards de francs CFP, selon Les Echos du 16 avril 2014. Bien supérieur à la dette de la SPMSC.
L’arrivée en 2014 d’une nouvelle majorité à la province Sud met fin à la tractation et de fait, annule la lettre d’intention pour la restructuration de la dette. A savoir : "L'abandon par Vale Canada de toutes ses créances sur la SPMSC". Pour autant, la Chambre des comptes relève que celle-ci a contribué à alimenter une dette à l’égard de l’actionnaire majoritaire à un niveau moyen de trois milliards par an.
La SPMSC n’aurait accepté les termes d’un tel mode de financement que parce qu’elle aurait toujours été assurée de la rentabilité du projet, ce qui ne la priverait pas de ses dividendes de manière définitive.
Une dette et pas de dividendes
Alors que les coûts de construction de l’usine du Sud n’ont cessé de croître, ils auraient atteint 9,5 milliards en 2018, un cabinet d’analyse juridique mandaté par la société de participation conclut :
L’importance des dépassements budgétaires successifs et le choix de retenir des avances capitalisables ont conduit à priver la SPMSC de tout espoir de retour sur investissement.
Elle "se voit donc désormais contrainte de financer une partie du risque industriel dont les proportions complètement hors normes étaient totalement imprévisibles pour [elle] lors de la renégociation du pacte en 2008", ajoute le cabinet.
Au 28 février 2019, la dette de la SPMSC s’élevait, selon le rapport, à 45,185 milliards de francs CFP. Un montant réparti entre la dette accumulée auprès de Vale NC (36,485 milliards) et 8,7 milliards auprès du BRGM.
Alors que la capacité de production annuelle attendue était de 60 000 tonnes de nickel contenu et 5 000 tonnes de cobalt, jamais l’industriel n’est parvenu à approcher ces résultats. Au mieux, lors de l’exercice 2017, l’usine a produit 37 400 tonnes de nickel, dont 83% sous forme d’oxyde de nickel (NiO), et 2 780 tonnes de cobalt. Et compte-tenu des coûts d’investissement et de fonctionnement de l’usine, la société Vale NC n’a bien sûr jamais distribué de dividende.
Mais la fin semble heureuse. La vente de 95% des parts de l’usine du Sud par Vale en 2021 a eu pour effet l’effacement de la dette envers la SPMSC. Qu’adviendra-t-il de la société ? Elle est forte, désormais, de 30% du capital, partagé notamment avec la CFP, Compagnie fiduciaire de Prony, et le Suisse Trafigura. Grâce à l’actionnariat salarié, les intérêts calédoniens seront représentés à hauteur de 51%. Pour le meilleur et pour le pire.
Le rapport d'observations de la CTC peut être consulté ici :