Causes et conséquences du recul du trait de côte, impact du dérèglement climatique dans les prochaines années, aménagements à privilégier pour lutter contre l’érosion…
Autant de questions qui ont bouillonné dans les têtes des 80 personnes ayant assisté au séminaire marquant les dix ans de l’observatoire de la dynamique côtière (ODyC) au grand hôtel Montabo, à Cayenne.
L’événement, organisé du 3 au 5 juin a permis de faire un point sur les données scientifiques, d’échanger sur les meilleurs modèles permettant d’en créer de nouvelles, et enfin, de faire le pont entre monde de la recherche, collectivités et services de l’Etat.
Que faut-il en retenir ? Tout d’abord, que le recul rapide du trait de côte que l’on peut observer assure la presqu’île de Cayenne, à Kourou ou encore à Awala Yalimapo s’explique avant tout par un phénomène naturel.
« Le littoral guyanais est un des plus dynamiques au monde en raison de l’influence de bancs de vase qui se forment à partir des sédiments de l’Amazone puis qui migrent le long de la côte des Guyanes, jusqu’à l’Orénoque [au Vénézuela] »
Antoine Gardel, représentant Centre national de la recherche scientifique (CNRS) en Guyane et chercheur en géomorphologie littorale
Ces bancs de vase viennent influencer l’impact de la houle sur la côte favorisant donc l’érosion ou au contraire l’accrétion des plages sur un modèle cyclique. Ce sont ces mêmes bancs de vase qui permettent l’installation puis la disparition des mangroves, présentes sur près de 80 % du littoral guyanais.
L’érosion de la plage des Hattes, à Awala Yalimapo, par exemple, s’explique par la situation très spécifique d’un banc de vase bloqué entre deux estuaires (la Mana et le Maroni), qui a maintenu son influence érosive, bien au-delà du cycle observé habituellement.
Si les connaissances manquent encore, tant le phénomène est complexe et difficile à étudier, on estime que les bancs de vase se forment véritablement au niveau de la région des Caps, au nord de l’Amapa, et migrent à une vitesse comprise entre 0,5 et 5 kilomètres par an.
Dans ce contexte de littoral mouvant par nature, le dérèglement climatique vient rajouter son lot d’incertitudes. « On ne sait pas expliquer, dans le bruit ambiant de ce littoral très dynamique ce qui relève du changement climatique ou non mais il y aura très certainement un impact dans les prochaines années », note Antoine Gardel.
En accroissant le niveau global des océans, le dérèglement climatique d’origine humaine va par exemple accroître un risque déjà très présent en Guyane : celui des submersions lors des grandes marées.
Certains se rappelleront rappelle par exemple la grande crue de 1977 à Cayenne. Plus récemment les inondations de 2013 à Rémire Montjoly et de 2016 à Kourou, ou encore de mars 2024 à Awala Yalimapo nous rappellent que la Guyane est très exposée à la hausse du niveau de la mer.
« La côte guyanaise est extrêmement basse. On a des espaces connectés à la mer comme les criques les estuaires, ou encore un arrière-pays de savanes très bas, qui risquent d’être inondés. On ne sait pas encore comment tous ces espaces vont réagir. On pose des hypothèses, et ce sera un des travaux de l’Observatoire d’y répondre, par observation ou par modélisation »
Guillaume Brunet, ingénieur de recherche au Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM)
Enfin, au vu des modélisations à l’échelle globale, le dérèglement climatique aura sûrement un impact sur les houles qui influencent la côte guyanaise, bien que celui-ci ne soit pas encore connu.
« Ce qu’on aimerait étudier, c’est l’impact du changement climatique en termes de direction sur les houles des alizés, celles qui influencent la migration des bancs de vase. Ce sont des travaux exploratoires », explique François Longueville, ingénieur de recherche au BRGM et ancien chef de projet à l’Observatoire de la dynamique côtière, ayant participé au projet Guyaclimat, qui a dressé une première mesure des impacts locaux du dérèglement climatique en Guyane.
Le sujet de l’érosion, passionnant d’un point de vue scientifique, tant il touche à la complexité de l’écosystème guyanais, est un vrai casse-tête pour les collectivités. A fortiori dans des modèles urbains comme celui de Kourou, ville pensée par et pour des Métropolitains et construite trop près du front de mer.
C’est notamment ce qu’a rappelé la chercheuse Mariane Palisse (université de Guyane), lors de son intervention sur le contraste entre les habitats traditionnels amérindiens et créoles, bien plus adaptable aux aléas climatiques, et ceux, plus modernes incarnées par la ville spatiale.
Les questions des mesures de protection et de la concertation avec la population dans le cas, sensible, des relocalisations ont donc, elles aussi été au cœur de ce séminaire avec les exemples de Kourou, d’Awala Yalimapo, mais aussi, hors de Guyane celui de Saint-Pierre et Miquelon. Dans ces trois cas, des mesures provisoires « douces » ont ou seront mises en place le temps de penser le relogement des populations.
À Awala Yalimapo, des « barrières anti submersions » mobiles devraient être livrées dans les prochains mois tandis que Kourou mise depuis 2019 sur des épis en bois sur la plage et au large afin de casser la houle.
« On peut protéger provisoirement une côte mais il faut à tout prix éviter les aménagements lourds qui perturbent encore plus l’écosystème, avec comme conséquence, par exemple la la perturbation de la circulation des sédiments. Au Guyana et au Suriname, la côte a été artificialisée pour protéger l’intérieur et au final c’est une catastrophe avec des phénomènes d’érosion encore plus forts qu’avant »
Antoine Gardel, chercheur en géomorphologie littorale au CNRS
Enfin, les problématiques d’élaboration d’une stratégie sur le long terme et des sources de financements ont-elles aussi, été questionné pendant ces trois jours.
« Aucune commune n’est capable de prendre à sa charge des aménagements. Sur Kourou, le budget frise les 10 millions d’euros sans parler des relocalisations – 500 logements seraient menacés – il faut une stratégie au niveau régional », a notamment plaidé Jean-Paul Malaganne, directeur général des services adjoints de la ville spatiale.
Sur ce point, la loi climat et résilience, adoptée en 2021 offre justement une boîte à outils légaux et financiers. Elle accorde par exemple aux communes et aux EPCI (1) un droit de préemption sur les biens mis en vente dans les zones exposées au recul du trait de côte.
Les collectivités peuvent aussi compter sur le Fonds vert pour la transition écologique, pérennisé jusqu’en 2027 et dont l’enveloppe pour la Guyane en 2024 s’élève à 12 millions d’euros.
Seulement, les leviers existants peinent à répondre aux projets d’ampleurs, notamment les relocalisations de quartiers entiers comme à Kourou ou Yalimapo. « Les solutions financières adaptées à la Guyane restent à créer, admettait d’ailleurs Yvan Martin, directeur de la DGTM lors de son intervention en fin de séminaire. Mais ça ne doit pas être un frein, ni la clé d’entrée du problème. Il faut d’abord penser les aspects techniques et sociétaux ».
À l’issue de trois jours d’ateliers et de conférence, ce séminaire a accouché d’une « pré feuille de route » très centrée sur la multiplication des partenariats locaux, comme l’Université de Guyane avec par exemple la création d’une filière dédiée aux thématiques littorales, la mise en réseau des acteurs et des disciplines, mais aussi la communication afin de vulgariser au mieux ces savoirs.
Cette feuille de route sera validée d’ici la fin de l’année et c’est sur cette base que se discuteront les prochaines enveloppes budgétaires de l’Observatoire, dont le budget est actuellement de 800 000 euros.
Si l’enjeu financier reste incontournable pour le développement auquel aspire cette institution, un autre défi se pose : celui de son appropriation par les acteurs locaux guyanais. « L’État était là pour assurer la phase de lancement. Maintenant que celle-ci est achevée, il faut que le reste de la Guyane, et en premier lieu les collectivités s’emparent de cette institution d’aménagement du territoire », confie un représentant des services de l’Etat présent lors de l’événement.
1) Etablissements publics de coopération intercommunale