Report ou maintien du référendum du 12 décembre prochain ? C’est la question qui est sur toutes les lèvres, un mois seulement avant la 3ème consultation. Alors que les indépendantistes ont confirmé leur souhait d’un report - estimant que maintenir la consultation serait un risque pour la population en raison de la situation sanitaire du pays - les loyalistes ont quant à eux insisté sur leur décision de maintenir la date du 12 décembre et préparer ainsi l’avenir institutionnel du pays. De son côté, l'État repousse l'annonce de sa décision et reste silencieux.
Interrogé à l'Assemblée par Philippe Gomès, député de Nouvelle-Calédonie, concernant le maintien ou non du troisième référendum, le ministre des Outre-mer, Sébastien Lecornu, n'a pas apporté de réponse définitive, expliquant que la décision n'est pas encore prise, à la vue de la "complexité du dossier". Le ministre a également indiqué devant l'Assemblée : "il nous faudra parler dans les jours qui viendront Monsieur le député. Le dialogue n'est pas que des ultimatums [...], c'est aussi une capacité à se retrouver pour être à la hauteur de l'accord."
Dans ce contexte incertain, NC la 1ère donne la parole à des experts, ce jeudi 11 novembre 2021, sur la situation et les conséquences d’un maintien ou d’un report pour le territoire. Un débat présenté par Nadine Goapana et Steeven Gnipate. L’émission se déroule dans le respect des règles sanitaires avec notamment une distanciation sociale et des vitres en plexiglas entre chaque invité.
Parmi les invités présents autour de la table pour de débat, on retrouve :
- Claudine WERY - Journaliste AFP
- Pierre-Christophe PANTZ - expert en géopolitique
- Jone PASSA - sociologue
- Joel KASARHÉROU - expert en économie
- Un invité en duplex depuis Bordeaux - Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur de droit public et constitutionnaliste
Report ou maintien du référendum ? Les rapports de forces
La décision du maintien ou du report de la 3ème consultation se fait attendre. Pour Claudine Wery, journaliste de l'AFP, ”l’État a le choix entre deux mauvaises solutions, le choix est compliqué, l’État est en train de peser au trébuchet quelle serait la moins pire des deux”. Pour le sociologue Jone Passa, même constat : “L'État sest rendu compte que le dossier calédonien était épineux, on ne peut pas se décider de traiter les choses à la légère, on ne peut pas expédier cette décision, il faut prendre du recul”. Pour l'expert en économie, Joel Kasarhérou, un autre élément est à prendre en compte : l'élection présidentielle. “On est en pleine élection présidentielle, à 5 mois de la date, il y a un enjeu sur ce point et la situation de la Nouvelle-Calédonie reste un dossier épineux”, insiste l'expert.
La crise sanitaire face au référendum
Le taux d’incidence est un indicateur clé dans le cadre de la gestion de la crise sanitaire et également du maintien ou non du référendum. Le 26 septembre dernier le territoire enregistrait 1100 cas pour 100 000 habitants contre, ce 10 novembre, 122 cas pour 100 000 habitants. Pour rappel, cet indicateur est le niveau de circulation du virus. Le seuil d’alerte sanitaire est de 100 cas pour 100 000 habitants en Nouvelle-Calédonie, un seuil qui varie en Métropole. Bien entendu, pour prendre une décision, le taux d’incidence ne suffit pas, d’autres indicateurs sont à prendre en compte notamment la saturation hospitalière et les patients en réanimation.
Une campagne organisée au compte-goutte
Selon les experts présents sur le plateau, la campagne de cette 3ème consultation sera mineure. "La campagne sera forcément dégradée, au vu de la crise sanitaire", explique Claudine Wery avant d'ajouter : "Pour l'instant, il n'y a pas de campagne, quelques actions sur les réseaux sociaux, mais il n'y a rien."
Quant à l'organisation du scrutin et aux mesures d'élargissements des horaires d'ouverture des bureaux de vote, cela n'aurait surement pas d'incidence sur l'augmentation du taux de participation à ce référendum. “À partir du moment ou il y a un appel à la non-participation, je pense que l’on peut prendre le pari que le taux de participation sera extrêmement faible, il y a des mesures qui ont été prises pour élargir les horaires mais on ne voit pas comment cela peut contrebalancer cette situation”, précise Pierre-Christophe PANTZ, expert en géopolitique.
Autre élément mis en avant par les experts : le deuil kanak décrété durant un an. Le sénat coutumier insiste sur le nombre de morts élevé sur le territoire et le deuil national, raisons pour laquelle ils ont exprimé leur volonté d'un report du référendum.
Il faut rappeler que l'on est face à deux perceptions, on est sur deux oppositions, si ce temps de deuil, un temps social, n’est pas accepté comme tel, cela va poser problème. (...) on est dans l’exceptionnel car il y a une mort massive, mais les un an de deuil, c’est une réalité et cela fait partie des rituels funéraires. Et il faut que ces rituels soient pris en compte
Concernant la société civile, qui a envoyé une lettre ouverte au président Emmanuel Macron demandant le maintien du référendum au 12 décembre, les experts ont tous indiqué l'importance de discussions et d'une visibilté future sur les projets d'un destin commun. "Si on ne se projette pas dans l’avenir cela sera compliqué, plus les référendums se multiplient, plus les divisions se renforcent. On a un troisième référendum clivant sans savoir ce qu’il se passera le 13 décembre. (...) L’objectif de parvenir à un destin commun, va-t-il être atteint ? Les indicateurs ne sont pas clairs", indique Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur de droit public et constitutionnaliste.
Un appel à la non-participation
L'appel à la non-participation de cette 3ème consultation par les indépendantistes aura-t-elle des conséquences sur le taux de participation ? Pour Pierre-Christophe PANTZ, expert en géopolitique, il n'y a pas de doute : "Depuis 2004, on a une baisse du taux de participation, on peut penser qu'il y a une dépolitisation de la population. On peut imaginer que cet appel à la non-participation aurait comme conséquence de réduire le taux de participation.” “Si le peuple kanak ne peut pas participer à ce scrutin, il y aura un pavé dans la mare", ajoute Joel KASARHÉROU, expert en économie avant de rappeler que le véritable objectif était celui du vivre ensemble.
Le vrai objectif est celui du vivre ensemble, ces rapports de forces ne servent qu’à fracturer la société calédonienne.
Pour rappel, en 1984, 1987 et 1988, les indépendantistes avaient déjà appelé au boycott de plusieurs élections. Des appels à la non-participation qui avaient marqué le début des évènements.
Retour historique des précédents boycotts avec Bernard Lassauce :
Report ou maintien : quelles conséquences sur le calendrier ?
D’après les experts, un report pourrait être envisagé si des discussions concernant un projet commun aboutissent. “On ne peut différer et jouer ainsi avec les nerfs de l'État mais aussi et surtout de la population calédonienne qui ne sait pas quel sera son avenir économique, social, politique, insiste Ferdinand Mélin-Soucramanien, professeur de droit public et constitutionnaliste. Un report peut être envisagé mais il doit être conditionné à l’ouverture immédiate de discussions, incluant par exemple des signataires historiques, la société civile et pourquoi pas des personnes de l’ONU. Il faut que ces discussions aboutissent à un projet commun.”
Parmi les objectifs à atteindre : renouer le dialogue entre indépendantistes et loyalistes : “Dans tous les cas, il va falloir renouer la confiance, mais cela va être difficile, il y a un sentiment de ne pas être entendu par les indépendantistes (...) on espère pouvoir retisser des liens”, a confié Jone Passa.