Non aux expulsions. C’est le message du tout nouveau collectif "Urgence sociale", qui a vu le jour ce mercredi 27 novembre, devant les locaux de la Société immobilière de Nouvelle-Calédonie (SIC), à Nouméa. Créée sous l'impulsion du Mouvement des océaniens indépendantistes, cette nouvelle entité, qui se revendique du terrain, est allée tirer la sonnette d'alarme auprès du premier bailleur social du pays. "On commence à entendre parler d’expulsions, de loyers qui ne sont pas payés... Mais le logement, avec l'alimentation, c'est la base, martèle Arnaud Chollet-Leakava, l’un des responsables du collectif. On arrive aux fêtes de fin d'année et on ne veut pas voir de gens qui dorment dehors à Noël".
Des impayés qui ont plus que doublé
Pour l'heure, les chiffres semblent stables sur ce volet, avec aucune expulsion recensée au Fonds social de l'Habitat (FSH) et onze à la Sic en 2024, sur des dossiers antérieurs à la crise du 13 mai. Mais le collectif a déjà recensé une centaine de menaces d'expulsions pour 2025. Sans compter les Calédoniens qui envisagent de quitter leur logement parce qu'ils ne peuvent plus honorer le loyer.
Les impayés sont d'ailleurs en nette hausse. Ils ont plus que doublé au FSH. "On compte 6 % de loyers impayés actuellement contre 2 à 2,5 % auparavant", signale Christophe Tiaoao, le directeur des relations clientèles. Sur le terrain, la précarisation des locataires est palpable. "On a des profils de personnes en difficultés qu'on n'avait pas avant, des habitants qui ont perdu leur travail."
La balle est surtout dans le camp de nos élus. Il faut s’occuper de cette jeunesse.
Christophe Tiaoao, directeur du service clientèle au FSH.
Des acteurs investis sur le terrain
Santé, nourriture, vêtements… Les bailleurs jouent plus que jamais leur rôle d’amortisseur social avec l'aide du tissu associatif. "On a, en interne, des personnes qui s'investissent et qui essaient au maximum de mettre des actions en place, insiste ce responsable du FSH. Ce qui est important, c'est de faire le lien entre les personnes que l'on a pu identifier comme moteurs dans nos résidences -des référents- et les collectifs qui se sont manifestés pendant les émeutes pour aider la population."
Pour Christophe Tiaoao, beaucoup de sujets dépassent le rôle des bailleurs sociaux. "La balle est surtout dans le camp de nos élus. Il faut s’occuper de cette jeunesse." Le FSH envisage, de son côté, des actions ciblées, comme la mise à disposition prochainement d'une salle de sport pour les jeunes du secteur des Palmiers, à Auteuil. "L’idée, c’est ensuite de les emmener vers d’autres dispositifs, même si beaucoup ont disparu depuis le 13 mai."
L'aide au logement en sursis
Depuis août, le secteur fait face à de nouvelles difficultés. Le gouvernement de la Nouvelle-Calédonie n'a plus les moyens de verser sa quote-part de l’aide au logement. En 2023, près de 9 500 foyers ont bénéficé de cette aide, financé à 85 % par le territoire, via l'agence sanitaire et sociale, et à 15 % par le FSH. Un coup dur pour les bailleurs sociaux qui n'ont donc perçu que la part payée par les locataires. Certains particuliers ont aussi été touchés et ont dû régler l'intégralité de leur loyer.
Les difficultés de ce dispositif ne sont ps nouvelles. "Bien avant la crise du 13 mai, le gouvernement savait déjà qu’il serait en cessation de paiement pour l’aide au logement en août", rapporte un acteur du dossier. En 2023, l'exécutif avait déjà demandé une avance de trésorerie de trois mois au FSH, qu'il avait remboursé après coup.
Une année 2025 incertaine
En cette fin d'année 2024, le gouvernement a réitéré sa demande auprès du bailleur social. Le FSH a finalement donné son accord pour un nouveau coup de pouce d'un montant d'1,5 milliard de francs. Il attend désormais le feu vert de l'Agence sanitaire et sociale pour déclencher cette aide. "C’est une avance de trésorerie qui sera réglée soit au moment du budget principal 2025 soit celui de 2026", assure Laurie Humuni, membre du gouvernement en charge de l'habitat.
De quoi combler les sommes non versées à l'aide au logement jusqu'à la fin de l'année. Mais après ? "C’est ce qui nous rend encore plus pessimistes pour l'année qui vient, s'inquiète un acteur du logement social. La situation était déjà fragile avant le 13 mai et maintenant, nous allons commencer à mesurer les impacts de cette crise. Ça ne peut être que pire."
Le FSH, lui-même, doit serrer un peu plus la vis. Non seulement cette avance de trésorerie au gouvernement l'oblige à reporter certaines opérations, comme le lancement de son projet de villas à Sakamoto, à Magenta. Mais les 2 % de cotisations FSH que versent les salariés calédoniens a chuté considérablement depuis les émeutes, en raison des pertes d'emplois et du chômage partiel.
Quand les gens ont faim, ils sont désespérés et quand ils sont désespérés, ils sont prêts à tout.
Arnaud Chollet-Leakava, l'un des responsables d'Urgence sociale.
Des élus silencieux
Pour Arnaud Chollet-Leakava, la précarité qui touche de plus en plus d'habitants est une bombe à retardement. "L’urgence sociale n’a pas l’air d’être une priorité pour nos élus. C’est ça qui nous fait peur. On risque de ce retrouver dans un deuxième "13 mai", alerte ce responsable d'Urgence sociale. Quand les gens ont faim, ils sont désespérés et quand ils sont désespérés, ils sont prêts à tout."
Ramener les politiques à la réalité du terrain, c'est ce que vise ce nouveau collectif. "Quand le ticket de bus est passé à 500 francs, aucun élu n’est monté au créneau, qu’il soit indépendantiste ou non."
Après quatre décennies d'accords, le constat est sans appel, selon Arnaud Chollet-Leakava. "90 % des prisonniers sont kanak, 90 à 95 % de la population qu'on appelle SDF est kanak et enfin, ceux qui habitaient dans les squats et dans les quartiers sociaux il y a quarante ans, sont exactement les mêmes quarante plus tard."
Pour le leader du MOI, la crise du 13 mai n'a fait que confirmer ce que son mouvement "clamait haut et fort". "Les accords de Matignon et de Nouméa sont des échecs. C’est d’abord un échec social. Et c'est aussi un échec politique."