Industrie verte : une nouvelle génération d'entrepreneurs en Guyane

Un pinotière à Montsinéry
Valoriser la forêt amazonienne sans la détruire, c’est le défi des nouvelles figures de l'entrepreneuriat guyanais. De jeunes entreprises qui parient sur la qualité des produits de Guyane dans un contexte de demande mondiale croissante.

Wassaï, cupuaçu, plantes médicinales, spécialités culinaires… Les richesses de l’Amazonie guyanaise seront-elles demain les moteurs de son économie ? Les pionniers de l’industrie des bioressources le pensent. Depuis quelques années, ils structurent de nouvelles filières pour répondre à l’appétit grandissant d’un marché en pleine expansion.   

L’industrie mondiale friande d’alternatives à la pétrochimie

 En 2020, le marché des cosmétiques naturels représentait plus de 10 milliards d’euros, avec une croissance de presque 3% comparé à 2019. Ces chiffres dénotent une réalité plus large dans le monde industriel : les alternatives naturelles aux produits de synthèse sont de plus en plus recherchées.

Les principes actifs issus de plantes répondent mieux aux attentes des consommateurs : les marques en font un argument de vente. L’entreprise Bio Stratège, implantée en Guyane en 2019, mise sur les principes actifs des plantes amazoniennes.

Le laboratoire isole des molécules et crée des procédés de transformation des plantes qui répondent à des normes de qualité supérieures, adaptées aux industries cosmétique et nutraceutique. Il en tire des poudres de plantes destinées au marché international, mais aussi des tisanes médicinales et des cosmétiques pour le marché guyanais.

Mariana Royer, présidente de Bio Stratège Guyane, emploie maintenant huit personnes à plein temps et prévoit de continuer sa croissance, elle peine pour l’heure à répondre aux demandes de ses clients. Ses effectifs devraient doubler en 2022.   
https://la1ere.francetvinfo.fr/guyane/centre-littoral/matoury/inauguration-des-nouveaux-locaux-de-bio-stratege-guyane-faire-de-notre-biodiversite-un-atout-majeur-de-notre-economie-1147225.html   

En 2021, Bio Stratège a transformé une tonne de plantes issues de trente-six producteurs différents. Structurer des filières d’approvisionnement stable est un impératif pour répondre aux standards des marchés industriels. Pour ses approvisionnements, Bio Stratège utilise aussi les produits d’autres industries, comme par exemple les chutes de bois des scieries. Cette récupération est un exemple d’économie circulaire : les déchets des uns servent de ressources aux autres. C’est un principe que les nouveaux entrepreneurs guyanais appliquent à plusieurs niveaux.   

L’açaï guyanais, en quantité industrielle

Pour Dave Drelin, président de Yana Wassaï, l’environnement est une source de matière première, mais l’exploiter veut aussi dire le protéger.
La nouvelle usine de 2000 mètres carrés construite à Montsinéry intègre de nombreux aménagements qui lui permettent de réduire l’empreinte carbone : la chaleur générée par les frigos est utilisée pour chauffer de l’eau, les restes du Wassaï servent de combustible à la chaudière…  

L’usine devrait entrer en production en mars 2022, elle est équipée de machines importées du Brésil et adaptées pour transformer plusieurs fruits, afin de sortir de la saisonnalité de l’açaï. Les espaces de stockage sont modulables pour s’adapter à l’inconstance du fret maritime en partance de Guyane : un point essentiel pour l’entrepreneur.         
https://la1ere.francetvinfo.fr/guyane/centre-littoral/montsinery-tonnegrande-pose-premiere-pierre-usine-transformation-wassai-est-prevue-mois-septembre-839740.html 

Grâce à ces équipements, Yana Wassaï pourra produire jusqu’à quatre tonnes d’açaï par heure. Les rendements seront loin de ce chiffre à la sortie des premières bouteilles, mais Dave Drelin souhaite pouvoir monter en puissance à mesure que son réseau de fournisseurs se structure. Il débutera en transformant la matière de quatre-cents hectares de pinnotère, voudrait à terme atteindre les deux-mille hectares exploités.

Le marché de l’açaï grossit de 12% par an, l'entrepreneur veut être en mesure d’attraper cette locomotive économique en route. Une partie de la production sera récoltée dans la forêt grâce à une convention nouvellement signée avec l’ONF. La totalité de l’açaï produit par Yana Wassaï sera bio, un autre défi est donc de labelliser les producteurs.   

La difficile structuration de la filière agricole 

Yana Wassaï et Bio Stratège se sont associés à la coopérative Bio Savanes pour accompagner les producteurs dans leur montée en compétences. La coopérative aide les petits exploitants à se structurer et à obtenir leur labellisation. La difficulté d’obtenir des aides pour une exploitation bio reste cependant d’actualité.

Dave Drelin veut aussi créer un réseau entre différentes compétences qui participent à augmenter les rendements agricoles, comme par exemple en facilitant l’installation de ruches sur les exploitations pour multiplier les pollinisateurs. Une technique qui peut augmenter les rendements de 20%. L’entrepreneur a mis en place un partenariat avec APIGUY, la toute jeune association d’apiculteurs de Guyane. Les nouveaux entrepreneurs de l’agro-transformation incitent aussi les producteurs à associer les cultures, pour ne pas être dépendants des saisons ni d’un seul acheteur. Associer les plantes, c’est renforcer leur santé tout en diversifiant les productions. Une technique qui occupe aussi moins de surface agricole. Pas forcément intéressant pour obtenir des subventions (qui encouragent les grandes surfaces de culture). Cependant le problème du foncier demeure pour de nombreux exploitants et les entrepreneurs des bio-ressources espèrent beaucoup de la nouvelle SAFER, notamment au niveau de la valorisation des terres agricoles non exploitées.

Ils incitent pour l’heure les pluriactifs (salariés, retraités passionnés d’agriculture) à se lancer dans l’aventure. L’objectif est de valoriser toutes les parcelles, même avec de petites productions épisodiques qui peuvent générer des revenus complémentaires pour le vendeur. Réunis autour d’un même pari sur les ressources naturelles de Guyane et leur transformation au pays, Bio Stratège, Yana Wassaï et Délices de Guyane espèrent à terme créer 250 emplois directs.   

L’aventure qui commence pourrait profiter à l’ensemble du territoire si elle aboutit : l’étude sur le potentiel économique de la Guyane réalisée en 2018 par le Cabinet Deloitte classe l’agriculture comme premier secteur à même de tirer l’économie vers le haut. L’industrie alimentaire arrive troisième du palmarès, derrière la filière pêche. En comparaison, le secteur minier n’est pas dans la liste : trop peu de retombées directes potentielles sur l’économie locale.