"Comment relancer cette filière sans trésorerie, alors qu'on en a besoin là, aujourd'hui, et pas dans un mois ni deux ?" : telle est la question posée par Dominique Clain, le président de l'UPNA (Unis pour nos agriculteurs), qui réunissait une trentaine de planteurs adhérents à Piton Sainte-Rose ce samedi 21 janvier 2023.
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Car la situation, disent-ils, est "catastrophique". Alors que la campagne sucrière 2022 n'a abouti qu'à un faible tonnage de 1,3 million, le moral est au plus bas, et les comptes en banque aussi. "On vient de terminer une campagne catastrophique, on n'a pas de trésorerie pour relancer la campagne à venir. Aujourd'hui, la plupart des agriculteurs ont des comptes à découvert et ne savent plus quoi faire, beaucoup de terrains sont en train de partir en friche, à l'abandon", martèle Dominique Clain. Celui-ci soutient que "personne ne fait rien", alors que "si on passe sous la barre du million de cannes, la filière est morte". D'autant que cela fait "trois années de suite que le tonnage chute".
La hausse du prix des intrants a mis les comptes à sec
Mais la mauvaise campagne sucrière n'est pas la seule responsable de la situation. Entre aussi en jeu l'inflation, qui a notamment provoqué une forte hausse du prix des intrants utilisés par les agriculteurs. "Tous les intrants ont flambé, comme tout autour de la filière, alors que la filière elle-même est restée comme elle est", témoigne le président de l'UPNA. Et ce ne sont pas les 14 millions d'euros supplémentaires obtenus avec la convention-canne 2022-2027 qui vont les sauver, puisque, dit-il, "tout a déjà été bouffé par l'inflation".
Or, c'est bien à cette période que se prépare la campagne sucrière 2023, et qu'il faut "mettre le désherbant, l'engrais, payer la main d'oeuvre".
4000 euros pour 2,5 tonnes d'engrais
Gilbert Clain, planteur de cannes à Sainte-Rose depuis 34 ans, se dit quant à lui prêt à lâcher l'affaire tant la situation est difficile avec ses 5 hectares de cannes. Il vient de débourser "4000 euros pour 2,5 tonnes d'engrais", alors que l'année dernière le prix pour la même quantité d'intrants s'élevait à 2100 euros. "Komen mi sa en sorte a moin ?", se questionne-t-il.
Il tient aussi à démentir l'idée que certains se feraient d'agriculteurs richement rémunérés : "Les gens kan i voi des planteurs na des 4x4, gros matériel, i pense nou gayn l'argent. Mais lé simple à faire le compte : 100 euros par tonne pour 100 tonnes de cannes, combien i fé quand ou enlève les intrants ?"
"Mon ker lé gro"
"La main d'oeuvre nou la pu du tou. Moin lé en train d'compren' que fo enlèv' la canne. Mon ker lé gros. Nou sera obligé détrui la canne tant que le Département, la Chambre (d'agriculture, ndlr), le préfet, et mem l'usinier i fé pa un effort", se désespère-t-il.
"Mi adore mon métier, mi lèv' tou lé matin 4h et demi, le jour i éclaire a moin dan mon travail", poursuit l'agriculteur, qui s'imagine bientôt contraint à se reconvertir, à 54 ans, dans l'ananas, la banane ou les légumes. "Dan cinq ans, si i ress' comme ça, i existera pu la canne." Or, pour nombre de ceux ici présents aujourd'hui, la canne "fait partie du patrimoine réunionnais".
Vers une mobilisation dans la semaine
Afin de le préserver, l'UPNA se concertait samedi avec les agriculteurs en amont d'une mobilisation dans le courant de la semaine à venir. Ce serait ce mercredi 25 janvier 2023. Ils entendent se réunir lors d'un pique-nique devant la préfecture "pour demander des explications au préfet" et obtenir une audience avec le représentant de l'Etat. "On va interpeller le ministre et le préfet, pour soutenir les planteurs au niveau des cotisations Amexa (cotisations d'assurance maladie-maternité pour les chefs d'exploitation ou d'entreprise agricole, ndlr), des impôts, pour assouplir les endettements des agriculteurs..."
Au lendemain de Noël, le syndicat agricole s'était déjà mobilisé devant la Direction de l'Agriculture, de l'Alimentation et des Forêts (DAAF) afin d'attirer l'attention des services de l'Etat sur l'attribution des 14 millions d'euros d'aide répondant à l'augmentation du prix des intrants. Obtenue lors des négociations de la convention canne 2022-2027, elle permet aux planteurs de recevoir 703 euros par hectare de cannes. Mais l'UPNA estimait que son mode de versement était injuste, notamment au regard des petits planteurs ne cultivant que peu d'hectares et ne recevant donc qu'une faible aide, alors qu'ils en avaient le plus besoin. La DAAF avait alors promis de trouver des solutions pour modifier le versement de cette aide récurrente, dès l'année prochaine.