Les enseignants des arts et artistes-intervenants en milieu scolaire militent pour le maintien de la 1ère année de licence "Arts du spectacle". Mais cette licence n'est-elle belle que sur le papier ? La question se pose alors que la présidence de l'UA évoque de graves dysfonctionnements.
Nous avons déjà évoqué, sur guadeloupe.la1ere.fr, le projet du doyen de la faculté "Roger Toumson", à Saint-Claude, de fermer la première année de la licence "Arts du spectacle et patrimoine culturel immatériel", dès la prochaine rentrée scolaire.
A cette annonce, les étudiants de ce cursus ont manifesté, à l'entrée du campus, le lundi 25 janvier 2021, pour exprimer leur désapprobation et leur crainte de voir toute la filière supprimée, à terme.
Le Doyen avait tenté de les rassurer, en prétextant que cette fermeture se justifiait, pour une nécessaire réorganisation d'une licence, dont plusieurs enseignements ne sont que peu, voire pas du tout dispensés.
Aujourd'hui, c'est au tour des enseignants des arts et les artistes intervenants, au sein des collèges et lycées de la Guadeloupe, de se manifester. Une cinquantaine de ces professeurs et professionnels dans le domaine des arts ont co-signé un communiqué, ce lundi 1er février. Ils affirment que la fermeture de la 1ère année de la licence "Arts du spectacle et patrimoine culturel immatériel" est lourde de conséquences, pour les élèves du second degré qui se destinaient aux métiers culturels et qui espéraient pouvoir poursuivre leurs études, dans l'archipel.
Artistes et enseignants des arts militent pour le maintien de la licence arts du spectacle
Les enseignants des arts et les artistes-intervenants se disent stupéfaits d'apprendre qu'une si jeune filière (créée il y a trois ans), qui "offre de nombreuses perspectives à notre jeunesse" soit compromise pour des "problèmes administratifs et/ou pédagogiques".
Est-il nécessaire de rappeler que la Guadeloupe est une terre de culture ?
Que nos lycéens, toutes disciplines artistiques confondues, depuis quelques années, sont entre 95% et 100% de réussite au BAC ?
Nous ne pouvons pas avoir obtenu l’inscription du Gwoka au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, en 2014, pour voir disparaître une filière qui valorise et professionnalise autour des arts et du patrimoine, en 2021.
L'existence de cette licence a créé une émulation, dans le second degré, comme l'explique José Jernidier, comédiens, auteur, metteur en scène et intervenant en milieu scolaire. Il est interrogé par Chantal Horn :
José Jernidier : "Depuis trois ans, on était ravis de voir qu'il y a une section ouverte à Saint-Claude !"
Connaissant l'existence de ce cursus universitaire, nombreux sont les collégiens et lycéens à s'être orientés vers les arts (musique, danse, théâtre, arts plastiques, arts visuels et numériques).
Fermer la première année de la licence jusqu'ici proposée au Camp Jacob revient, donc, à leur couper l'herbe sous les pieds ; cela, à deux mois des choix post-Bac, à faire sur le logiciel "Parcours Sup". Les voilà contraint de quitter la Guadeloupe... en pleine pandémie.
Une logistique bien évidemment difficile, voire impossible à mettre en place, dans ce laps de temps si court, pour des familles déjà en difficultés économiques, sociales et psychologiques.
"Je demande aux gens de revoir leur copie. S'il vous plaît", demande faite par Raymonde Torin, professeur d’EPS en charge de l’Art Danse en lycée :
Les signataires de ce communiqué entendent contribuer à la recherche de solutions, pour que soit assurée la continuité de cette filière universitaire.
Des solutions peuvent être trouvées avec les structures arts sur tout le territoire, mais également avec des établissements scolaires en ce qui concerne la théorie. Nous sommes nous aussi, acteurs du milieu culturel, prêts à mener à vos côtés, les réflexions nécessaires pour l’élaboration d’une solution prompte et favorable.
Donnons une chance à notre jeunesse en faisant appel à notre imagination !
Leur objectif est de faire en sorte que les futurs décideurs de la culture, en Guadeloupe, soit formés localement, pour garantir au territoire un "avenir identitaire".
"Nous ne pouvons pas fermer cette filière !" affirme Christine Chalcol, professeur agrégé de musique, dans le second degré :
A lire le communiqué complet de ce collectif d'enseignants en arts et d'artistes-intervenants en milieu scolaire :
Communiqué des enseignants Arts, artistes-intervenants et artistes partenaires - 1er février 2021
Une licence au rabais ?
Pour rappel, selon la faculté, les étudiants déjà inscrits ne devraient pas être lésés, puisque seule la première année fermerait, en septembre 2021. Ces derniers vont, en effet, pourvoir valider leur Bac+3, puisque la 2ème et la 3ème année devraient perdurer.
Pour autant, le Pr Eustase Janky, président de l'Université des Antilles, s'est expliqué, quant aux nombreux dysfonctionnements dont souffre la filière "Arts du spectacle et patrimoine culturel immatériel", en Guadeloupe et, par ricochet, les étudiants aussi.
Recommencer une première année dans ces conditions est difficile (...).
Pour une formation universitaire, il y a des exigences nationales. Or la licence "Arts du spectacle" ne répond pas à ces exigences. Nous n'avons que 2% des enseignements qui sont assurés par des universitaires (...).
Et puis les étudiants ne sont pas contents. La formation ne répond pas à leurs exigences non plus.
Pour plus de précisions, l'Université des Antilles (UA) a aussi produit un communiqué, pour expliquer son positionnement.
On y apprend d'abord que la fermeture de la 1ère année de licence "Arts du spectacle" est irréversible :
Cette décision de fermeture de la première année, non réversible, actée sur Parcoursup dès décembre 2020, est la conséquence d’une réflexion étayée par des faits.
Faute d'enseignants universitaires titulaires, pour assurer les enseignements de cette filière, l'UA a eu recours à un nombre (trop) conséquent d'heures complémentaires, pour garantir l'intervention de personnels externes. Un excédent que n'a pas manqué de pointer du doigt le contrôle de gestion de l'université, en charge de l'évaluation du coût des formations.
Autre bémol : malgré tous ces investissements, la licence "Arts du spectacle" ne répond pas aux aspirations des étudiants inscrits, selon l'UA, qui évoque une "première année trop mutualisée avec la licence d'Histoire", des cours inadaptés, une abondance de cours théoriques au détriment d'apports pratiques et professionnalisants, ou encore un "déséquilibre dans la répartition des enseignements artistiques".
Cela pose la question de l’insertion professionnelle de ces jeunes et nous amène à un constat douloureux mais lucide : la licence Arts du spectacle ne répond pas, en l’état actuel, aux aspirations des étudiants qui y sont inscrits.
Alors que "trop d'enseignements sont non pourvus", cette réalité se frotte à une autre, implacable : le choix des profils, dans le cadre des recrutements à l'université, est très pointu. Cette exigence est garante de la qualité des cours dispensés. Si bien que plusieurs candidatures ont été rejetées.
C’est ainsi que les étudiants se sont retrouvés sans enseignants devant eux, obligeant l’administration de la faculté à neutraliser des cours, c’est-à-dire les annuler purement et simplement.
Autant de manquements qui jettent le discrédit sur la validité et la crédibilité du diplôme de licence "Arts du spectacle", en Guadeloupe.
Autant de manquements qui poussent l'Université des Antilles à engager un processus de réorganisation pédagogique et scientifique de la licence en question.
A lire le communiqué complet de l'Université des Antilles :
Communiqué de presse de l'UA - Filière Arts du Spectacle
Dysfonctionnements : à qui la faute ?
Le professeur Eustase Janky pointe, donc, aussi du doigt le porteur de ce projet de licence, qui n'a pas fait le nécessaire pour en garantir les contenus et pourvoir les postes d'enseignants nécessaires.
La méconnaissance, de la part de l’ancien responsable de la filière, non seulement du calendrier (tenue des différentes Commissions de validation), mais également des règles administratives de recrutement, a considérablement altéré le fonctionnement de la licence.
Ce porteur de projet est Appolinaire Anaceka, professeur des universités et ethno-musicologue. Il ne répond pas sur son prétendu manque d'organisation, pour asseoir la formation, avec le renfort des professionnels indiqués.
Pour sa part, il dénonce un manque de dialogue, alors que des solutions existent, selon lui, pour sauver cette filière, dans l'intérêt suprême des étudiants. Il déclare aussi n'avoir bénéficié d'aucun moyen, pour mener sa mission. En revanche, il aurait développé des projets, présentés à sa tutelle... en vain.
Le moins que l'on puisse dire est que cette licence "arts du spectacle" mobilise l'attention de tous.
Puissent-ils s'entendre et dépasser leurs divergences, pour ne se concentrer que sur l'enjeu principal de cette affaire : l'intérêt de la jeunesse guadeloupéenne.