Journée mondiale contre l’homophobie : “tant qu’il y aura de la souffrance, il faut continuer le combat”

Karel Luciani, président de l'association Cousins Cousines
Le 17 mai marque la journée internationale contre l’homophobie et la transphobie. Au premier abord, on peut penser que la Polynésie n’est pas vraiment concernée…or les violences homophobes sont monnaie courante mais rarement pointées du doigt par les autorités, à l’image de la violente agression envers un raerae qui a circulé sur les réseaux sociaux début mai.

Je gère des personnes qui sont mises à la rue et que leurs parents rejettent parce-qu’elles sont homosexuelles”, si d’apparence on peut penser que c’est révolu, cela existe toujours, déplore Karel Luciani, président de l’association Cousins Cousines. La Polynésie, malgré sa communauté ancrée de “raerae”, est loin d’être épargnée des comportements homophobes. 

Preuve en est, une vidéo récente montre un homme asséner un violent coup de pied à une femme trans à la sortie d’un restaurant. Les images sont devenues virales sur les réseaux sociaux au début du mois de mai et ont même fait réagir la gérante des lieux.

La victime a porté plainte le 9 mai avec l’appui de l’association, mais personne d’autre n’a bougé le petit doigt et c’est ce que regrette Karel Luciani. “Après le suicide d’un adolescent homosexuel en métropole, la première ministre avait réagi. Elle s’était engagée à lutter contre toutes violences homophobes - c’est un engagement qui n’existe pas ici.

Comme la victime, ils sont de plus en plus de Polynésiens à se rendre dans les locaux de l’association Cousins Cousines pour y trouver de l’aide. L’un des visiteurs avait justement confié se prostituer “depuis l’âge de 13-14 ans, mes parents sont au courant. J’en ai marre de cette vie, je veux changer de vie et c’est souvent la trajectoire de beaucoup de raerae, elles trouvent des solutions de financements pour s’habiller en fille et s’acheter des hormones” raconte tristement Karel. 

Faux-semblant

En février 2013, Edouard Fritch, alors député, s’était opposé à l’application de la loi française du mariage pour tous au Fenua. “Ce qui m’embête, c’est que dans cette loi, les notions de père et de mère disparaissent. Je ne suis pas certain qu’en Polynésie française, on soit prêt à accepter cela : qu’un enfant demain ait deux papas ou deux mamans" avait confié Fritch à Tahiti Infos. 

Au mois de juillet suivant, le premier mariage homosexuel avait lieu en Polynésie suscitant quelques hostilités. Dix ans plus tard, le ton s’est adouci. On observe de nombreux commentaires positifs sur les réseaux sociaux, sous les photos de couples homosexuels tout juste mariés. “Ça va mieux, les lois ont un impact !” veut souligner Karel Luciani. Pourtant, la première pride week organisée en février 2023 par son association n’a pas beaucoup mobilisé. “À cause des problèmes qu’on a encore aujourd’hui, les gens décident de se cacher” disait une participante. 

Ainsi, malgré l’entrée en vigueur du mariage pour tous et de la PMA (Procréation médicalement assistée) en faveur des personnes LGBTQIA+, les mentalités peinent encore à évoluer. N’oublions pas que la Polynésie reste une société largement chrétienne, “l’éducation ne sensibilise pas et il y a beaucoup d’hypocrisie, c’est d’abord l'Église…c’est frustrant”, exprime Karel. 

Mais ce dernier ne baisse pas les bras. Au-delà des événements, Karel mène coûte que coûte son combat contre l’inégalité. Les gens ne réalisent pas la souffrance que tu peux ressentir. Enfant, j’ai su très tôt que j’étais différent. Tu sais que c’est mal vu, tu portes ce fardeau toute ta vie. Ceux qui ont de la chance sont ceux qui naissent dans des familles qui les acceptent comme ils sont et leur donnent de l’amour.” Aujourd’hui encore, des enfants sont en souffrance, manquent d’informations et ne sont pas guidés, en témoigne cet écrit de 2020

"Mots contre maux", 3e recueil de nouvelles des élèves des écoles et collèges de Taiarapu, p.24

Moi, je n’ai pas eu de vie d’adolescent. Je faisais le garçon mais je me sentais différent…” témoigne Karel, qui assumera son identité beaucoup plus tard. 

Pour que le moins d’enfants possible n’aient à vivre ce qu’il a vécu, il agit à son échelle et avec peu de subventions. Grâce à l'association Cousins Cousines, il peut offrir des conseils et un accompagnement d’urgence aux personnes homosexuelles en détresse. Si l’avenir le lui permet, il voudrait créer un refuge pour ces personnes…

Aujourd'hui, dans un geste fort d'ouverture envers les communautés LGBTQI+, à la présidence de la Polynésie pour la 1ère fois, un drapeau de la communauté a été dressé. Après son ouverture aux personnes souffrant de handicap et la nomination de Nathalie Salmon-Hudry comme déléguée interministérielle au handicap, le nouveau gouvernement Brotherson marque un vrai tournant dans la vie politique de ce pays 10 ans après l'adoption de la loi pour le mariage pour tous.