ANALYSE. La crise calédonienne retient l'attention du Forum des îles du Pacifique

Le forum des îles du Pacifique réunit de nombreux représentants des 18 pays membres.
Le Forum des îles du Pacifique, le FIP, a pris ses quartiers au royaume de Tonga depuis ce lundi 26 août et jusqu'à vendredi. Cinq jours pour évoquer les enjeux diplomatiques et stratégiques de la région. Un événement d'autant plus important pour la Nouvelle-Calédonie, qui traverse une crise politique et économique et sociale sans précédent. Ce contexte tendu est suivi de près par les représentants des pays voisins.

Le Forum des îles du Pacifique est né en 1971. L'organisation permet de débattre et de mettre en lumière les problématiques qui touchent à cet espace hétérogène. À commencer par les actions urgentes à mener sur le climat ou encore la montée du niveau de l'océan. Depuis quelques années, les rivalités géopolitiques, notamment entre les Etats-Unis et la Chine, ont aussi fait irruption dans les discussions.

Parmi les participants à ce forum, Moetai Brotherson, le président de la Polynésie française.

La crise calédonienne abordée dès le premier jour

Aujourd'hui, 18 États et territoires du Pacifique composent le forum. La Nouvelle-Calédonie a été pleinement intégrée au FIP en 2016. Pour rappel, en 1986, l'Onu l'a inscrite sur la liste des territoires non autonomes, même chose pour le FIP qui apporte son soutien au FLNKS.

Sans surprise, la situation qu'elle traverse a été rapidement abordée cette année, dès le premier jour du sommet. "Nous devons aboutir à un consensus sur notre vision pour une région de paix et de sécurité", a lancé le Premier ministre tongien Siaosi Sovaleni. "Nous devons honorer la vision de nos ancêtres sur l'autodétermination, y compris en Nouvelle-Calédonie."

Une caisse de résonance pour la cause indépendantiste

La cause indépendantiste trouve en effet un large écho dans le bloc Pacifique, qui compte de nombreuses colonies aujourd'hui farouchement fières de leur indépendance. Le nouveau secrétaire général du forum, le Nauruan Baron Waqa, a notamment critiqué le transfèrement en France métropolitaine de détenus indépendantistes arrêtés pendant les émeutes.

Selon Pierre-Christophe Pantz, docteur en géopolitique, invité du journal du lundi 26 août, "les indépendantistes recherchent aussi une caisse de résonance à leurs revendications. [...] Une revendication qui aurait de l’importance au sein du FIP, aurait un poids politique au sein des Nations unies. Le poids d’une organisation régionale comme le forum peut faire la différence."

Une grande famille

Le FIP s'inquiète d'ailleurs du climat insurrectionnel en Calédonie depuis le 13 mai. "Nos voisins sont inquiets naturellement", confirme Pierre-Christophe Pantz. "Ils considèrent que c’est une grande famille de territoires du Pacifique. La situation de la Calédonie ne peut pas laisser indifférent, entre son environnement régional et international. C’est assez naturel que, comme ce qui s’était passé dans les années 80, la Nouvelle-Calédonie se retrouve sur la scène régionale et internationale."

C’est une volonté pour les voisins du Pacifique de pouvoir assurer la sécurité et la pacification de cette région.

Pierre-Christophe Pantz, docteur en géopolique

Des jeux diplomatiques différents

Mais autour de la table, les positions ne sont pas forcément toutes alignées. "Il y a des logiques différentes en fonction des États. Nos voisins mélanésiens, comme le Vanuatu, ont peut-être une affinité plus proche à soutenir les revendications indépendantistes, à travers notamment le Groupe mélanésien Fer de lance, qui fait partie du FIP", poursuit Pierre-Christophe Pantz. "Tandis que l’Australie a un jeu diplomatique avec la France qui est différent. Elle veillera à ce que la situation puisse aller de mieux en mieux en Nouvelle-Calédonie, mais il faudra aussi qu’elle veille à s’assurer le soutien de son partenaire diplomatique, la France."

Il s'agit, pour chacun, de trouver une forme d'équilibre. "C’est un jeu où on essaiera de trouver une solution pour la Calédonie. Mais également de faire en sorte de ne pas se brouiller avec le partenaire français, important dans la région."

Pour Paris, d'un autre côté, l'objectif est "de pas brouiller ou écorner son image dans le Pacifique". La représentante de la France pour le Pacifique est d'ailleurs présente lors de ces échanges.

Pierre-Christophe Pantz, docteur en géopolitique, était l'invité du journal du 26 août 2024.

Une mission reportée, mais pas annulée

Une mission du forum devait venir à Nouméa il y a quelques jours, mais un imbroglio politique a reporté ce voyage. En cause, un différend entre les autorités calédoniennes et la France quant à son programme."La mission n’a pas été annulée, elle aura lieu, assure Pierre-Christophe Pantz. La question, c’est le contenu de cette mission : observation, médiation... L’enjeu sera aussi de savoir les limites du partage de compétences, entre l’État et la Nouvelle-Calédonie."

Tous ont intérêt à ce qu’on puisse trouver une solution, négociée, entre les différents partenaires.

Pierre-Christophe Pantz, docteur en géopolitique

L'axe indo-pacifique reste un enjeu de taille

Ce sommet est le premier du nouveau secrétaire général du FIP, Baron Waqa, pourfendeur de la rivalité américano-chinoise dans la région. "On ne veut pas de leur bagarre dans notre arrière-cour. Qu'ils aillent faire ça ailleurs", a-t-il lancé en juillet, à l'intention de Pékin et de Washington.

Et la Calédonie n'échappe pas à cette problématique de rivalité. "C'est un enjeu stratégique important dans cet axe indo-pacifique de par son emplacement géographique à quelques milliers de kilomètres des côtes australiennes et néo-zélandaises, rappelle Pierre-Christophe Pantz. On parle d'expansionnisme chinois, de l’expansionnisme américain, et évidemment que la situation calédonienne est singulière. Elle attire l’appétit des puissances internationales."

Une COP 31 en Australie en 2026

Parmi les autres thématiques abordées, l'environnement et le changement climatique restent des priorités du forum. "La présence du secrétaire général des Nations unies a pour but d'attirer l'attention de la communauté internationale et de faire monter la pression", a déclaré Mihai Sora, directeur de la recherche sur le Pacifique à l'Institut Lowy, en Australie.

Celle-ci est à la fois membre du FIP, et une grande puissance minière qui tente tardivement de redorer son blason en matière environnementale. Elle a pour ambition d'accueillir la conférence sur le climat COP31 en 2026, avec le soutien de ses voisins du Pacifique. Mais devra d'abord les convaincre, de sa réelle volonté de réduire ses émissions.