Samuel Hnepeune, PDG d’Air Calédonie sur le départ : "Le Covid nous a coupé les ailes"

Samuel Hnepeune interrogé au siège social d'Aircal à Nouméa après l'annonce de sa démission.
Le 4 novembre, le dirigeant d’Aircal depuis une décennie quittera la compagnie aérienne domestique de Nouvelle-Calédonie. Au lendemain de cette annonce, retrouvez l’interview de Samuel Hnepeune, en version longue.

A 61 ans, le patron emblématique d’Air Calédonie s’apprête à s’envoler vers d’autres horizons. Une démission, révélée lundi 24 octobre, que certains attribuent à ses relations tendues avec le gouvernement, son principal actionnaire. Explications, bilan et regard sur l'avenir de la compagnie dans la version longue, et retranscrite, de cette interview réalisée par Laurence Pourtau.

NC la 1ère : Vous quittez Aircal après dix ans d’exercice du pouvoir. Qu’est-ce qui vous rend le plus fier dans votre bilan ?

Samuel Hnepeune : Ça fait dix ans que je suis président du conseil d’administration. Neuf ans que je cumule les deux fonctions, président du conseil d’administration et directeur général. Je suis arrivé à Air Calédonie à une période où il y a eu les événements dramatiques de Maré, avec des morts. Mais l’explosion du trafic a fait qu’il a fallu absolument acheter un quatrième avion. On a renouvelé la flotte, un premier dossier de défiscalisation dans la première année. Plusieurs problématiques se posaient : flotte, sièges sociaux, accords sociaux. Une belle structure mais qui [fonctionnait] un petit peu à l’ancienne. Je suis plutôt ravi d’avoir conduit tous ces challenges.

De quelle manière ?

S.H. : Renouveler une flotte, augmenter la capacité de la flotte. L’ancienne, c’était un [ATR] 42 de 48 sièges, trois [ATR] 72 de 68 sièges. Aujourd’hui, [nous avons] quatre ATR 72 dernière génération de 70 sièges, 13 % de capacité en sièges supplémentaire. En termes d’objectifs, deux aspects sont peut-être, pour moi, plus importants : la réalisation du siège social et l’évolution numérique qu’a connue Air Calédonie ces derniers temps. Aujourd’hui, on achète sur Internet, on peut enregistrer en ligne, faire beaucoup de choses et les développements ne sont pas terminés.

Air Calédonie a un tel potentiel d’évolution qu’il reste beaucoup de choses à faire même si on a déjà fait un bon bout de chemin.

Samuel Hnepeune, président directeur général d'Aircal

On a souvent entendu, ces dix dernières années, parler d’Aircal sur le plan social. Les batailles ont été rudes pour vous. Quel bilan pouvez-vous en tirer ?

S.H. : Même au niveau social, on a beaucoup évolué. D’où mon attachement, dès mon arrivée, à signer des accords sociaux alors qu’il n’y en avait pas depuis vingt ans, pour asseoir un dialogue social constructif et surtout apaisé. Ces derniers temps, effectivement, c’était un peu plus tendu. Mais je pense que le contexte a fait que. Deux ans de Covid, la relance, la crise suite au Covid et notamment les événements mondiaux que l’on connaît [ont] fait que.

Les salariés ont fait des efforts. On leur a demandé beaucoup. On a dû restructurer, redimensionner l’organisation et l’économie de la compagnie. Forcément, ça a créé des crispations.

Vous semblez porter un regard plutôt positif sur ces dix années. Pour autant, vous quittez cette compagnie de façon quelque peu abrupte. Pourquoi ?

S.H. : Je pense que la compagnie a besoin de continuer son développement. Quand on est quelqu’un, comme moi, qui a besoin de nouveaux challenges, quand on a passé neuf ans en tant que PDG, on commence à avoir un peu fait le tour du sujet. On a bâti des choses. Mais je pense qu’on a encore beaucoup à faire. On a deux gros sujets dans les tuyaux donc il y a de la perspective : le projet de simulateur pour les pilotes et le projet de centre de maintenance régional qui permet de valoriser la compétence calédonienne.

Oui, je pars de manière un peu abrupte, mais avec le sentiment d’avoir accompli quelque chose. Il reste encore des beaux projets mais les choses sont bien mises sur des rails.

Quels ont été vos rapports avec votre actionnariat, notamment le gouvernement ?

S.H. : Notre rapport avec l’actionnariat a été… très "soutenu". Le membre du gouvernement en charge du transport [Gilbert Tyuienon] a dit, c'est nous qui avons positionné le PDG à la place où il est aujourd’hui mais qu’à un moment donné, chacun doit prendre ses responsabilités. Je prends les miennes. Je pense que c’est utile pour la poursuite du développement de la compagnie, parce qu’il y a besoin d'une certaine complémentarité, une certaine complicité, entre la direction de la compagnie et son actionnaire majoritaire.

Vous partez et vous êtes remplacés par deux hommes, Daniel Houmbouy comme directeur général et Mathias Waneux comme président du conseil d’administration. Comment se fait-il que la tête soit divisée en deux ?

S.H. : Très souvent, la gouvernance ou le management d’une société correspond à des personnalités. Une personnalité comme la mienne, ça ne m’a pas posé de souci de cumuler la fonction de président du conseil d’administration et la fonction de directeur général. Certaines personnes préfèrent la scission des deux fonctions. 

Je rappelle qu’un président directeur général est un mandataire social, il est nommé par un conseil d’administration. Il a [sa] confiance mais il peut être débarqué à chaque session. Donc je suis plutôt ravi que le conseil d’administration de la compagnie m’ait fait confiance pendant dix ans.

Avez-vous des regrets ?

S.H. : Ça serait peut-être de dire : ‘On aurait pu faire encore plus.’ Quand on est challenger, quand on aime avancer, quand on a une belle équipe, prête à franchir des étapes à des vitesses encore plus soutenues, on peut avoir cette espèce de frustration.

Nous, notre frustration, sur ces dernières années, c’est le Covid. Le Covid nous a coupé les ailes.

On avait quelques beaux projets en cours. Je regretterai simplement de ne pas avoir pu acheter le petit module, [de] dix-neuf places. On a l’aval du conseil mais le dossier a été rangé à plusieurs reprises, Covid oblige. En même temps, il y a ces deux dossiers dans les tuyaux. Il y a encore beaucoup à faire. D’ailleurs, je m’envole pour Paris pour assurer la passation entre nos équipes et la direction d’ATR. Je vais rencontrer avec mes collègues, la semaine qui vient, la nouvelle présidente d’ATR. Je pense que c’est utile d’assurer correctement la passation avec, et Toulouse, et Singapour, pour que la coopération Air Calédonie / ATR se poursuive de la meilleure des façons.

On connaît votre carrière, économique, syndicale et politique. Quels sont vos projets ?

S.H. : Au moment où je vous parle, je n’ai aucun projet en vue. Il faut savoir tourner une page. Là, j’ai juste envie d’une coupure, de profiter de mes enfants qui vivent en Métropole, que je n’ai pas vus depuis trois ans. Et je vais me donner le temps de me relancer. Je ne vous cache pas que, comme j’ai 61 ans et les droits acquis, je pense peut-être à une vie plus tranquille.

Sans politique, sans entrepreneuriat, sans syndicalisme ?

S.H. : Beaucoup de gens me disent qu’ils l’imaginent mal. Je suis assez d’accord [sur le fait que] j’ai un tempérament plutôt entreprenant, toujours partant pour de nouveaux défis. Je ne dis pas que ce ne soit pas possible qu’il y ait une suite, entreprenariale ou politique. Je n’en sais rien. Mais au moment où je vous parle, je n’ai aucune décision ou aucune orientation précise.