Legislatives 2024 : pourquoi l'abstention reste le premier parti de Guyane ?

La carte électorale pour justifier de son inscription dans un bureau de vote.
Malgré un regain d'intérêt pour ces législatives anticipées, le taux d'abstention qui se fixe à 67,5 % à l'issue du premier tour reste extrêmement haut et traduit à la fois les difficultés d'accès au vote qu'un rejet des instances de pouvoir, perçues comme éloignées de la réalité des Guyanais.

À l’issue du premier tour des élections législatives anticipées de 2024, l'abstention s'est imposée comme le parti préféré des Guyanais et des Guyanaises. Et de très loin. 67,5 % des 108 917 électeurs appelés aux urnes samedi pour le premier tour des législatives anticipées ont préféré rester chez eux.

Au niveau national, au contraire, ce scrutin a mobilisé environ deux électeurs sur trois là où moins d'un sur deux s'était rendu aux urnes en 2022.

Localement, l'abstention est particulièrement forte dans l'ouest de la Guyane. À l'échelle de la deuxième circonscription 71,2 % des inscrits ne se sont pas rendus dans les bureaux de vote. À Apatou, l'abstention monte à 78,8 % tandis qu'elle culmine à 79,1 % à Grand Santi. À Saint Laurent, elle grimpe même à 78 %, soit 8 points de plus qu'au premier tour des législatives de 2022, et ce malgré la présence de Sophie Charles, maire de la ville, parmi les candidates.

Cette démobilisation dans l'Ouest est d'autant plus marquante qu'elle va à rebours de la situation régionale. En effet, à l'instar du reste du pays, la Guyane a tout de même connu un regain d'intérêt pour ce scrutin historique, avec une mobilisation plus forte qu'aux premiers tours des législatives de 2022, 2017 et 2012.

Il faut revenir aux législatives de 2007 pour trouver un taux d'abstention plus bas que celui de ce premier tour. À l’époque, 62 % des inscrits "seulement", s'étaient abstenus.

Difficultés matérielles pour aller voter 

Cette abstention structurellement élevée interroge. Dans les communes de l'ouest où de nombreuses populations vivent dans les "écarts", elle s'explique en partie par l'absence de moyens de transport et donc l'incapacité matérielle à se rendre aux bureaux de vote.

En outre, cette campagne éclair n'a pas laissé le temps aux militants de quadriller le terrain, et de convaincre de l'intérêt de ce scrutin, sur des terres qui se tiennent, traditionnellement, bien loin de la politique nationale.

Plusieurs candidats interrogés pendant la campagne témoignaient d'ailleurs du travail de pédagogie qu'ils devaient effectuer devant un public n'ayant parfois même pas été informé de la dissolution de l'Assemblée nationale et ses conséquences. Sans parler de la maîtrise inégale du français, qui limite encore plus l'accès à l'information politique.

Ainsi, à Apatou, les élus locaux interrogés par Guyane la Première ont déploré qu'aucun candidat n'ait organisé de meeting dans la commune pendant la campagne et qu'aucun véhicule n'ait été mis à disposition par les équipes électorales pour les potentiels votants dans l'incapacité de se déplacer.

Des lieux de pouvoir géographiquement éloignés

Mais au-delà de ces blocages pratiques, qu'a notamment relevés Aldo Neman, candidat du collectif Apachi, les causes de l'abstentionnisme massif sont multiples.

Le fait que ce rejet des urnes soit une caractéristique commune à l'ensemble des territoires ultramarins en général, vient par exemple rappeler l'importance du facteur géographique.

Dans leur ensemble, les habitants des régions d'outre mer, dont les Guyanais, font preuve depuis des années d'une défiance, voire d'un rejet des instances démocratiques parisiennes perçues comme très éloignées à la fois géographiquement et des préoccupations du quotidien.

Cet éloignement, à la fois du lieu de la prise de décision, et des enjeux structurant l'institution décisionnaire, est particulièrement saillant dans le cas de l'Union européenne, dont l'élection des parlementaires est de loin la plus boycottée par la population guyanaise.

Désintérêt pour une politique qui "ne change pas"

Parmi les témoignages d'abstentionnistes revendiqués lors de ce premier tour, une justification revient d'ailleurs constamment : le sentiment "d'absence de changement" et d'impact concret de la politique sur leur vie et ce "quels que soient les élus" en poste ces dernières années.

Au désintérêt des gouvernements français successifs, qui se matérialise par exemple par la déficience des services publics sur le territoire ou par le sentiment d'être considérés comme des"citoyens de seconde zone", les Guyanais répondraient donc, à l'unisson des autres régions d'outre mer, en se détournant du système électoral traditionnel.

Mais au-delà de ce rapport compliqué avec la politique et les institutions nationales, la Guyane semble aussi devoir faire face à un défi d'intégration de l'ensemble de sa population au sein des instances démocratie locale.

En effet, même pour l'élection territoriale de 2015 dont l'objectif était de composer la première assemblée de la toute nouvelle Collectivité territoriale de Guyane (CTG), un scrutin guyano-guyanais donc, moins d'un électeur sur deux s'était mobilisé au premier tour. C'est moins que la moyenne de participation pour les scrutins régionaux de l'Hexagone.