Sur le Caillou, le constat est tout aussi frappant. L’an dernier, dans 83 % des cas, le responsable présumé d’un accident mortel était un homme. Et c’est encore pire depuis le début de l’année : les conducteurs masculins seraient en cause dans 86 % des cas.
Selon une étude de la Direction des infrastructures, de la topographie et des transports terrestres (DITTT), réalisée entre 2017 et 2021, les conducteurs alcoolisés responsables présumés d'accidents mortels (Carp) sont à 95,8 % des hommes.
Enfin, les hommes sont aussi les principales victimes de la route : ils représentent environ 80 % des tués ces dernières années, selon la DITTT.
Une question d'éducation
Pour Abdelkader Moumene, moniteur d’auto-école, c’est avant tout une question d’éducation. "Jean-Pascal Assailly, psychologue et expert en sécurité routière, en parle beaucoup dans ses interventions : un garçon, on ne l'éduque pas comme une fille. À une fille, on dira : "fais attention, sois rigoureuse". Et un garçon, s'il fait une bêtise, "ah, c'est vraiment un garçon celui-là. C'est pas grave, ça va le forger à devenir un homme."
C'est vraiment quelque chose d'universel : les garçons sont souvent dans la transgression.
Abdelkader Moumene, moniteur d’auto-école
Dans son essai « Le coût de la virilité », l’historienne Lucile Peytavin revient, elle aussi, sur les disparités très précoces du rapport à la route entre futurs conductrices et conducteurs. « Dans les catalogues de jeux, les garçons représentent 80 % des enfants associés à un véhicule, ce qui valorise auprès d’eux la vitesse et les prouesses de pilotage. »
Passer le volant
Mais cet état de fait est parfois dur à accepter pour les automobilistes les plus virilistes. Certains diront même que c’est parce que les femmes conduisent moins qu’elles ont peu d’accidents. Non, répond David Roussel, responsable de sécurité routière à la gendarmerie. "On le constate, sur nos contrôles le samedi soir, c'est quelque chose de flagrant et de répétitif le week-end : alors que les hommes ont bu, ils ont du mal à laisser le volant à leur épouse ou leur compagne, qui elle souvent n'est pas alcoolisée. C'est catastrophique."
Dans son ouvrage, Lucile Peytavin rapporte qu’à l’échelle nationale, « les hommes effectuent 52,4 % des distances parcourues en automobile et représentent pourtant 84 % des auteurs présumés d’accidents mortels ».
Le danger de la surconfiance en soi
Comble du paradoxe, les femmes conduisent mieux et pourtant… Elles sont moins nombreuses que les hommes à réussir la conduite du premier coup. "C'est quelque chose qui a été étudié, rapporte Albdelkader Moumene. Les performances des femmes baissent, parce qu'elles combattent cette idée qu'elles sont nulles. À l'inverse, sur la route, quelqu'un qui est en surconfiance va être amené à être déshinibé sur le fait de rouler vite : "moi je maîtrise, moi je peux, j'ai eu le permis avant toi..." Ça peut amener à des comportements dangereux."
En 2016, à Paris, le Sénat s’est intéressé lui aussi au sujet en produisant un rapport qui déconstruit les stéréotypes sur les femmes et l'automobile. En matière de sécurité routière, le critère de genre est presque toujours passé sous silence. Pourtant, les chiffres incitent à prendre ce paramètre en ligne de compte pour une meilleure efficacité des politiques de sécurité. C’est ce que vient récemment de faire la sécurité routière dans l’Hexagone, avec une campagne qui cible avant tout les hommes.
Le coût de l'insécurité routière
Cette idée pourrait inspirer la Calédonie, où le rôle des hommes en matière de mortalité routière est encore très peu souvent pointé du doigt. Car il y a urgence. Non seulement, plus de 800 vies ont été fauchées en 15 ans, rien que sur le Caillou. Mais ce fléau de l’insécurité routière a aussi un coût : près de 300 millions de francs pour chaque mort sur nos routes. « Et nous sommes sans doute en deçà de la réalité », confie un acteur du secteur.
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Quant à l’ensemble du territoire national, Lucile Peytavin rappelle les chiffres : l’insécurité routière coûte 50,9 milliards d’euros (6 000 milliards de nos francs), soit 2,2 % du PIB français, en frais médicaux et sociaux, perte de production, préjudice moral, dégats matériels… Le coût des accidents mortels est de 39,7 milliards d’euros et d’un peu plus de 11 millions pour les accidents matériels sans blessures.
À l’aide de formules mathématiques qu’elle a également appliquées à d’autres délits et crimes, comme les vols ou les viols, l’historienne a estimé le coût de la virilité à 7,5 milliards d’euros (895 milliards de francs) par an pour ce qui est des accidents de la route mortels en France.
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