Tapis de course, vélos elliptiques, ballons de gym douce : situé au rez-de-chaussée de la clinique Ile Nou-Magnin, le service de soins de suite et de réadaptation (SSR) ressemble plus à une salle de sports qu’à un hôpital. Il y a encore quelques semaines, il accueillait des patients atteints de bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) et des malades nécessitant une rééducation des membres suite à une opération. Mais depuis trois semaines, on y croise quasi exclusivement des patients équipés de bouteille d’oxygène, qui tous ont effectué un passage en réanimation après avoir contracté le Covid-19.
Objectif : se passer d’oxygène
Et s’ils sont "guéris" du Covid, le retour à la normale sera long pour la plupart d’entre eux.
Les patients que l'on accueille ont besoin de beaucoup d'oxygène et si ils viennent chez nous c'est qu'ils ne sont pas en mesure de rentrer chez eux. Ce sont des patients qui sont très fragiles et qui sont à risque de décompenser à nouveau. Même s'ils se sentent mieux même s'ils évoluent très bien dans notre service, ils sont fragiles et on leur fait prendre conscience que ce sera une rééducation qui sera longue, ce sera un combat à mener et qu'il faut qu'ils fassent vraiment attention, parce que malgré leur ressenti, ils peuvent désaturer et se mettre en danger.
Le sevrage en oxygène, c’est la priorité numéro un du service : en plus du personnel médical, kinésithérapeutes, professeurs de gymnastique et ergothérapeute ont une obsession, aider leurs patients à se passer de leur bouteille, a minima pour les activités du quotidien.
Assis sagement dans le couloir, Roméo attend son tour pour une bonne demi-heure d’exercice physique. Arrivé il y a deux semaines, le sport pour lui, c’est désormais tous les jours, malgré la bouteille d’oxygène qui le suit partout : "On a des exercices de musculation, pour essayer de reprendre un peu de forces, car tu te lèves tu te dis je vais pouvoir aller marcher, eh bien non, c'est plus comme avant. Tu te retrouves à plat, t'as perdu la masse musculaire, du poids, etc."
Le sport leur permet de récupérer une capacité pulmonaire correcte : "On fait faire des entraînements d’endurance en fractionné, et petit à petit, on baisse l’oxygène, explique Fabien Lavigne, kinésithérapeutte. Avec la réanimation, ils ont perdu le schéma respiratoire naturel, alors on fait aussi des exercices de respiration. Enfin, il y a également un programme de renforcement musculaire."
Le principal problème de ces patients "post covid" qui empêche leur retour à domicile, c’est un niveau de saturation (taux d’oxygène dans le sang) qui peut très vite descendre trop bas, sans que le patient ne s’en aperçoive.
Ce qui est un peu perturbant et traître c'est qu'il y a un décalage entre ce que ressent le patient qui ne se sent pas forcément essoufflé"
Ce que confirme Marie, jeune femme athlétique, que le Covid a beaucoup affaibli : "Quand on a commencé à faire des exercices avec la kiné, moi je me sentais bien pendant l'exercice pas de problème, mais 4 secondes après l'exercice j'ai vu comment je désaturais et comment mon coeur s'emballait. Et j'étais vraiment étonnée parce que moi pendant l'exercice je ne sentais rien."
"Examen" de sortie
Alors comme tous les patients, Marie, qui est candidate à la sortie, doit passer un "examen" avec Ophélie Béatrix, l’ergothérapeute du service. "On cible, les activités du quotidien, explique cette dernière : la toilette, l’habillage, mais aussi les déplacements, comme la montée d’escalier, ou le fait de porter ses courses." Si le taux de saturation descend trop, Marie devra rester encore quelques jours : "Si on me dit non t'es pas encore prête bien sûr je serai déçue mais après c'est pour mon bien", philosophe la jeune femme.
Répercussions psychologiques
Si l’équipe soignante essaie de réparer les corps, elle tient aussi compte des conséquences psychologiques du passage en réanimation. "Ils savent qu’ils auraient pu y passer, alors ils sont très motivés, mais à leur arrivée, ils ont parfois besoin d’un peu de temps pour réaliser", note Tiana Raoul.
Roméo se raconte sans fard :
Je suis arrivé il y a un peu plus de deux semaines et en fait, j'étais au plus mal, en arrivant ici j'ai pu retrouver ma tête. Chaque passage dans nos chambres, ça nous permet de revivre, de retrouver l'espoir. Psychologiquement maintenant je vais beaucoup mieux. Maintenant je me dis que tout ça est derrière moi, qu'il faut avancer. Les autres malades, ce ne sont pas des malades, ce sont des combattants, des combattants en cross combat. J'ai 41 ans et je me dis qu'il y a encore un bout de chemin à faire, Je vais retrouver ma famille, vivre ma vie pour tous ceux qui sont partis.
Le passage au Médipole a également marqué Marie : "La sortie de réa, je m'en souviens plus trop parce que j'étais vraiment dans les vapes, je me souviens surtout des soins intensifs. Ce qui m'a marqué le plus ce sont les brûlures, des brûlures au thorax quand je respirais, donc c'était un cercle vicieux parce que j'avais tellement mal quand je respirais que j'osais pas trop respirer, du coup je désaturais beaucoup. J'ai pris ma première douche toute seule ici. Quand j'étais au médipole on me donnait ma toilette dans le lit. Ça aussi c'était difficile au niveau de la dignité."
Le passage en rééducation agi pour certains comme un sas de reconditionnement à la vie réelle : "Il y a deux semaines encore je ne me sentais pas du tout prête à rentrer chez moi. je suis bien contente d'avoir été transférée ici parce que je suis bien encadrée et j'ai fait vraiment beaucoup de progrès depuis que je suis ici et j'appréhende du coup beaucoup moins le retour à la maison", confirme Marie.
À l’issue de leur séjour, qui peut durer jusqu’à six semaines, les malades n’en ont bien souvent pas encore fini avec les conséquences du Covid. Car parmi les patients qui ont fait un séjour en réanimation, 70% gardent des séquelles après trois mois. Ce taux n’est que de 10% pour ceux qui n’ont pas eu besoin de soins intensifs.
Reportage de Charlotte Mannevy