Délocalisation et expropriation : quand la menace est avérée…

Vue depuis le haut de la falaise de Bovis, à Petit-Bourg
Alors que la Guadeloupe est exposée à 6 risques naturels*, des habitations sont identifiées comme vulnérables aux inondations ou mouvements de terrain, par exemple. Des biens voués à être détruits, dont les occupants doivent être relogés, qu’ils le veuillent ou non, moyennant indemnité ou non.
Le risque est la combinaison de deux paramètres : l’aléa (la possibilité qu’un phénomène naturel survienne) et de l’enjeu (y a-t-il des habitations sur place et, donc, des personnes exposées ?).

Quand l’aléas concerne un secteur non habité, une surveillance peut être instaurée, tout au plus.

En revanche, si la zone en question est urbanisée, les autorités – municipales et/ou étatiques – évaluent le risque. En fonction des résultats, un programme de délocalisation des populations, dont les vies sont menacées, peut être mis en œuvre.
De telles procédures sont complexes, car une délocalisation peut se faire avec l’assentiment des occupants… ou non ; un administré qui refuse de partir sera exproprié.
Par ailleurs, qui dit délocalisation ou expropriation, dit aussi déracinement.
Les aspects légaux, financiers et sociaux sont, donc, à aborder au cas par cas.
 

QUE DIT LA LOI ?


LE FONDS BARNIER

Le Fonds de prévention des risques naturels majeurs (FPRNM), ou Fonds Barnier**, vise à aider les collectivités et certains particuliers à faire face aux menaces que constituent les risques naturels. Il permet le financement d’études, de travaux de mises en sécurité, d’actions de prévention et, depuis 2005, l’indemnisation des propriétaires des biens sinistrés ou exposés. Son montant annuel : environ 150 millions d’euros, destinés tant à l’Hexagone, qu’aux territoires d’Outre-mer. Une confortable enveloppe, alimentée par 12% des primes « catastrophes naturelles » des contrats d’assurance et gérée par la Caisse centrale de réassurance (la CCR).

Ainsi, les biens sinistrés peuvent faire l’objet d’une indemnisation, sous certaines conditions.
Idem, pour les biens exposés, qui nous intéressent aujourd’hui.

Dans ce dernier cas, l’objectif des autorités est d’intervenir avant que la catastrophe survienne. Le Fonds Barnier ne peut être sollicité que s’il y a une « menace grave sur les vies humaines » ; mais pas du fait de tous les aléas.
Par exemple, si les mouvements de terrain ouvrent droit à prise en charge, ce n’est pas le cas du phénomène d’érosion du littoral***. La différence ? Il y a mouvement de terrain en cas d’écroulement, ou d’affaissement du sol, tandis qu’on parle d’érosion du littoral si le terrain s’effrite, par l’action de la mer, qui grignote sa base.

La situation est évaluée lors d’enquêtes de terrain, menées par les services compétents (DEAL, BRGM****…).
Si la « menace grave sur les vies humaines » est avérée, des arrêtés de périls et/ou d’interdiction d’habiter le site sont alors produits et communiqués aux riverains.

Deux cas de figure se présentent alors :
 
  • L’habitat formel :
Un habitat est dit formel quand les résidents disposent d’un droit d’occupation, d’un titre de propriété pour le foncier et d’un permis de construire pour le bien.
Là, la prise en charge par le Fonds Barnier est possible, sur la base d’une estimation de la valeur du bien, faite par le service France Domaine (localement, la Direction régionale des finances publiques de la Guadeloupe,).
Si les parties sont d’accord, la procédure d’acquisition à l’amiable, par la commune ou l’Etat, est lancée. La construction est alors démolie et le terrain est laissé nu. Son caractère inconstructible est alors notifié dans les documents légaux d’occupation des sols (Plan local d’urbanisme, Plan de prévention des risques naturels…).
En revanche, si les propriétaires refusent d’évacuer les lieux (quelle que soit la raison), une mesure d’expropriation est décidée. Elle est synonyme de mesure d’utilité publique, du fait du risque majeur sur des vies humaines.
Les services de l’Etat disent ne pas souhaiter s’engager dans cette démarche lourde.

Lorsqu’il y a  menace grave sur les vies humaines, un bien ne peut être légué. En cas de décès du propriétaire, ce sont ses héritiers qui sont indemnisés.

L’autorité expropriante est, en principe, la commune, à laquelle peut se substituer l’Etat. En cas de catastrophe, qui implique des dégâts et/ou des victimes, la responsabilité incombe au maire, s’il n’a pas diffusé un arrêté d’interdiction d’habiter.
 
  • L’habitat informel :
Point de Fonds BARNIER pour les occupants illégaux de fonciers ou de biens. Mais il existe une alternative…

LA LOI LETCHIMY

En 2011, le Député Serge LETCHIMY a fait passer un texte de loi permettant d’aider les occupants, sans droit, ni titre, des terrains et des biens, où une menace grave sur les vies humaines est reconnue. Elle n’est applicable qu’en Outre-mer.
Un calcul est alors fait, à partir de l’ancienneté d’occupation, mais aussi la surface, la salubrité, ou encore la nature du bâtiment, pour déterminer un montant d’indemnisation. La liste des critères est longue.
Dans ce cas d’habitation informelle, l’indemnisation ne peut excéder les 40 000 euros. Une somme qui reste appréciable, pour un résident qui n’avait nulle autorisation de loger sur site.

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Le point sur la loi, en matière de relocalisation, pour menace grave sur des vies humaines, du fait d'un risque naturel, avec Franck MAZEAS, chef du pôle « risques naturels » à la DEAL Guadeloupe.
©Guadeloupe la 1ère

 

QUAND EXPROPRIATION ET DELOCALISATION RIMENT AVEC DERACINEMENT


Outre leurs volets légal et financier, les délocalisations et les expropriations revêtent un aspect social.
Les occupants des biens concernés y sont souvent installés de longue date ; certains ont grandi sur place, y ont vu grandir leurs enfants, y ont construit leur foyer, etc.
Partir signifie, pour eux, changer de mode de vie.
La crainte de la plupart – mise devant le fait accompli – est d’être obligée d’accepter des biens de substitution sans équivalence avec l’endroit qu’ils sont forcés de quitter.
Certains sont contraints de passer d’une maison individuelle, à un appartement .
D’autres, jusqu’ici propriétaires, n’ont pas d’autres choix que de louer.

Ainsi, toute opération de relocalisation est accompagnée.
Les Centres communaux d’actions sociales (CCAS) notamment, sont sollicités, quand la situation est urgente et qu’il faut trouver des solutions immédiates.
 Autre possibilité, pour un relogement plus pérenne, qui s’appuie davantage sur les besoins et potentiels financiers des familles : la Maîtrise œuvre urbaine sociale (MOUS).

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Le point sur l'accompagnement proposé aux familles avec Philippe THENARD, responsable de l’unité « Plan de prévention des risques naturels » à la DEAL Guadeloupe.
©Guadeloupe la 1ère


EXEMPLES DE PROGRAMMES EN GUADELOUPE

 
  • Sainte-Rose
Parmi les exemples d’acquisitions à l’amiable, dans l’archipel, citons celles qui ont concerné, il y a quelques années, cinq maisons exposées au risque inondation, sur les berges de la rivière de La Boucan / à Sainte-Rose.
 
  • Petit-Bourg
Actuellement un vaste projet de délocalisation est en cours, sur le territoire de Petit-Bourg.
Les zones concernées sont les littoraux des quartiers de Pointe-à-Bacchus, Belair et Bovis, qui s’écroulent un peu plus, d’année en année.
Sur place, entre la falaise qui s’effondre et la mer, il y a une zone de mangrove. Il s’agit, donc, bien d’un risque mouvement de terrain et non d’un phénomène d’érosion du littoral. Le caractère dangereux pour les vies humaines y a aussi été avéré.
Ainsi, les propriétaires peuvent bénéficier du Fonds Barnier.
Quant aux occupants illégaux, leur dossier est traité, dans le cadre de la loi Letchimy.
Il y a autant de situations particulières que de familles exposées ; elles sont 39 à devoir plier bagages, pour un relogement.

Dans le cadre de la MOUS, des réunions publiques sont organisées et des permanences sont instaurées, pour que les désidératas et attentes particuliers de chacun soient entendus et, autant que possible, pris en compte.

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L'exemple du vaste programme mené à Petit-Bourg
©Guadeloupe la 1ère

 
  • Capesterre-Belle-Eau
A Sainte-Marie, Four à Chaud et Poirier, sur le territoire de Capesterre-Belle-Eau, l’érosion du littoral est en cause.
Les propriétaires dont les biens sont exposés ne peuvent donc pas prétendre au Fonds Barnier.
L’Etat et la municipalité travaillent communément à la recherche de solutions à leur situation.
Les dossier sont en cours d’identification.

Signalons qu’une grande partie du littoral de la Côte au Vent de la Basse-Terre s’effondre, voire est grignotée par la mer.

Témoignage/
A Poirier Capesterre-Belle-Eau, nous avons rencontré Stanis JOURSON, 67 ans.
De retour de l’Hexagone, il s’est installé sur le terrain de son père, il y a 18 ans.
La maison en bois d’antan a été remplacée par une habitation plus grande, en béton.
Il raconte avoir joué, lorsqu'il était enfant, dans le jardin de derrière, là où aujourd’hui, il ne reste plus qu’une bande de terre d’une dizaine de centimètres, entre le bâti et la falaise.
Seulement voilà, pour rien au monde il n'a envie de se retrouver dans un appartement, en location. Or, que va t-on lui proposer d'autre, dans la situation dans laquelle il se trouve, se demande-t-il ?
POUR ALLER PLUS LOIN/
* A consulter l’article Alerte Guadeloupe « Les risques : quels sont-ils ? »

** Fonds Barnier : du nom de son créateur, en 1995, le Ministre de l’environnement, Michel BARNIER.

*** A lire les articles Alerte Guadeloupe dédiés aux phénomènes d’érosion et de mouvements de terrain, sur le littoral :
« Ecroulement des falaises »

et « Le désensablement des plages de Guadeloupe »

**** DEAL : Direction de l’environnement, de l’aménagement et du logement
BRGM : Bureau de recherches géologiques et minières