Lorsque le gouvernement polynésien a candidaté en 2019, était-il conscient des risques pour l'environnement ? La visibilité internationale et les bénéfices pour l'économie locale sont indéniables...mais, ce n'est pas nouveau, la gloire de l'olympisme ne dure que le temps des jeux. La Russie, en 2014, le Brésil, en 2016, où des infrastructures n'ont plus jamais été utilisées et où les jeux ont émis des millions de tonnes de CO2. À Tokyo en 2020, le bilan carbone était un peu moins élevé grâce à la pandémie : 1,96 million de tonnes.
Dans un contexte où le mouvement écologiste fait de plus en plus de bruit à travers le monde, les organisateurs des jeux olympiques se doivent de faire bonne figure. "Notre ambition est de réduire de moitié les émissions liées à l’organisation des Jeux, et de compenser plus d’émissions que nous n’en émettons. La prise en compte des enjeux climatiques et environnementaux bien en amont de l’événement, marque une rupture dans l’histoire des Jeux. Réunis autour de Paris 2024 dans une dynamique commune de construction de Jeux exemplaires et durables" est-il indiqué sur le site officiel. Pour ce faire, Paris 2024 est désormais accompagné d'un comité pour la transformation écologique des Jeux composé de neuf experts.
Une histoire de "normes"
Ces mêmes experts qui, dans le cadre des épreuves de surf à Teahupoo, ont recommandé l'installation d'un raccord depuis la nouvelle tour des juges jusqu'au littoral, en passant par le récif. Cette nouvelle tour devrait s'ajouter à celle en bois, déjà existante mais "qui ne respecte pas les normes de sécurité" ne cessent de souligner le comité des JO et le Pays pour tenter d'apaiser le mouvement militant engagé par les associations de protection de l'environnement de Teahupoo.
"En tant qu'organisateur on se doit de préserver la sécurité. On veut que les surfeurs, les spectateurs et les juges soient en sécurité. C'est la Polynésie qui fixe les normes de sécurité et qui doit nous donner l'autorisation ou non d'utiliser cette tour. Si cette tour était conforme, on pourrait l'utiliser mais ce qu'on nous dit, c'est qu'elle n'est pas aux normes. Si on pouvait l'utiliser on l'utiliserait. Et nos besoins d'organisation s'adapteraient à cette tour là, on trouverait des solutions", précise Tony Estanguet, président de Paris 2024.
Un projet "créé dans les bureaux" pas forcément adapté
Pour le comité des jeux olympiques et le Pays, il n'est plus question de faire marche arrière. Des millions ont déjà été engagés pour construire les infrastructures, précise la ministre des sports Nahema Temarii. Pas question donc de "jeter cet argent à la poubelle" concède Annick Paofai, militante du Fenua Aihere et propriétaire d'une pension d'une famille. Évidemment, les jeux sont l'occasion de générer un beau chiffre d'affaires, de faire rayonner la beauté de la Polynésie sur le plan international, de créer des opportunités inégalables en termes de d'emploi, de rencontres et de découverte. Mais la tour est de trop et l'argument du "gaspillage" financier n'est pas suffisamment convaincant pour Cindy Otcenasek, la présidente de l'association Vai Ara No Teahupoo, qui a refusé l'invitation du gouvernement, lors de sa démonstration d'implantation des plots à la pointe Riri, samedi 21 octobre. "C'est nous faire une démonstration sur un sol qui est de la soupe de corail, rien à voir avec le sol sur lequel ils veulent implanter leurs nouvelles fondations, qui est du platier. Ils n'ont fait aucune étude géologique pour étudier le sol de ce platier, ils ne savent pas du tout dans quoi ils vont perforer. On a considéré cette invitation comme une offense. On aurait préféré rencontrer le président sur [le vrai] site, pas devant des techniciens qui ont créé ce projet dans des bureaux", explique Cindy qui rappelle sa ferme opposition contre la nouvelle tour mais pas contre les jeux.
"Plus on creusait dans le projet, plus on se rendait compte que la partie environnementale a vraiment été mal traitée. La direction environnementale n'a même pas été intégrée. Aucune étude d'impact n'a été faite en tous cas pas à la connaissance de la DIREN. On leur demande de nous fournir cette étude d'impact dont ils parlent dans les journaux métropolitains : elle n'existe pas. Nous avons eu une simple synthèse. Pour un organisme aussi grand et qui prône le respect du site qui va les accueillir, on en doute un petit peu. À la réunion du 16 octobre et après la marche du 5 octobre, on a dépassé le stade des inquiétudes : on ne veut pas de cette tour dans le lagon de Teahupoo" soutient-elle. La pétition lancée par l'association et mise en avant par le surfeur Matahi Drollet sur les réseaux sociaux réunit déjà 108 283 signatures, au 27 octobre 2023.
Trop belle occasion de briller
Admiratif de ce lieu "magique", Tony Estanguet se dit prêt à faire des concessions, dans la mesure où elles respectent lesdites normes de sécurité. "C'est vraiment l'objectif depuis le début de ce projet : nous adapter à ce site qui est extraordinaire, exceptionnel, depuis que la Polynésie a candidaté pour organiser les compétitions de surf à Teahupoo. On a déjà fait évoluer le projet pour être à l'écoute des demandes locales. Le gouvernement Polynésien a mandaté deux études environnementales et géotechniques pour limiter au maximum les impacts sur l'environnement s'il devait y avoir une nouvelle tour des juges. Ces études ont fait remonter des préconisations très précises : il faut que la tour soit implantée au même endroit, il faut qu'elle fasse la même taille, la même surface au sol, à quel endroit doit passer le câble d'alimentation pour limiter l'impact sur le corail. On est ouverts pour que les toilettes soient transformées en toilettes sèches et qu'elles ne soient pas raccordées. Idem pour l'énergie, il avait été imaginé que pour des raisons environnementales, il valait mieux alimenter en électricité en raccordant cette tour au réseau d'électricité principal et ne pas avoir à faire tourner des générateurs temporaires. Tout cela est discutable. On va étudier les options pour réduire au maximum l'impact" insiste-t-il.
Le président de Paris 2024 entend donc les inquiétudes et finit par l'admettre : "il y a toujours un impact. L'objectif est de limiter au maximum cet impact et de s'appuyer sur des experts. [Nous avons] Creocean. Aujourd'hui il faut trouver la meilleure option, dans notre vie à tous. Quelque part, quand on vit, on a un impact sur l'environnement, quand on construit des bâtiments, on a forcément toujours un impact... La Polynésie française a fait acte de candidature et souhaité organiser les compétitions de surf à Teahupoo, et on est partenaires aujourd'hui. (...) Je pense qu'on partage la même vision avec le Président : c'est d'abord la sécurité."
Deux visions s'opposent et campent désormais sur leurs positions. Paris 2024, en étroite collaboration avec le Pays, semble vouloir aller au bout du projet. Reste à voir si la tour sera vraiment construite et quel en sera véritablement l'impact...