Retour à la case départ. L'assemblée plénière du 20 juin a finalement été annulée, faute d'élus en nombre suffisant pour participer au vote. Et, reconvoquée en début de semaine prochaine - lundi ou mardi - l'AP ne traitera finalement pas la révision du schéma d'aménagement régional (SAR). Le sujet sensible du moment a été retiré de l'ordre du jour par Gabriel Serville.
Il s'agissait d'une demande de la Communauté d'agglomération du centre littoral (CACL) qui souhaiterait le reclassement d'une parcelle de forêt domaniale située près des secteurs de Quesnel ouest et Trois Rois, au sud ouest de Macouria, afin de pouvoir y implanter une unité de stockage de déchets non dangereux (ISDND).
Ce projet de longue date vise à remplacer la décharge complètement saturée des Maringouins, dont la fermeture est prévue pour 2025. En complément, la CACL prévoit d'ouvrir, à l'horizon 2026-2027, une unité de valorisation énergétique, capable de transformer 70 000 tonnes de déchets par an, en électricité. Concrètement, les déchets enfouis seront ceux qui ne peuvent être transformés (comme la ferraille) et les résidus d'incinération. Ces résidus inertes sont donc "non fermentisibles", rappelle la CACL. Pour autant, ces projets font l'objet de vives critiques et attisent les inquiétudes.
Contamination de l'eau potable
Le 20 juin au matin, un patchwork d'opposants composé d'agriculteurs locaux - soutenus par le syndicat Grage - de riverains, d'écologistes et de représentants de l'entreprise locale Dilo, qui met en bouteille l'eau de source éponyme, s'était d'ailleurs réuni devant l'hôtel territorial afin de faire pression sur les élus.
Tous dénoncent le risque de contamination des cours d'eau par le lixiviat, le "jus de poubelles", qui serait produit par le site de stockage des déchets. "Moi j'ai besoin d'eau pour mon agriculture, si elle est contaminée ou s’il y a un risque, je ne peux plus rien vendre, c'est fini, totalement foutu", enrage Stéphane André, un maraîcher exploitant 30 hectares à 300 mètres du site retenu pour le stockage.
Pour Dilo, cette décharge située à moins de 5 kilomètres de ses forages, risque de nuire à l'image de marque et surtout, à terme, de lui faire perdre son label "eau de source", et tous les avantages concurrentiels qui vont avec. Une incertitude économique d'autant plus malvenue que l'entreprise cherche en ce moment à s'agrandir, avec un investissement à la clé de près de 20 millions d'euros.
Enfin, plusieurs opposants, dont les riverains représentés par l'Association pour la préservation environnement de Quesnel-Trois Rois dénoncent le risque pour la faune et la flore des marais de la Crique Macouria, qui comprend notamment le lit majeur de la crique Trois rois et dont l'intérêt patrimonial est reconnu par son classement en "zone naturelle d'intérêt écologique, faunistique et floristique" (Znieff).
Conflit d'experts
La veille, Philippe Neron, directeur général des services de la CACL avait pourtant tenté d'apaiser les esprits en faisant valoir les études hydrogéologiques commanditées par la collectivité. "Le site de Dilo se situe en amont du site de stockage [...] et les bassins-versants sont totalement autonomes, l'eau ne peut pas remonter une pente et couler dans l'autre sens", exposait-il.
Avant de rappeler l'urgence de la situation : "À partir de fin 2025, il y a un risque que nous n'ayons plus la possibilité d’enfouir les déchets des trois territoires [Communauté de communes des Savanes, de l'est de la Guyane et CACL, les trois collectivités dont l'ISDND devrait accueillir les déchets] nous n'avons pas véritablement de plan B, tout était prévu sur ce site".
Ce discours n'a pas du tout rassuré les opposants, qui s'appuient sur d'autres expertises réalisées par Dilo qui pointent au contraire le risque de porosité entre les déchets stockés sur le futur ISDND et le réseau hydrographique. "Nous intervenons en aspirant de l'eau, ce qui crée des flux contraires aux flux naturels. Les spécialistes de l'embouteillage de l'eau qui suivent les forages disent qu'il y a un risque avec une décharge à proximité donc je me range à cet avis", résume Georges Euzet, responsable d'exploitation de Dilo.
Face à ces conflits d'experts, la majorité tente de se maintenir au-dessus de la mêlée. "Il faut qu'il y ait une instance au-dessus de ces experts qui soit suffisamment neutre et indépendante qui vienne dire le droit et la vérité. [..] Des expertises ont été diligentées par divers organismes mais visiblement cela n'a pas permis de mettre tout le monde d'accord. C'est la raison pour laquelle, au lieu d'aller vers une guerre des tranchées alors que nous sommes tous responsables, je préfère enlever ce point de l'ordre du jour, le dire au président de la CACL et lui dire le problème que cela pose", a acté Gabriel Serville, en se disant prêt à repousser la décision de la CTG sur le SAR "autant qu'il faudra".
Wayabo, un projet concurrent mais aussi critiqué
Ce choix de la prudence - ou du manque de courage, c'est selon - a naturellement été critiqué tant par l'opposition que par les membres du nouveau groupe Unis et engagés, qui réunit trois dissidentes de la majorité. Nombreux sont les élus qui espéraient en effet aller au vote afin de clarifier - en refusant la révision du SAR - ce projet qui traîne en longueur. Et par la même occasion défendre ouvertement Dilo, entreprise décrite comme un "fleuron guyanais".
"À l’origine, il y avait plus d'une dizaine de parcelles et de sites possibles. Ce que nous voulons dire à la CACL, c'est de reprendre le travail. Cette révision ne passera pas car quelle que soit l'étude qui sera fournie, l'image d'une des rares industries de Guyane est entachée par la présence de cette ISDND", confiait par exemple Violaine Machichi-Prost, un peu avant la levée de séance.
Faute d'accord sur le fond, visiblement incontournable pour obtenir le sésame du SAR, ce projet d'ISDND risque d'accumuler les retards. De quoi laisser le champ libre à son concurrent historique, le projet porté par le groupe privé Séché sur le site de Wayabo, à Kourou. Seulement, ce projet d'ISDND, soutenue par la mairie de Kourou, est aussi vivement critiqué par les agriculteurs locaux. Quant à la CTG, elle avait émis un avis défavorable.