Ice : "on reçoit pas moins de 30 messages de familles en détresse" depuis la création de la fédération, alerte Kathy Gaudot

Kathy Gaudot, présidente de la fédération citoyenne de lutte contre les drogues et la toxicomanie, sur le plateau radio le 30 janvier 2025.
La fédération citoyenne de lutte contre les drogues et la toxicomanie a été créée le 11 janvier. Depuis, les membres du bureau reçoivent au moins 30 messages de détresse par jour. Pour l'instant, leurs champs d'action sont limités par manque de moyens. Ils en appellent donc au Pays pour mettre en place une collaboration efficace et redoubler d'efforts face à ce fléau.

L'ice gangrène le fenua et décime les familles polynésiennes depuis deux décennies au moins. La justice estime à 10 000 le nombre de consommateurs en 2022. Un chiffre bien en-dessous Mais sur le terrain les associations en observent bien plus.  Le phénomène est particulièrement inquiétant chez les jeunes. Un rapport de la chambre des comptes datant de septembre 2024 révèle qu'en "matière de conduites addictives chez les jeunes Polynésiens, (...) il est observé une élévation de la proportion d’expérimentation de la méthamphétamine."

Plusieurs associations se sont créées pour tenter de lutter contre ce fléau mais se sont bien souvent heurtées au manque de moyens en Polynésie pour y faire face. Au début du mois de janvier 2025, ces bénévoles se sont rassemblés en une fédération, impulsée par le collectif Stop aux violences et à l'ice de Terainui Hamblin. Ensemble, ils espèrent enfin pouvoir faire une différence.

Tous les jours, on reçoit pas moins de 30 messages d'alerte et de familles en détresse. C'est alarmant. On se sent presque démunis mais ce n'est pas ce qui va nous arrêter.

Kathy Gaudot, présidente de la fédération citoyenne de lutte contre les drogues et la toxicomanie

"La fédération qu'on a mise en place aujourd'hui est motivée et se mobilise pour essayer de faire en sorte que cette population soit entendue et que le pays nous entende. Il faut qu'il y ait un véritable partenariat entre le Pays et l'Etat" lance Kathy Gaudot, présidente de la fédération.  

Urgence

Aujourd'hui, le centre de prévention et de soin des addictions (CPSA) est l'unique structure "dédiée" aux addictions en Polynésie mais la fédération trouve son action insuffisante. Plusieurs patients toxicomanes sont aussi reçus à l'antenne psychiatrique de Taaone. Pour les parents, c'est souvent le seul moyen pour sevrer leurs enfants. Mais cette solution n'est que temporaire. Et le milieu médical polynésien manque lui aussi de moyens et ça se reflète sur les prises en charge et le suivi. Le nouveau pôle de santé mentale est très attendu, incluant notamment une filière de prise en charge en toxicologie et addictologie avec 12 lits et une prise en charge ambulatoire de 20 places. 

"La réalité est toute autre. En se rendant au centre hospitalier, on s'est rendu compte que le personnel n'était peut-être pas formé pour ce genre de prise en charge. Le protocole [d'internement par un tiers, ndlr] existe sur le papier. La maman était là, malheureusement elle n'a pas été entendue sur sa situation. L'urgence est là. Il faut que l'on puisse appliquer ce protocole. Ce n'est pas un public qui vient pour un petit bobo" s'insurge Kathy Gaudot, en racontant l'histoire d'une maman démunie, qui ne peut que subir l'addiction à l'ice de sa fille.

En effet, les toxicomanes peuvent devenir violents et voler leur propre famille pour pouvoir se payer leur dose. Kathy Gaudot elle-même concernée, ne le sait que trop bien. "La motivation c'est que nous, [membres de la fédération, ndlr] quand on a subi tout ça, s'est retrouvé tout seul. Il n'y avait rien pour nous aider. Aujourd'hui la fédération souhaite offrir des possibilités aux familles pour pouvoir se retourner et faire face à ce fléau" lâche-t-elle. Des groupes de parole existent et la création d'une ligne d'écoute est en cours. "La fédération pense à un projet tourné vers le retour aux sources : redonner de la vie à ces personnes après la sortie de l'hôpital" précise Kathy Gaudot. Mais pour mener à bien toutes ses actions, la fédération aura besoin de partenaires.

Outre le système de santé, la justice aussi pêche, selon Kathy Gaudot et même le président du Pays. Les peines devraient être plus sévères.  

Aujourd'hui, la case prison ne fait plus peur. Les dealers vont en prison mais sont très vite relâchés. (...) C'est un cercle vicieux.

Kathy Gaudot présidente de la fédération citoyenne de lutte contre les drogues et la toxicomanie

30% de la population carcérale est liée au trafic d'ice. "À ce niveau-là il faut que les choses bougent réellement. Les moyens qui sont mis ne suffisent plus. Il faut que le Pays prenne véritablement conscience que c'est un fléau sociétal, que nos familles et nos enfants souffrent, qu'on en enterre de plus en plus et ce n'est pas normal" conclut Kathy Gaudot.  

Elle est interrogée par Corinne Tehetia :