Cinq questions sur l'enquête qui vise le ministre Sébastien Lecornu pour "prise illégale d’intérêts"

Sébastien Lecornu durant son séjour calédonien, en octobre 2020.

Le ministre des Outre-mer a été entendu par la police anticorruption dans le cadre d'une enquête menée par le parquet national financier. Il est soupçonné de s'être servi de son poste de président du conseil départemental de l'Eure pour favoriser les intérêts d'une société d'autoroutes.

Une affaire qui risque de faire des vagues au sein du ministère des Outre-mer. Sébastien Lecornu a été interrogé, le 15 avril à Nanterre, par la police anticorruption sur ses activités passées à la tête du département de l'Eure, objet d'une enquête du parquet national financier pour "prise illégale d'intérêts", a appris l'AFP mardi de source proche du dossier.

Le ministre a été entendu en audition de suspect libre par les policiers de l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF) selon cette source, confirmant une information de Mediapart. Des soupçons réfutés par le ministre qui "conteste toute prise illégale d'intérêts”, a affirmé son cabinet. Pour y voir plus clair, NC La 1ère décrypte cette affaire qui remonte à 2019 en quatre questions.

  • 1. Qu’est-ce qui est reproché à Sébastien Lecornu ?

Dans sa déclaration à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATPV), le ministre a mentionné avoir été administrateur de la Société des autoroutes Paris Normandie (SAPN) entre juillet 2016 et juin 2017, et avoir touché à ce titre un total de 7 874 euros bruts (937 000 francs) de "jetons de présence". Or, celui qui appartenait alors aux Républicains était dans le même temps président du conseil départemental de l'Eure. Un poste dont il est soupçonné de s'être servi pour favoriser les intérêts de la SAPN, à laquelle l'Etat a confié la gestion des autoroutes de la région.

Sur cette période, il a, en tant que président du département, approuvé plusieurs délibérations de la collectivité ayant trait à la SAPN, affirment les deux journaux : au moins quatre selon le Canard enchaîné, cinq selon Libération (article payant)

  • 2. Comment a éclaté cette affaire ?

Les ennuis commencent en début d’année pour Sébastien Lecornu. Le 13 janvier, Libération et Le Canard enchaîné révèlent qu’une enquête est ouverte depuis mars 2019 des chefs de "prise illégale d'intérêts" et d'"omission de déclaration à la Haute autorité pour la transparence de la vie publique".

Selon Libération, cette enquête est née à la suite d'un courrier d'un "banquier des collectivités locales reconverti dans l'énergie" adressé en janvier 2019 à la cheffe du parquet national financier d'alors, Eliane Houlette. Cette personne, qui assure ne pas poursuivre une vendetta personnelle, raconte au quotidien qu'il serait tombé "par inadvertance" sur ce dossier potentiellement explosif. A savoir un conflit d'intérêts au profit de celui qui a été président du conseil départemental de l'Eure avant d'occuper différents fauteuils au gouvernement dont, actuellement, celui des Outre-mer. Des accusations suffisamment graves pour entraîner l'ouverture de cette enquête préliminaire, confiée à l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF).

  • 3. Quelle est la définition de la "prise illégale d'intérêts" ?

Le délit de "prise illégale d'intérêts" est défini par l'article 432-12 du Code pénal : il s'agit du fait, "par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou par une personne investie d'un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement".

Peuvent donc être concernés par cette infraction un représentant de l'Etat (un ministre, un secrétaire d'Etat, un préfet, etc.), un élu (un maire, ses adjoints, un conseiller municipal, un président de conseil général, etc.), un fonctionnaire de l'ordre administratif (un policier, un gendarme, etc.), un officier ministériel (un notaire ou un huissier de justice) ou une personne chargée d'une mission de service public (un directeur d’hôpital, un président d’université, etc.).

Cette infraction est punie de cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 500 000 euros (59 millions de francs), dont le montant peut être porté au double du produit tiré de l’infraction.

  • 4. Comment se défend le ministre ?

Le ministre "conteste toute prise illégale d'intérêts dans le cadre de ses fonctions, d'avril 2016 à juin 2017, de président du département de l'Eure et d'administrateur à la SAPN", a déclaré mardi à l'AFP le cabinet du ministre. "Les présidents de départements de l'Eure, du Calvados et de Seine Maritime siègent traditionnellement, depuis des décennies et toujours aujourd'hui, au Conseil d'administration de la SAPN, société dont les départements sont actionnaires. Cela permet un dialogue entre les acteurs chargés d'une même mission de service public au bénéfice des citoyens", a indiqué le cabinet du ministre.

"Les rares délibérations prises par le département qui ont concerné la SAPN sont des actes de nature technique, correspondant à l'exécution de projets décidés par l'Etat ou à des régularisations administratives", selon la même source.

"Sébastien Lecornu a toujours exercé ses fonctions avec professionnalisme, impartialité, et de façon totalement transparente ; ce mandat, comme les autres, faisant l'objet d'une déclaration à la HATVP. Il continue de s'y employer, tous les jours, dans l'intérêt de l'Etat et de ses administrés", a ajouté le cabinet.
 

  • 5. Cette affaire peut-elle avoir des conséquences sur la réunion Leprédour à Paris ?

Pour le moment non. A un mois du rendez-vous parisien sous le format Leprédour - 5 indépendantistes, 5 loyalistes - le ministère des Outre-mer est en train d’élaborer l'ordre du jour portant sur les conséquences  du "Oui" ou du "Non" au lendemain du référendum. Le tout sur un mode collaboratif. Pour ce faire, trois outils sont lancés pour affiner cet ordre du jour. Tout d'abord, dès la semaine prochaine, des visioconférences se tiendront avec les représentants des formations au Congrès, sur la base d’un questionnaire élaboré par le ministère.

Ensuite, dans une quinzaine de jours, les résultats de la consultation citoyenne calédonienne lancée en janvier seront enfin publiés. Et enfin, les ministres du gouvernement d’Emmanuel Macron sont enjoints de se prononcer sur le dossier calédonien, chacun à leur niveau.