Avenir de la Nouvelle-Calédonie : ce qu’on peut retenir après l’audition des ministres Darmanin et Carenco au Sénat

Gérald Darmanin et Jean-François Carenco ont répondu aux questions des sénateurs Jean-Pierre Sueur et Philippe Bas, mercredi 2 novembre.
Ecartée, l’idée d’un référendum de projet en 2023. Défendue, la présence de Sonia Backès dans le gouvernement Borne. Précisée, la visite ministérielle de "huit jours" fin novembre. Traités avec prudence, le corps électoral et les provinciales. Cinq jours après la Convention des partenaires auxquels ils participaient à Paris, Gérald Darmanin et Jean-François Carenco se sont positionnés sur le dossier calédonien. Ils étaient entendus ce mercredi, au Sénat, par la commission des lois et deux rapporteurs de la mission sur l’avenir institutionnel.

Cinquante minutes de questions - réponses et beaucoup d’informations distillées. Mercredi 2 novembre, le ministre de l’Intérieur et son ministre délégué aux Outre-mer se sont attardés sur différents aspects du dossier calédonien. Cinq jours après la Convention des partenaires et quelques semaines avant leur venue sur place, Gérald Darmanin et Jean-François Carenco étaient auditionnés devant la commission des lois. Plus précisément les sénateurs Jean-Pierre Sueur (PS) et Philippe Bas (LR), rapporteurs de la mission sur l'avenir institutionnel de la Nouvelle-Calédonie. Voilà ce qu'on peut retenir des échanges, denses et plutôt directs, à écouter en entier sur le site du Sénat ou ici :

1 Il n'y aura pas de référendum de projet en 2023

Les déclarations successives sur le fameux référendum de projet, qu'ont reprises les sénateurs, mettaient en lumière une confusion persistante autour de cet important sujet. Interrogé sur des propos de l'Etat semblant contradictoires, et sur un calendrier paraissant de moins en moins réaliste, Gérald Darmanin a éclairci le propos : l’Etat s’en remet au principe de réalité. "Il n’y aura pas dans notre calendrier un référendum à organiser dans les mois qui viennent", a formulé le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer. "Ça ne veut pas dire qu’il n’y en aura pas un jour, sur le projet qu’on a pour la Nouvelle-Calédonie. Mais ce n’est pas dans l’année qu’évoquait le ministre Carenco". 

Le ministre Lecornu a évoqué un référendum de projet. Il est tout à fait possible que ce référendum de projet, pour savoir quel est le nouveau statut, quelle est la nouvelle politique de la Nouvelle-Calédonie dans la République, puisse se tenir. Nous disons avec le ministre Carenco (…) que ce serait (…) difficile de constater qu'il peut se tenir dans l'année qui vient. 

Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, le 2 novembre à Paris

Plus question d'avancer une échéance. Mais plutôt de laisser le temps à la reprise des discussions et à la feuille de route dessinée par la Première ministre Elisabeth Borne vendredi dernier. "Nous ne sommes pas contre le référendum de projet annoncé par les ministres des Outre-mer précédents", a encore dit Gérald Darmanin. "Mais ne nous engageons pas sur une date. Il faudra qu'il se tienne une fois qu'on aura fait ce travail. La méthodologie, c'est des groupes de travail sur tous les sujets, institutionnels mais pas que. (…) Et quand nous serons prêts, nous l'espérons le plus rapidement possible (…), nous reviendrons devant l'opinion publique (…), devant les chambres et devant le président de la République pour lui proposer le consensus que nous espérons avoir trouvé dans les jours et les semaines qui viennent".

Le sénateur Philippe Bas a salué la nouvelle, lui qui aura pointé : " Au fond, on met la pression sur le calendrier, on pose des espèces d'ultimatums. Et tout le monde n'est pas réuni à la table des négociations." 

Je trouve que ce renoncement est sage, qu'il eut été extrêmement difficile de forcer le passage pour organiser ce référendum de projet à la date où il avait été initialement prévu. Vous donnez un petit peu d'oxygène.

Philippe Bas, sénateur rapporteur de la mission d'information sur l'avenir institutionnel

Un calendrier serré paraissait d'autant moins applicable que se pose la question d'une révision de la Constitution.

Si vous pensez que les conditions politiques sont réunies pour que le Sénat et l'Assemblée votent un même texte qui serait soumis au Congrès [de Versailles] d'ici la fin 2023, je crois que c'est quelque peu utopique.

Jean-Pierre Sueur, rapporteur de la mission

D'où la satisfaction du sénateur à l'idée que le référendum de projet s'éloigne: "ce n'est pas la peine de maintenir, comme ça en l'air, une espèce de chose dont on sait tous qu'elle ne pourra pas arriver. Ça dégage l'horizon pour reprendre les discussions (…) sur une pluralité de sujets, de manière à recréer un climat qui permette d'aborder, sans qu'on fixe d'échéance particulière, cette question du corps électoral (…) qui ne pourra être réglée que si on crée un climat favorable."

Plus on pourra se rapprocher d'une méthode consensuelle, moins on fera des choses clivées dans un temps trop court, qui ne feraient qu'antagoniser les uns et les autres. Mieux on se portera si on arrive à aller vers le consensus. Et il ne nous apparaît pas possible aujourd'hui (…) qu'on puisse se mettre d'accord sur tous les sujets qui concerneraient ce projet pour la Nouvelle-Calédonien, dans un temps aussi court.

Gérald Darmanin

2Satisfaction suite la Convention des partenaires

Le même membre du gouvernement coprésidait la Convention des partenaires. Devant la mission du Sénat, il a salué une séquence "conforme à la parole de l’Etat, à l’envie des Calédoniens de voir avancer les dossier qui les concernent", "constructive", "intéressante". Mais "incomplète par le fait qu’une partie des acteurs (…) ne se sont pas rendus à notre invitation alors que le ministre délégué (…) avait lors de son déplacement reçu (…) leur envie de venir pour des bilatérales (…) puis des trilatérales et une suite des accords à Paris." Confirmation au passage : "Nous allons mettre une place le bilan de l’Accord de Nouméa et l’audit de décolonisation qui sera lancé. Le haut-commissaire a lui-même présenté le cahier des charges, qu’il a discuté avec l’ensemble des partenaires". Jean-François Carenco a quant à lui relevé "une bonne ambiance" ou encore "des tours de table très sérieux". 

Chacun reconnaissait que le choix du président de la République et du gouvernement de tenir le référendum au mois de décembre était un choix courageux et déterminant. Que se passerait-il si on faisait le référendum maintenant ? Chacun se posait la question. Tout le monde a ressenti que ce qui a été fait avait été bien fait.

Jean-François Carenco, ministre délégué aux Outre-mer

3 Considérations sur l'absence de délégation indépendantiste

"Nous regrettons, évidemment, l’absence d’une partie des indépendantistes mais nous les associerons, bien sûr, à l’ensemble des discussions que nous pourrons avoir. Le ministre délégué et moi même avons reçu M. Mapou, par exemple, et continuons à avoir des échanges téléphoniques avec eux en attendant de se voir sur place", a encore déclaré Gérald Darmanin. Non sans faire cette remarque : "Si notre porte est toujours ouverte, la parole donnée compte énormément partout, et singulièrement en Nouvelle-Calédonie. On a été un peu étonnés, avec le ministre délégué (…) que cette parole donnée n’ait pas été tenue, de pouvoir venir à Paris." 

L'occupant de la place Beauvau a longuement étayé son point de vue sur la situation. "Le FLNKS est divisé. Il a un congrès qui arrive et il a souhaité ne pas régler ses problèmes avant". Par ailleurs, a posé Gérald Darmanin, "une partie du FLNKS conteste la validité du troisième référendum, partant du principe qu’il pourrait demander à l’Assemblée générale des Nations-unies de saisir un tribunal qui pourrait remettre en cause la validité de ce référendum. Une partie des conseils de ceux qui contestent la possibilité de valider totalement ce référendum disent : ‘Si vous allez à Paris, alors vous validerez le fait que vous rendrez légitime ce troisième référendum’. Et ils nous disent : ‘Tant qu’on n’est pas sûrs que les Nations-unies ne valident pas ce référendum, on ne veut pas discuter.’" Et de conclure : "Ça nous amène à fin 23, pour faire très très vite. Pour nous, ce n’est évidemment pas un calendrier acceptable, parce que les Calédoniens, par trois fois, ont choisi de rester dans la République."

4 Un avenir envisagé dans la France

Autre considération : "C’est la première fois depuis très longtemps que [les indépendantistes] ne sont pas dans une situation où il y a un référendum d’autodétermination certain à quelques mois ou quelques années près. Je pense que ça crée une difficulté dans le camp indépendantiste", a estimé Gérald Darmanin. "Nous devons le respecter. Nous devons l’accompagner. Nous devons montrer que notre porte est toujours ouverte. Il ne s’agit d’humilier personne. 

On est prêts à discuter de plein de sujets qui concernent la Nouvelle-Calédonie : sa forme institutionnelle, la façon dont fonctionne son corps électoral, la façon dont on doit voir l’avenir. Mais on ne peut pas faire comme si ces trois référendums n’avaient pas dit par trois fois que les Calédoniens voulaient rester dans la République française.

Gérald Darmanin

Car le ministre de l'Intérieur n'a pas manqué de répéter la position de l'Etat suite à la consultation du 12 décembre 2021, marquée à la fois par un Non massif à la pleine souveraineté et par la non-participation des indépendantistes. "Il s’agit, après les trois référendums qui ont été organisés, conformément aux accords de Matignon et de Nouméa, de pouvoir désormais inscrire la Nouvelle-Calédonie dans un avenir qui n’est pas celui de savoir si elle doit ou pas rester française. Ça a été tranché par le peuple souverain".

5 L'Etat "impartial" et le "préalable" Sonia Backès

Les deux rapporteurs de la mission sénatoriale n'ont pas hésité à aborder tous les sujets. "Il y a un événement sur lequel je voudrais vous interroger, et qui pèse quand même lourd dans le dossier : la nomination au gouvernement de Mme Sonia Backès", a lancé Jean-Pierre Sueur. "Il nous paraissait que, pour avancer, le gouvernement devait être impartial. (…) Or (…) vous avez dans le gouvernement, à vos côtés, une personne tout à fait estimable (…) mais qui est le fer de lance de l’une des parties (…). Et vous savez très bien que les indépendantistes n’ont pas été insensibles à la situation ainsi créée."

Le sénateur du Loiret "ne demande (…) pas qu’elle démissionne de son poste de [présidente de la province Sud] conformément à ce qu’ont fait certains de vos collègues du gouvernement, c’est son libre choix. Mais il me semble que si le gouvernement est impartial (…), de manière à être impartial, il faut régler cette question." Suggestion : "Peut-être que l’intéressée peut faire des déclarations en disant qu’elle se retire du dossier, ou qu’elle fait preuve d’impartialité. (…) Nous pensons qu’il y a là un préalable à lever." 

A quoi les collègues de Sonia Backès au sein de l'équipe Borne II ont répondu par un soutien sans faille. "Si l’Etat devait avoir une impartialité particulière dans l’organisation des référendums, une fois qu'ils ont eu lieu (…), [il] ne peut pas rester indéfiniment indifférent au sort de la Nouvelle-Calédonie", a considéré Gérald Darmanin. "Le troisième référendum a été organisé et pour la troisième fois, les Calédoniens ont dit qu’ils souhaitaient rester français." 

On ne va pas, ad vitam, interdire à tout Calédonien de participer au gouvernement de son pays parce qu’il faudrait que nous ayions une position ad vitam d’impartialité ! 

Gérald Darmanin

Et d'indiquer que Sonia Backès, "citoyenne française appelée à servir son pays", n’est en charge ni des Outre-mer ni de la Nouvelle-Calédonie. Tandis que Jean-François Carenco tenait à confirmer "que la Calédonie n'est pas son sujet à Paris. (…) Elle fait bien attention, je veux témoigner de ça."

6 Ne pas traiter le corps électoral "d'un revers de la main"

Sujet aussi incontournable que brûlant, vu les positions tranchées des uns et des autres : le corps électoral gelé, entre autres aux élections provinciales. Gérald Darmanin s'est montré prudent : "Oui, il faudrait faire (…) une réforme constitutionnelle, pour adapter notamment la question du corps électoral qui [est posée] par le Conseil d’Etat, par les juristes européens, par nous-mêmes." 

On voit bien que la finalité pour laquelle on a fait cette disposition exorbitante du droit commun était conditionnée, par le juge constitutionnel lui-même, à des buts qui sont maintenant atteints (…). On sait tous que c’est une question extrêmement délicate par ailleurs. Elle ne mérite pas d’être traitée (…) d’un revers de la main.

Gérald Darmanin

7 "Il faudra bien que ces provinciales se fassent"

Ces provinciales qui se profilent en mai 2024 restent à inscrire dans un cadre, alors que les trois consultations prévues par l'Accord de Nouméa se sont tenues. "On a un petit peu de temps avant de devoir décider de tout cela", a écarté le ministre Darmanin. "On ne va pas faire le voyage avant d'y aller (…). Ils ont accepté de nous recevoir. Si j'ose dire, de faire la suite de la réunion qu'a tenue la Première ministre, en Nouvelle-Calédonie. Nous sommes toujours dans la même philosophie : des bilatérales, puis des trilatérales, puis une avancée vers le consensus. Ça s'inscrira dans l'avenir dans la République. Je ne veux pas nous lier les mains avant d'y aller. Cependant, il faudra bien que ces provinciales se tiennent. (…) Il faudra bien que nous nous mettions d'accord sur ce corps électoral et ces élections locales."

8 Trouver la "bonne formule" du nickel

On retiendra encore que Jean-François Carenco a eu un mot en particulier sur la problématique nickel, qui fera l'objet d'un atelier dédié. "La situation n’est pas bonne. N’est pas bonne dans le Sud, n’est pas bonne à Nouméa, n’est pas bonne dans le Nord", a-t-il insisté en citant les trois usines métallurgiques calédoniennes. "Il nous faut réfléchir. Le ministère des Finances, le ministère de l’Intérieur et moi-même essayons de trouver la bonne formule là-dessus."

9 L'espoir d'un voyage "productif"

Il s'est par ailleurs attardé sur le déplacement en Calédonie à la fin du mois. "Le calendrier (…) démarrera après préparation par le haut-commissaire, en ce moment, du voyage du ministre Darmanin et de moi-même. Le ministre est là pour lancer les groupes de travail, après un nouveau contact, bien sûr, avec les partis qui n’étaient pas là à Paris (…) J’ai bon espoir que le voyage, de huit jours, soit productif. Et enclenche un processus dont on s’est dit que ça serait bien qu'il arrive au bout à la mi année-2023. Ça fait dix mois."

Ne nous pressons pas. Ne disons pas des choses trop brutales. On verra là-bas comment ça se déroule. Je me suis assuré d'une seule chose avant le 28 octobre, c'est qu'ils nous accueilleraient tous. Au-delà, laissons se nouer les choses. 

Jean-François Carenco

En résumé ? Voyez cette synthèse de Bernard Lassauce :

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