L'extraction minière sous-marine est une activité sujette à controverse. À l'ouverture de la session de printemps de l'Autorité internationale des fonds marins (AIFM) en Jamaïque, plusieurs pays réclamant un moratoire sur cette activité accusée de menacer les écosystèmes marins se sont inquiétés des risques de finir à la hâte le "code minier", qui doit réguler cette nouvelle activité.
"Tant que nous n'avons pas d'informations scientifiques suffisantes et un cadre légal qui garantit que tout plan d'exploitation sera basé sur de véritables données scientifiques et des règles solides, nous avons besoin d'une pause de précaution sur toute activité"
Le représentant du Costa Rica
Une position qui gagne du terrain mais qui est loin de faire l'unanimité au sein des 169 États membres de l'AIFM. "La protection de l'environnement ne veut pas dire abandonner l'exploitation", a ainsi insisté le représentant chinois, estimant que l'exploitation permettrait de récolter plus d'informations pour éventuellement prendre des "mesures ciblées" et mieux protéger l'environnement.
Les fonds marins sont très riches en minerais et en terres rares. Ils sont composés de nodules polymétalliques - de la taille d'une pomme de terre - chargés de manganèse, cobalt, cuivre et nickel, utilisés notamment dans la fabrication de batteries électriques.
Calendrier modifié ?
En vertu de la Convention de l'ONU sur le droit de la mer, l'AIFM est chargée d'organiser les activités liées aux minéraux convoités du plancher océanique en dehors des juridictions nationales, tout en protégeant ces écosystèmes isolés et mal connus. Son Conseil, qui pour l'instant n'attribue que des contrats d'exploration, négocie depuis plus de dix ans un code minier pour fixer les règles d'une éventuelle exploitation du nickel, cobalt ou cuivre qui, selon certains industriels, sont capitaux pour la transition énergétique.
Ces discussions se sont accélérées ces dernières années en raison de l'activation d'une clause juridique qui permet depuis 2023 à toute entreprise sponsorisée par un Etat de déposer une demande de contrat d'exploitation même en l'absence de ce code. L'AIFM s'est fixée l'objectif de finaliser le code minier cette année.
"Nous sommes encore loin du consensus pour parvenir à un code minier finalisé
Olivier Guyonvarch - ambassadeur français
Le dernier projet de texte consolidé est rempli de centaines de parenthèses mettant en lumière les désaccords. De son côté, l'industrie dénonce des "délais" dans l'élaboration des règles. Dans une lettre envoyée à l'AIFM en janvier, plusieurs entreprises, disant avoir investi collectivement plus de 2 milliards de dollars dans l'exploration et le développement de technologies nécessaires, avaient ainsi mis en avant les "risques juridiques et financiers" auxquels elles font face. Parmi elles, Nori (Nauru Ocean Resources Inc.), filiale de l'entreprise canadienne The Metals Company, qui prévoit de déposer en juin la première demande de contrat pour exploiter des nodules polymétalliques dans le Pacifique.
Dans ce contexte, Nauru, petit Etat insulaire du Pacifique qui sponsorise Nori, réclame que le Conseil se prononce lors de cette session de deux semaines sur les règles d'examen de la future demande de contrat, en l'absence de code minier. Une demande contestée alors que le Conseil, divisé, avait difficilement décidé en 2023 qu'il ne déciderait de ces modalités qu'après le dépôt d'une telle demande. Lundi, de nombreux États et ONG ont appelé à la prudence face aux pressions de l'industrie minière sous-marine.
"Les États membres de l'AIFM doivent résister à la pression inacceptable d'une industrie qui risque de causer des dommages irréparables à notre océan et d'exacerber la crise planétaire"
Sofia Tsenikli - membre du groupement d'ONG Deep Sea Conservation Coalition.
Les ONG espèrent beaucoup de la nouvelle secrétaire générale de l'Autorité, l'océanographe brésilienne Leticia Carvalho. Cette dernière, insistant sur son attachement à la science, a appelé lundi les négociateurs à faire "des progrès significatifs" dans les négociations cette année, tout en évoquant l'éventualité d'adopter un calendrier "actualisé".
Collaboration entre les Kiribati et la Chine
En attendant, l'extraction reste interdite. En revanche, 31 contrats d’exploration sur 15 ans couvrant plus de 1,3 million de km2 de fonds marins profonds à l’échelle mondiale ont été accordés dans les ZAJN (zones marines situées au-delà des juridictions nationales) par l’AIFM.
Après que les îles Cook ont conclu un accord en février dernier, c'est au tour des îles Kiribati d'envisager une "potentielle collaboration" avec la Chine pour l'exploration de leurs fonds marins riches en minéraux. Le gouvernement de cet État insulaire de 130 000 habitants a annoncé avoir entamé des discussions avec l'ambassadeur chinois aux Kiribati, Zhou Limin, après l'échec d'un accord avec l'entreprise canadienne The Metals Company pour explorer ces ressources.
Les îles Kiribati se sont rapprochées de la Chine après avoir rompu leurs liens diplomatiques avec Taïwan en 2019. Ce micro-État détient des droits d'exploration minière en eaux profondes sur une bande de 75.000 km² de l'océan Pacifique. La Chine, elle, cherche à étendre son influence militaire, économique et diplomatique dans le Pacifique en se rapprochant des petits États de la région, au détriment des États-Unis, de l'Australie ou encore de la Nouvelle-Zélande, puissances historiques de la zone.
Pour la cheffe de l'opposition aux Kiribati, Tessie Lambourne, la Chine semble chercher à accéder à "notre espace maritime pour son propre intérêt". "Je dis toujours que notre gouvernement se plie en quatre pour plaire à la Chine", a-t-elle dénoncé auprès de l'AFP.
La position de la Chine
La Chine détient déjà cinq des 31 licences d’exploration que l’Autorité internationale des fonds marins (AIFM) a accordées à ce jour – devant la Russie et la Corée du Sud qui en détiennent chacune trois. Selon le Washington Post, si l’exploitation minière était finalement autorisée, le pays aurait ainsi le droit exclusif d’exploiter près de 240 000 kilomètres carrés de fonds marins internationaux, soit environ la taille du Royaume-Uni.
La Chine est aussi très active au niveau scientifique. Dès 2017, des scientifiques chinois ont découvert des nodules polymétalliques au sud de Taïwan, et en 2020, la Chine a intensifié ses explorations scientifiques à partir de deux îles artificielles dans la mer de Chine méridionale. En vue donc de préparer à l’exploitation minière en eaux profondes.
La Chine s’est investie au sein de l’AIFM. Elle dispose, comme trente-trois autres pays, d’une mission permanente, et contribue financièrement à l’institution. Depuis 2019, elle gère avec l’instance onusienne un centre de recherche et de formation – l’AIFM-Chine Joint Training and Research Centre (JTRC). Ce centre se concentre sur l’évaluation des ressources minérales et les caractéristiques des écosystèmes des grands fonds marins.
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