Edouard Fritch : "Monsieur Brotherson se comporte comme un bon autonomiste"

Edouard Fritch, invité le 14 novembre 2023.
La parole était à Edouard Fritch lundi 13 novembre, sur le plateau de Polynésie la 1ère. Evasané à Paris en septembre dernier, il se remet d'une opération des poumons. L'ex-président du Pays est de retour depuis le 27 octobre et s'est exprimé sur la politique menée par le Gouvernement qui l'a remplacé. Il était interrogé par Stéphane Ratinaud.

Vous êtes inquiet pour le pouvoir d'achat des Polynésiens ? 

E.Fritch : "Le pouvoir d'achat va de pair avec le coût de la vie. Nous avons dû augmenter le SMIG par trois fois sur les deux dernières années. Je crois que c'est la première fois que cela se produit parce-que nous avions effectivement voulu mettre les salariés dans un confort qui n'est pas le meilleur des conforts mais qui suive cette inflation. Le gros souci en fin de compte, c'était plutôt ceux qui n'avaient rien à la fin du mois. C'était mon gros souci parce-qu'il fallait qu'ils puissent manger tous les jours. D'où cette taxe de 1% [la TVA sociale, NDLR] qui a peut-être causé ma perte, ou en tous les cas, beaucoup de dégâts et qui vient d'être retirée."  

C'est une erreur de l'avoir retirée ? 

E.Fritch : "Je pense que c'est une erreur. Vous allez voir ce qui va se passer au niveau du budget : tout va encore augmenter. Ils sont en train de chercher comment créer de nouveaux impôts à cause de ce 1%. Lequel a été retiré mais n'a pas apporté les conséquences attendues, à savoir une baisse sur les produits de consommation courante des Polynésiens. Un petit peu peut-être et encore...

L'inflation a baissé au mois d'octobre...

E.Fritch : "Oui, mais lorsqu'on pense que ce 1% venait combler le déficit de la CPS et comme je vous dit, la CPS est une partie des salaires des familles qui n'ont rien à la fin du mois puisqu'ils ne travaillent pas. Aujourd'hui, c'est ce régime qui est mis en difficulté à cause de cet engagement politique qui aujourd'hui démontre ses limites.

Vous êtes inquiet par rapport aux augmentations d'impôts prévues ? Ce n'est pas une bonne direction pour le gouvernement en place à votre avis ? 

E.Fritch : "On ne sait pas. On ne sait rien, on entend dire beaucoup de choses comme l'augmentation de l'impôt foncier. On parle de 50-60 millions xpf. Mais c'est quoi, 50 millions ? Aujourd'hui vous achetez un terrain, c'est 20 millions et puis vous construisez une maison. Tous ces fondements aujourd'hui viennent apporter la démonstration qu'on était pas prêt. Ils n'étaient pas prêts en fin de compte. On a tenu des engagements en politique. Je me rappelle de l'Evangile il y a quinze jours : ils ont dit, mais ils ne l'ont pas fait. Et tout ce qui a été dit fait l'objet d'attentes des Polynésiens.

Au sujet du bâtiment : on voit que le monde du BTP est inquiet... 

E.Fritch : "Bien sûr ! Ils ont tous vu la liste des gros chantiers qui ont été retirés. Il y a une anomalie quelque part. Nous avons laissé ce Pays avec pratiquement 25 milliards xpf en caisse destinés à financer de grosses opérations : la commande publique qui maintient en vie les sociétés de ce Pays. Il y a des entreprises dans ce Pays qui ont des employés et qui ont besoin de la commande publique pour vivre. Et aujourd'hui on voit les projets tomber les uns après les autres, comme le village tahitien...je ne vais pas refaire la liste. Il y a de quoi être inquiet pour le carnet de commandes de 2024. On va réduire la commande publique et créer de nouveaux impôts.

La relation entre le Président Brotherson et l'Etat central est une bonne relation ? 

E.Fritch : "Oui, il faut reconnaître que les visites se sont multipliées depuis. Les engagements aussi, en parole. Mais on ne voit pas beaucoup d'actions. On n'a pas besoin du ministre de la mer pour développer le secteur de la mer en Polynésie française. Vous avez bien compris que tout est en place. On a même crée une nouvelle école avec des étudiants. On a envie de développer un peu plus les bateaux de pêche mais cela a un coût. Je m'attendais à un engagement sur cette partie-là. Nous avons les éléments depuis un certain temps mais il y a une coordination qui doit se faire.

Est-ce que la relation avec la France doit être fortifiée dans ce monde très agité par les conflits géopolitiques ?

E.Fritch : "On n'a pas le choix. Quelque part, je me satisfait effectivement que Monsieur Moetai Brotherson se comporte comme un bon autonomiste. C'est bien ce qu'il fait. Il démontre aujourd'hui que notre relation avec la France est une relation qu'il faut entretenir. On a besoin du soutien de la métropole.

Donc vous avez vécu de manière positive ce qui s'est passé à l'ONU, l'ambassadeur de France qui vient pour la première fois ? 

E.Fritch : "Oui, bien sûr. Cela fait quelques années que je demande à ce que cet ambassadeur vienne parce-qu'il faut que la France s'exprime là-dessus. C'est bien qu'il y soit allé. Mais ceci démontre de façon évidente que ce n'est pas l'ONU qui apportera une solution à la problématique de l'indépendance de la Polynésie. Cela passera par la France.

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Est-ce que vous avez des jeunes cadres, homme ou femme, qui demain vont incarner le courant autonomiste ? 

E.Fritch : "Bien sûr. Vous ne me vexez pas du tout. J'en ai parlé déjà en public. Il faut envisager sérieusement de passer la main. Aux résultats des dernières élections, on sent une preuve flagrante mais je sens qu'au niveau de la population, il y a un vrai besoin de renouvellement de la classe politique. Ce qu'il faut, c'est être prudent et former ses jeunes. Les jeunes existent, nous en avons aussi au sein de notre parti, regardez la dernière liste : il y a beaucoup de jeunes ! Mais il faut qu'ils s'engagent. Il n'y a plus de vie privée.

Vous avez souffert de cette vie publique ? 

E.Fritch : "Bien sûr, on en souffre tous. C'est pour ça, je crois, que bien peu de jeunes aujourd'hui veulent faire cette expérience. Mais j'y crois et je pense faire monter rapidement de jeunes personnes -expérimentées malgré tout- aux commandes de ce Pays."