Réparation. Le mot est lâché. Comment réparer les dégâts causés par l’utilisation du chlordécone ? La question se pose à tous. Gouvernement, Parlement, élus locaux, militants écologistes, planteurs de banane, agriculteurs, citoyens.
A l’issue de sa rencontre avec le président du conseil exécutif, le ministre des Outre-mer admet : "Il convient désormais de réfléchir et dire des choses vraies, que l'État sera capable de tenir". Il insiste sur le fait que le gouvernement ne souhaite effectuer aucune déclaration qui ne soit pas suivie d’effet. Jean-François Carenco a même demandé à Serge Letchimy de l’aider à trouver des réponses convaincantes.
Lequel a insisté auprès du ministre de l’impérieuse nécessité "de prendre des mesures de réparation très importantes". Il évoque quelques pistes : le renforcement du financement des recherches lancées pour dépolluer les sols, l’indemnisation des agriculteurs et des pêcheurs ayant subi un préjudice économique, empêchés qu’ils sont de travailler normalement.
Des préconisations formulées dans le rapport final de la commission d’enquête parlementaire que l’ancien député Letchimy avait animé aux côtés de sa collègue de Guadeloupe Justine Bénin. La plupart des propositions contenues dans ce rapport déposé en décembre 2019 n’ont pas encore trouvé le moindre début d’application.
Comment réparer des dégâts de cette nature ?
À ce jour, la réparation des dégâts est balbutiante. Elle se limite à la prise en charge des salariés de l’agriculture en droit de déclarer une maladie professionnelle. Et encore, au bout d’une procédure complexe et donc, dissuasive. Résultat : de rares dossiers sont aboutis.
À l’inverse, il existe une procédure simple et accessible à toute la population, le test de chlordéconémie. Les analyses de sang sont gratuites depuis le coup de pression du Collectif des ouvriers agricoles empoisonnés par les pesticides. Pourtant, moins de 10 000 tests ont été effectués, faute d’une campagne ciblée de communication et aussi par peur d’une vérité qui peut faire mal.
Plus largement, c’est la notion même de réparation qu’il importe de clarifier. En principe, elle implique la désignation d’un coupable, sa traduction en justice pour un procès puis sa condamnation à indemniser sa victime. C’est ce que prévoit le Code civil. Et c’est ce qu’attendent les victimes directes et collatérales de l’exposition au pesticide toxique.
Seulement, aucun procès n’est prévu pour le scandale du chlordécone. Pourtant, les scandales sanitaires de ces trente dernières années se sont conclu par l’indemnisation des victimes. Cela a été le cas pour les affaires du sang contaminé, de l’hormone de croissance, du Mediator, de la Dépakine, des prothèses mammaires.
Plusieurs scandales ont été réellement pris en compte
Mentionnons aussi les personnes ayant subi les contrecoups de leur exposition à l’amiante. Elles bénéficient d’une aide gérée par l’Etat. Il en de même pour les victimes et leurs descendants des essais nucléaires militaires en Polynésie. Après de longues années de batailles judiciaires et politiques, elles peuvent être prises en charge pour leurs soins médicaux.
Le fonds d’indemnisation pour les victimes du chlordécone, comme réclamé par la Collectivité Territoriale de Martinique à l’initiative des élus du Gran sanblé pou Matinik n’est pas prêt de voir le jour. Sa faisabilité juridique et technique n’est pas encore à l’étude. Pourtant, sa création pourrait constituer une voie d’apaisement.
En outre, en attendant un hypothétique procès des responsables du scandale, le préjudice d’anxiété pourrait être reconnu par l’Etat. Le sénateur de Guadeloupe Victorin Lurel, avec l’appui de ses collègues de Guadeloupe Victoire Jasmin et de Martinique Catherine Conconne, a interpellé le gouvernement à ce propos. Aucune réponse ne lui a été portée par le ministre des Outre-mer, quelques jours avant son déplacement en Martinique.
Il est vrai que l’action collective menée par plus de 1 200 personnes a été rejetée par le tribunal administratif de Paris en juin 2022. Les magistrats ont débouté les plaignants de leur demande d’indemnisation du préjudice moral d’anxiété lié à la pollution par le chlordécone de la Guadeloupe et de la Martinique. Ce qui n’a pas empêché le tribunal de reconnaître l’existence de négligences fautives commises par le ministère de l’Agriculture.
Dès lors, la question se pose, au gouvernement, au Parlement, aux élus locaux, aux militants écologistes, aux planteurs de banane, aux agriculteurs, aux citoyens. De quelles réparations parlons-nous ? Toutes les idées sont bonnes à étudier, pour sortir par le haut de cet innommable scandale.