Rempart à une économie de comptoir ou machine à monopole ? Comment fonctionnent les protections de marché en Nouvelle-Calédonie

De nombreux produits calédoniens sont concernés par des mesures de protections économiques.
Le débat a été relancé récemment par l’Autorité de la concurrence : les protections de marché sont-elles utiles en Nouvelle-Calédonie ? Alors que le sujet est sur la table du Congrès, on vous explique les enjeux autour de ce dossier.

C'est un sujet qui ne manque jamais de créer la polémique en Nouvelle-Calédonie. Les protections de marché font partie des outils pour favoriser l'industrie locale via des taxes d'importation, des quotas, voire des interdictions.

Mardi 29 octobre, le Congrès se penche sur un nouveau texte pour réviser une loi de 2019, sans pour autant remettre en cause ces règles protectionnistes. Dans ce contexte, l'Autorité de la concurrence a publié une note pour critiquer ces mesures et recommande de revoir tout le système. Impensable, pour les industriels calédoniens.

Qu’est-ce qu’une protection de marché ?

Taxes, quotas, interdictions d’importation… Autant d’outils utilisés dans le cadre d’une politique économique interventionniste et protectionniste.
Dans les grandes lignes, il s’agit de favoriser des producteurs locaux contre une concurrence venue de l’extérieur. Avec une hausse des prix de produits importés, ou des interdictions et des quotas, l’objectif est de limiter la consommation de bien venus de l’extérieur au profit de la production locale.
Ce type de politique s’oppose au libre-échange et à la théorie libérale de l’avantage comparatif. Cette théorie part du principe, dans le cadre du commerce international et du libre-échange, qu’un état ou territoire a tout intérêt à se spécialiser et à renforcer la production où il est performant. Sans autre intervention politique.

Comment est-elle appliquée en Nouvelle-Calédonie ?

En Nouvelle-Calédonie, il existe deux types de protections de marché. La première concerne des restrictions quantitatives. Il s’agit soit de quotas, soit d’interdictions d’importation. Dans les deux cas, la mesure peut dépendre de l’origine du bien importé (hors Union européenne ou non) ou être totale.

Ainsi la protection la plus forte est la suspension toutes origines et provenances (Stop). Elle concerne par exemple le thon ou les crevettes, certaines confiseries ou encore les claquettes japonaises.

Autre type de protection, la mise en place d'une taxe à l’importation. L’objectif est alors de faire gonfler les prix pour que le produit local ne soit pas plus cher. Ces taxes existent pour les huîtres, les chips, la pâte à tartiner, la bière ou encore les pneus. 

Ces interdictions, quotas ou taxes ne protègent donc pas directement une entreprise, mais un produit bien précis. Les demandes sont faites par les producteurs directement. Le dossier est ensuite instruit par la direction des affaires économiques avant une décision du gouvernement.

La liste des produits concernés par une protection de marché est disponible sur le site internet du gouvernement.

Pourquoi ce principe est-il remis en question aujourd’hui ?

Alors que le gouvernement a déposé au Congrès un nouveau projet de loi concernant les protections de marché, l’Autorité de la concurrence a jeté un premier pavé dans la mare, au début du mois d’octobre. Dans une note, elle se montre très critique sur les protections dans leurs formes actuelles.

La crise a révélé des fragilités inhérentes au système de protectionnisme calédonien, fondé sur les protections de marché, comme en témoignent les pénuries constatées en mai et juin 2024 sur des produits de grande consommation soumis à des restrictions aux importations comme le riz, les pâtes et la farine.

Autorité de la concurrence en Nouvelle-Calédonie

Dans son rapport, l’Autorité de la concurrence parle de dispositifs de  "préservation peu efficace et coûteuse de l’emploi local". Elle recommande donc un audit global sur le système "dans les 6 à 8 mois", pour conditionner les futures demandes et renouvellement de mesures de protection. L’autorité propose ensuite de renforcer les filières pour lesquelles "il existe un avantage comparatif et/ou compétitif". Renforcer les secteurs porteurs et assouplir les mesures de protection en résumé.

Une prise de position qui aura plu à l’UFC-Que choisir. Pour l’association de défense des consommateurs, il est intéressant de "rationaliser les protections existantes en ne conservant que celles correspondant à un progrès économique suffisant, de privilégier les protections tarifaires incitatives et dégressives aux protections quantitatives, de privilégier les aides à l’investissement, à l’innovation".

Pour l’UFC, la refonte de la protection de la production locale aura pour effet bénéfique de faire baisser les prix.

Que disent les industriels ?

Les recommandations de l’Autorité de la concurrence ont fait bondir certains représentants du patronat, à l’image de la Fédération des entreprises et des industries de Nouvelle-Calédonie (Feinc). Dans un communiqué publié le 10 octobre dernier, la Feinc estime que l’Autorité de la concurrence souhaite "détruire la production calédonienne… Ou ce qu’il en reste" et demande carrément la dissolution de l'ACNC.

Depuis sa création, l’Autorité de la concurrence n’a que faire des spécificités calédoniennes (politiques, géo-économiques, culturelles et sociales), de l’emploi, de la jeunesse ou des déséquilibres macroéconomiques, comme des politiques publiques ou des élus qu’elle méprise ouvertement.

Fédération des entreprises et des industries de Nouvelle-Calédonie


Pour la Feinc, les protections de marché sont justifiées. "Il faut se souvenir qu’elles ont été mises en place par l’Etat, à la suite de la première grande crise du nickel en 1973, explique la Fédération. Pour diversifier le modèle et rompre avec l’économie de comptoir, politique qui a depuis été perpétuée par les autorités calédoniennes."

Les tensions entre l’Autorité de la concurrence et la Fédération des industriels ne sont pas neuves. Déjà en 2018, la Feinc n’avait pas apprécié la vulgarisation des politiques de protection réalisée en bande dessinée par l’ACNC.

Quelles suites politiques ?

Si le contrôle du commerce extérieur est une compétence de la Nouvelle-Calédonie dans le cadre de la loi organique de 1999, le dernier texte en vigueur date, lui, de 2019. Depuis, beaucoup de choses ont changé, avec des bouleversements majeurs. La crise Covid de 2020 et 2021, la guerre en Ukraine et son impact sur le prix du transport et enfin, les émeutes de mai 2024. Le gouvernement a donc déposé en juin un texte sur le bureau du Congrès pour dépoussiérer celui de 2019 et l’adapter au nouveau contexte. Il est examiné en commission ce mardi 29 octobre.

Un texte qui ne remet pas en question le principe du protectionnisme calédonien. "Le délai d'instruction des demandes de renouvellement qui était fixé dans la loi de 2019 est presque expiré après les émeutes de mai", explique Philippe Michel, président de la commission de la législation et de la réglementation économique et fiscale. "Donc le sujet principal du texte c'est uniquement de repousser ce délai, compte tenu des problèmes qui ont marqué les dernières années."

Depuis le 13 mai, il y a un sous-effectif chronique à la Direction des affaires économiques qui n'a pas pu instruire les demandes initiales et les demandes de renouvellement.

Philippe Michel, élu au Congrès de la Nouvelle-Calédonie

Le fond du dossier pourrait, en revanche, être abordé rapidement, dans une optique de refondation de l’économie du pays. Un sujet qui peut "devenir explosif" prévient l’élu au Congrès.