Arutua : SOS bateau fantôme

Le 21 mars dernier, le bateau de pêche chinois s’est mystérieusement échoué sur le récif de l’atoll d’Arutua, aux Tuamotu. Six mois après, il est toujours là. Les solutions de déséchouement sont très restreintes alors que la pollution est indéniable. Dossier.
Les circonstances restent toujours inconnues... Vendredi 21 mars, le bateau de pêche chinois Shen Gang Shun 1 s’est échoué sur une partie isolée du récif de l’atoll de Arutua. Par le large, il a percuté le platier au sud-ouest de l’atoll, à environ 15 km du village. Rapidement, l’évacuation d’une trentaine de marins taiwanais a lieu. En pleine crise du coronavirus et au lendemain de la prononciation d’un confinement général en Polynésie française, les autorités décident de ne prendre aucun risque.
 
Les 36 membres de l'équipage du Shen Gang Shun 1 sont hélitreuillés par le JRCC jusqu’à l’aéroport et transportés par bateau sur trois autres bâtiments de pêche chinois qui se trouvent dans la zone. C’est le maire d’Arutua lui-même, Raupena Taputuarai, qui a coordonné le transport des marins taiwanais vers les trois navires après que le JRCC ait sécurisé l'équipage. "Depuis qu’ils sont partis, je n’ai plus eu de nouvelles (…) Aujourd’hui, je travaille avec l’assurance du bateau et le Pays pour faire retirer ce bateau". Pour la petite histoire, c’est un coprahculteur isolé sur un motu à 2 km du lieu du naufrage qui a averti le premier magistrat de l’île de l'échouement du navire. 

 
Requins, ailerons et poissons en décomposition
 

Quelques jours après l'accident, le 4 avril, le maire et plusieurs autres personnes se rendent à bord du Shen Gang Shun 1. Ils découvrent des carcasses de requins dans les cales, des blue sharks. Les témoins affirment avoir vu un carnet dans lequel étaient inscrites les références des espèces de poissons qui avaient été pêchées. Selon eux, la mention "sharks" (requins) était écrite "à plusieurs reprises". C’est en ce sens qu’une plainte pour détention et transport d’espèces protégées a été déposée par la FAPE, la fédération des associations de protection de l’environnement.
 

Dans les cales du navire, les carcasses de requins pourrissent aux côtés de 12 tonnes de poissons et 70 tonnes d’appâts. Cela représente près de 80m3 de matières organiques qui se décomposent depuis maintenant six mois."On sent l’odeur à plusieurs centaines de mètres du bateau" s'insurge un membre de l’association A Paruru ana’e i te arutaimareva no Arutua, montée en 2020 suite à cette catastrophe.
 

Pollution du lagon et conséquences sur l’environnement

 
Le 8 juillet dernier, le maire d’Arutua a pris un arrêté pour interdire de s’approcher à moins de 100 mètres du navire. Mais, dans cette zone du lagon, chaque année à la même période, soit au mois de septembre, une grande pêche au poisson perroquet est organisée. Plusieurs tonnes de cette espèce sont capturées. Pour cette saison, les locaux craignent un empoissonnement général par la ciguatera notamment.

Les dégâts sont déjà visibles, aujourd'hui. L’échouement et la pollution à l’huile et l’essence ont engendré la pousse d’algues suspicieuses et la mort de plusieurs centaines de trocas. Les coraux sont aussi impactés. Tout cela se déroule loin des regards curieux, à 45 minutes de bateau du village. La DIREN a effectué une étude dont l'objectif est d'apporter des preuves de pollution lorsque l’affaire sera portée en justice.

L’impact environnemental semble indéniable sur la faune et la flore lagonnaires, mais ce n'est pas le seul problème. Le gaz généré par la décomposition des matières organiques et l’essence à bord du bateau posent aussi la question de la sécurité des personnes. Une deuxième tentative de déséchouement doit avoir lieu avant la fin de l’année. L'opération s'annonce délicate. 
 

Une première tentative de déséchouement ratée en mai

 
La société Travaux Maritimes de Polynésie (TMP) est chargée des opérations de dépollution et de déséchouement. Au début du mois de mai, un plan d’action a été mis à exécution en collaboration avec la direction de l’environnement (DIREN), la direction polynésienne des affaires maritimes (DPAM) et les ministères de tutelle. La force de traction n’étant pas assez forte, la mission de renflouage a été un échec. Le retrait du bateau n’a donc pas pu être effectué.
 

Malgré une avarie, à l’issue de cette opération, l’essence à bord n’a pas été retirée en totalité. Les matières organiques ont également été abandonnées dans les cales. Après la venue d’un expert en août dernier et des moyens qui devraient être renforcés, une deuxième tentative de dépollution et déséchouement doit avoir lieu avant la fin de l’année. 

 
Une condamnation contestée par les propriétaires
 

Au niveau juridique, une enquête préliminaire est en cours et pourrait aboutir à une information judiciaire ou une citation à comparaître devant le tribunal correctionnel de Papeete. Cette enquête vise les violations du code de l’environnement sur les espèces protégées ou encore la pollution engendrée par l'échouement.

Le 30 avril dernier, le tribunal administratif a également rendu une ordonnance en référé condamnant l’armateur à verser deux astreintes journalières de 500.000 Fcfp chacune. La première pour dépolluer le navire, la seconde pour retirer l’épave du récif. Maître Michel, l’avocate du propriétaire du bateau de pêche et de sa compagnie d’assurance, a attaqué cette ordonnance devant la Cour de cassation. L'affaire est aujourd’hui entre les mains du Conseil d’Etat.


Regardez le reportage diffusé dans l'émission Vevo du 23 septembre 
 
©polynesie
Extrait du code de l'environnement

Art. LP. 2211-3.- En l'absence de dispositions particulières à chaque espèce protégée relevant de la catégorie B, sont interdits en tout temps et en tout lieu :

1- Quel que soit le stade de développement des espèces animales, la destruction, la mutilation, la perturbation intentionnelle, la prise de vue ou de son, la capture intentionnelle ou l'enlèvement, la naturalisation des spécimens vivants y compris leurs œufs et leurs nids ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat, leur importation ou leur exportation ;