Le conflit est-il encore utile ?

La question peut sembler provocatrice au regard de ceux qui portent ce conflit depuis le mois de juillet, mais elle ne se pose pas moins. Parce que, sauf à croire que rien ne fonctionne sans conflit dans cet archipel, il faut aussi mettre à l’épreuve les rouages de décisions prévus à cet effet.

Disons-le d’emblée, sans ce mouvement social, la situation des personnes mises entre parenthèses par l’obligation vaccinale aurait manqué de visibilité. Dans un système cartésien, il aurait été simple de considérer qu’un ordre a été donné et que son non respect met hors la loi ceux qui ne l’appliquent pas, justifiant une sanction.

Mais l’humain n’a jamais été une science exacte. Au point même qu’il s’est inventé une porte de sortie : « L’exception qui confirme la règle ». Cela seul peut défaire les attentes d’une règle ou même d’une loi.

En l’espèce, le conflit a mis en exergue ces situations afin qu’elles soient prises en compte plutôt que d’être banalisées.

Pour autant, il ne faut pas non plus oublier que la situation de ces professionnels de la médecine ou du paramédical est aussi née de tout ce qui a précédé. La méfiance et la défiance vis-à-vis du vaccin sont aussi nées de tout ce qu’on en a dit. Et en la matière, les organisations membres du Collectif n’étaient pas en reste. L’UGTG n’avait-elle pas estimé qu’il n’y avait aucune pression hospitalière au CHUG avant d’estimer qu’elle était due au sous-équipement et à l’absence d’embauche ? N’avait-elle pas exigé que soient distribuées à chaque Guadeloupéen des doses d’hydroxychloroquine parce que c’était ce qui était dans le vent contestataire du moment ? Et puis on n’en a plus parlé lorsque ce vent est passé. Un vent qui va ériger la médecine traditionnelle comme alternative à la vaccination et qui, progressivement, a fait le lit du refus de la vaccination, l’assimilant à l’empoisonnement au chlordécone, et même à l’esclavage et contribuant ainsi à une phobie du vaccin que quelques conspirationnistes s’étaient employés à entretenir par des arguments souvent irrationnels. Tous les ingrédients qui ont constitué, de fait, la dalle qui porte encore aujourd’hui la contestation.

(Voir : Une victoire peut en cacher bien d'autres ... Voir aussi : La décision du Conseil d'Etat satisfait toutes les parties en Guadeloupe )

D’abord, elle a pour raison d’être le soutien aux personnes menacées de suspension pour cause de non vaccination. Le collectif en porte le nom et en a fait son emblème. Ensuite, il a décidé d’en profiter pour reposer tous les problèmes qui se posent en Guadeloupe. Une vocation qui donne forcément une suite au mouvement de 2009.

Avouons-le, nous n’en sommes pas aujourd’hui au même point qu’au début du conflit. D’abord, la plupart des soignants et assimilés présentent désormais un schéma sanitaire conforme aux normes prescrites par la loi. La procédure de médiation mise en place par l’Etat a ainsi permis que le nombre soit réduit. Bon gré mal gré, les réticences ont été raisonnées et il ne reste plus qu’un petit nombre à persister dans le refus.

Des responsabilités à assumer

De fait, si l’on devait considérer que le problème posé par les organisations membres du Collectif se limitait à cela, il faudrait y répondre de manière spécifique en évitant des positions conjoncturelles. Car, en la circonstance, les élus guadeloupéens n’ont pas toujours eu une position claire. Comme il s’agissait d’éviter de déplaire, très peu d’entre eux ont osé faire un travail pédagogique sur l’utilité de la vaccination. Les organisations syndicales s’étant saisies de la question avant les politiques qui brillaient par leur silence ou leur position à double vitesse. Les élus ont dû ensuite faire avec. Et le faire avec s’est traduit par une position de circonstance qui ne voulait pas être contre la vaccination mais qui ne devait pas non plus stigmatiser les non-vaccinés. Une position sur laquelle, comme des funambules, certains continuent d’évoluer. Ils en connaissent les dangers après les conséquences dramatiques de la 4ème vague Covid avec la majorité des décès qui concernait des personnes non-vaccinées et les statistiques disant que la plupart de ces vies auraient pu être sauvées si ces personnes avaient été vaccinées.

Et cette semaine encore, la proximité avec des élections, et en particulier des élections législatives, a même conduit certains à demander à l’Etat un report de la mise en œuvre du passe vaccinal de six mois, c'est-à-dire, après les élections.

Pourtant, ce délai serait une vraie solution si les élus, qui sont souvent eux-mêmes vaccinés,  s’engageaient à tout mettre en œuvre pour promouvoir la vaccination. Or, la dernière campagne électorale, celle des élections municipales et communautaires, les a vus éviter soigneusement d’évoquer la situation sanitaire pour ne commettre aucun faux-pas politique. Mais ça, c’était avant.

Bien des choses se sont passées depuis. Et la première n’est pas des moindres : la responsabilisation des élus. Au milieu de la crise et pour tenter de lui trouver une solution, les élus ont réussi à faire fi de leurs oppositions politiques (et même humaines) pour parler d’une seule voix et se montrer sur la même longueur d’ondes.

De fait, si on peut reprocher au Collectif les méthodes employées pour se faire entendre et qui ont été à l’origine de nombreux actes de violence, non pas contre l’Etat ou les élus mais contre les Guadeloupéens qui ont été les premiers et souvent les seuls à en payer les conséquences (pour certains, irréversibles), actes également contre les communautés hospitalières du CHUG et du CHBT dressant les personnels les uns contre les autres, on peut cependant difficilement ignorer que c’est sa mobilisation qui a enfin sorti les élus de leur silence.

Pourtant, s’il faut avoir le courage de lancer un mouvement quand on l’estime légitime, il faut aussi avoir la lucidité d’en évaluer les conséquences et surtout le même courage pour y mettre un terme. En l’occurrence, pour ce qui est de ce mouvement, il faut d’abord qu’il soit exempt de tout jusqu’auboutisme et que la solution soit plus importante que la notoriété que l’on veut en tirer. On pourra alors remettre chacun au pied de ses responsabilités.  Et la première de ces responsabilités est de dire la vérité aux citoyens, et leur laisser le soin d’exercer eux-mêmes leur propre responsabilité : celle de juger de ce qu’il en ressortira et d’approuver ou même de sanctionner, lors des prochaines élections, s’ils l’estiment nécessaire.

Des niveaux de responsabilité légalement et électoralement identifiés

En la matière, chacun des problèmes soulevés a une solution qu’aucun conflit social ne pourra permettre d’obtenir immédiatement. Tout au plus, un engagement de faire, rien de plus.

Le premier point concerne, bien évidemment la situation des personnels médicaux ou paramédicaux suspendus, qu’ils soient du public ou du secteur libéral, ceux en tout cas qui demeurent dans le refus du schéma vaccinal qui leur est recommandé. Certains avaient souligné que leur opposition portait essentiellement sur le procédé de l’ARN Messager. L’arrivée d’un vaccin plus classique devrait leur permettre de satisfaire aux exigences vaccinales. Pour les autres, avec le concours de l’Etat et celui du Département, cette question requiert une prolongation de la mission de médiation, comme certains parlementaires l’ont clairement demandée au Président de la République. Elle pourra être résolue dans le cadre d’un protocole concerté pour que ces personnels puissent exercer leur métier dans d’autres cadres et avec des garanties sanitaires établies. Des procédures qui leur permettront surtout de retrouver un salaire et une situation sociale décente sur laquelle le Conseil Départemental, selon la mission qui est la sienne, devrait s’engager.

S’agissant des autres points de la plateforme de revendications du Collectif, ils relèvent tous, ou presque, de la responsabilité conjointe ou individuelle des Collectivités locales. C’est donc à elles qu’il revient de s’expliquer devant le public sur leurs calendriers de mises en œuvre. Au cours des deux dernières années, les électeurs guadeloupéens, par leurs bulletins de votes ou par leur abstention, ont permis aux actuelles équipes des mairies, des communautés d’agglomération, du Département et de la Région d’être les responsables en charge de l’ensemble des dossiers de l’Archipel guadeloupéen. Une responsabilité qu’ils ne peuvent pas avoir reçue du vote des uns et s’en voir privés par la grève des autres qui les met sous tutelle et assistance comme s’ils n’étaient pas des élus majeurs.  

Et pour ceux dont la responsabilité s’établit sur le plan national dans le vote des lois, ce sont aussi les électeurs qui, par le jeu démocratique, auront à déterminer pour chacun un « Stop ou encore ! »

L’art du « vivre ensemble »

En fait, le vrai enjeu pour tous est le respect du suffrage universel. Il est et demeure la garantie de la démocratie et des libertés. C’est lui qui détermine les responsabilités et ceux qui ont à les assumer. C’est aussi vers lui qu’il faut se tourner pour décider de l’avenir de cet Archipel. Toute autre voie constituerait un déni de démocratie.

Peut-être que ce conflit aura permis aux Guadeloupéens d’apprendre à sortir du « ka’w ka fè ban mwen » face à tous les élus pour mesurer plus justement les enjeux et l’importance de toutes les élections et le rôle de chaque élu pour lequel on glisse un bulletin dans l’urne.

Il leur aura aussi appris les conséquences d’une abstention qui permet de laisser élire quelqu’un que l’on critiquera ensuite tout au long de sa mandature alors même qu’on ne se sera pas déplacé le jour de l’élection.

Peut-être qu’il aura rappelé aux élus, à tous les élus, qu’être élu oblige. Qu’on ne peut l’être valablement que si on assume les responsabilités que cela incombe et surtout, que le courage en politique est ce qui fait un pays avancer, le compromis à bas prix pour plaire aux citoyens finit toujours par coûter plus cher que ce qu’il rapporte.

Peut-être surtout que si tout cela est dûment assumé par les électeurs autant que les élus, les organisations syndicales n’auront plus à se préoccuper que de la vie sociale dans le monde du travail.

Peut-être d’ailleurs que le plus grand mal de la Guadeloupe réside dans le fait que chacun veut assumer le rôle et la responsabilité des autres mais jamais son propre rôle et sa propre responsabilité.
Peut-être tout simplement qu’avant même de s’interroger sur une éventuelle « domiciliation des pouvoirs » la Guadeloupe doit garantir à tous ses habitants un réel art du « vivre ensemble » que les uns et les autres ne remettront pas en cause au gré de leurs ambitions personnelles.